Fragment Fondement n° 15 / 21 – Papier original : RO 59-5
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 289 p. 119 v° / C2 : p. 146
Éditions de Port-Royal : Chap. X - Juifs : 1669 et janvier 1670 p. 77 / 1678 n° 2 p. 77
Éditions savantes : Faugère II, 251, XV / Havet XV.3 / Brunschvicg 645 / Tourneur p. 253-2 / Le Guern 223 / Lafuma 238 / Sellier 270
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Bibliographie ✍
SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 465 sq. |
✧ Éclaircissements
Figures.
L’édition de 1670 montre que les éditeurs ont bien compris que ce fragment devait être considéré comme la préparation des idées développées dans Loi figurative. Voir ci-dessous.
Dieu voulant priver les siens des biens périssables
Dieu veut priver les fidèles des biens périssables parce qu’il veut qu’ils gagnent les biens éternels.
Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Isaïe 65. Que les biens temporels sont faux et que le vrai bien est d’être uni à Dieu.
pour montrer que ce n’était pas par impuissance, il a fait le peuple juif.
Sur le peuple juif et son destin, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 465 sq., « Le mystère d’Israël ». Dans le destin du peuple juif paraît la toute-puissance de Dieu, qui a comblé Israël de biens pour lesquels ce peuple n’a par toujours su conserver la gratitude qu’il lui devait : p. 478.
Les biens éternels sont invisibles : l’union à Dieu est purement spirituelle, et n’est pas de même ordre que les grandeurs de la chair. Les infidèles peuvent donc ne pas les reconnaître, et penser que le peuple d’Israël n’est pas réellement soutenu par le vrai Dieu. Il était nécessaire à Dieu de prévenir cette illusion, qui pouvait servir d’excuse aux infidèles. Dieu s’est donc réservé le peuple juif, dans le destin duquel il a fait paraître sa puissance dans les prodiges qu’il a accomplis en sa faveur, et dans la profondeur de la misère qu’il s’est attirée quand il a oublié son Dieu.
Preuves par discours III (Laf. 442, Sel. 690). L’abandon de Dieu paraît dans les païens ; la protection de Dieu paraît dans les Juifs.
Parmi les prodiges accomplis par Dieu en faveur de son peuple que la Bible rapporte, on compte par exemple le passage de la mer Rouge :
Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). Figures. Isaïe - 51. la mer Rouge image de la rédemption.
Le même fragment mentionne aussi le déluge, dont Dieu a sauvé son peuple. Voir aussi Dossier de travail (Laf. 392, Sel. 11). Lorsque les hommes étaient encore si proches de la création qu’ils ne pouvaient avoir oublié leur création et leur chute, lorsque ceux qui avaient vu Adam n’ont plus été au monde, Dieu a envoyé Noé et l’a sauvé et noyé toute la terre par un miracle qui marquait assez et le pouvoir qu’il avait de sauver le monde et la volonté qu’il avait de le faire et de faire naître de la semence de la femme celui qu’il avait promis.
La nature même du peuple juif marque une force toute-puissante qui le soutient :
Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Il est certain que nous voyons en plusieurs endroits du monde, un peuple particulier séparé de tous les autres peuples du monde qui s’appelle le peuple juif.
[...] Je trouve donc ce peuple grand et nombreux sorti d’un seul homme, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu’ils disent tenir de sa main ils soutiennent qu’ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères. Que tous les hommes sont corrompus et dans la disgrâce de Dieu, qu’ils sont tous abandonnés à leurs sens et à leur propre esprit. Et que de là viennent les étranges égarements et les changements continuels qui arrivent entre eux et de religions et de coutumes. Au lieu qu’ils demeurent inébranlables dans leur conduite, mais que Dieu ne laissera point éternellement les autres peuples dans ces ténèbres, qu’il viendra un libérateur, pour tous, qu’ils sont au monde pour l’annoncer aux hommes, qu’ils sont formés exprès pour être les avant-coureurs et les hérauts de ce grand avènement, et pour appeler tous les peuples à s’unir à eux dans l’attente de ce libérateur.
La rencontre de ce peuple m’étonne, et me semble digne de l’attention.
Je considère cette loi qu’ils se vantent de tenir de Dieu et je la trouve admirable C’est la première loi de toutes et de telle sorte qu’avant même que le mot de loi fût en usage parmi les Grecs, il y avait près de mille ans qu’ils l’avaient reçue et observée sans interruption. Ainsi je trouve étrange que la première loi du monde se rencontre aussi la plus parfaite [...].
Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Dans cette recherche le peuple juif attire d’abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent. [...] Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant, car au lieu que les peuples de Grèce et d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome et les autres qui sont venus si longtemps après soient péris il y a si longtemps, ceux-ci subsistent toujours et malgré les entreprises des tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme leurs historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses pendant un si long espace d’années. Ils ont toujours été conservés néanmoins, et cette conservation a été prédite. Et s’étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée, celle de toutes nos histoires.
Les actions du peuple juif, et surtout la constance avec laquelle il a défendu la loi qu’il a reçue de Dieu figurent aussi parmi ces prodiges qui témoignent de l’intervention de Dieu :
Perpétuité 2 (Laf. 280, Sel. 312). Les états périraient si on ne faisait ployer souvent les lois à la nécessité, mais jamais la religion n’a souffert cela et n’en a usé. Aussi il faut ces accommodements ou des miracles.
Il n’est pas étrange qu’on se conserve en ployant, et ce n’est pas proprement se maintenir, et encore périssent-ils enfin entièrement. Il n’y en a point qui ait duré 1000 ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible... Cela est divin.
Toutefois, le titre du fragment invite à dépasser cette interprétation limitée, et pour ainsi dire charnelle, du fragment, pour envisager son lien avec la doctrine des figuratifs :
La grandeur des prodiges de Dieu ne consiste pas seulement dans leur caractère extraordinaire, mais aussi dans leur nature symbolique : les événements d’Israël sont surtout des figures, c’est-à-dire qu’aux événements de son Histoire répondent des significations symboliques spirituelles qui révèlent la volonté et les desseins de Dieu.
Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). Ut sciatis quod filius hominis habet potestatem remittendi peccata tibi dico surge.
Dieu voulant faire paraître qu’il pouvait former un peuple saint d’une sainteté invisible et le remplir d’une gloire éternelle a fait des choses visibles. Comme la nature est une image de la grâce il a fait dans les biens de la nature ce qu’il devait faire dans ceux de la grâce, afin qu’on jugeât qu’il pouvait faire l’invisible puisqu’il faisait bien le visible.
Il a donc sauvé le peuple du déluge ; il l’a fait naître d’Abraham, il l’a racheté d’entre ses ennemis et l’a mis dans le repos.
L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour n’introduire que dans une terre grasse.
Et même la grâce n’est qu’une figure de la gloire. Car elle n’est pas la dernière fin. Elle a été figurée par la loi et figure elle-même la gloire, mais elle en est la figure et le principe ou la cause.
La raison des grandes actions de Dieu en faveur d’Israël est donc la révélation des biens qu’il réserve aux élus :
Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). La vie ordinaire des hommes est semblable à celle des saints. Ils recherchent tous leur satisfaction et ne diffèrent qu’en l’objet où ils la placent. Ils appellent leurs ennemis ceux qui les en empêchent, etc. Dieu a donc montré le pouvoir qu’il a de donner les biens invisibles par celui qu’il a montré qu’il avait sur les visibles.
Pascal rejoint implicitement dans ce bref fragment le principe de saint Paul, I Cor. X, 11 :
Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures. La lettre tue - Tout arrivait en figures.