Fragment Fondement n° 4 / 21  – Papier original : RO 45-6

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 281 p. 117 / C2 : p. 143

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 248  / 1678 n° 28 p. 241

Éditions savantes : Faugère II, 323, XX / Havet XXIV.20 / Brunschvicg 223 / Tourneur p. 250-5 / Le Guern 212 / Lafuma 227 / Sellier 259

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Bibliographie

 

 

ADAM Antoine, Les libertins au XVIIe siècle, Paris, Buchet-Chastel, 1964.

BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 462-466.

BUSSON Henri, La pensée religieuse française de Charron à Pascal, Paris, Vrin, 1933.

BUSSON Henri, La religion des classiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1943.

DU LAURENS André, Histoire de l’anatomie, Livre VIII, De l’anatomie, Question IV, Lyon, Rigaud, 1620, p. 850-851.

GROTIUS Hugo, De la vérité de la religion chrétienne, II, 7.

SELLIER Philippe, “Le Saint Augustin de Pascal”, Rivista di storia e letteratura religiosa, Firenze, L. S. Olschki, 2009, p. 359-371. Voir p. 361.

 

 

Éclaircissements

 

Qu’ont‑ils à dire contre la résurrection,

 

Pascal ne précise pas s’il s’agit de la résurrection des morts avant le jugement dernier, ou de la résurrection du Christ. Port-Royal opte pour la première interprétation. Mais le problème reste le même : les incrédules (« ils ») récusent sans raison suffisante le miracle de la victoire du Christ sur la mort.

Martin Raymond, Pugio fidei, Pars prima, Cap. XXVI, p. 203. Resurrectio non est naturalis. Ergo non communibus hominibus. La résurrection n’est pas une chose naturelle ; en effet il n’y a pas de vertu naturelle agissante qui soit capable de l’effectuer.

Sur la résurrection du Christ, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 449 sq.

Sur la résurrection en général, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 535. 

Voir plus bas la réponse que fait Grotius, De veritate religionis christianae, II, VII, à l’objection de l’impossibilité de la résurrection.

 

et contre l’enfantement d’une vierge ?

 

Sur la virginité de Marie, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 462-466. 

Sur les attaques portées par les libertins contre la virginité de Marie, voir Busson Henri, La pensée religieuse..., p. 518. Desmarets de Saint-Sorlin, Les délices de l’esprit, Xe journée, II, p. 28. « Mais ... je ne puis croire qu’un Dieu éternel et infini ait voulu prendre chair humaine, et se renfermer dans le ventre d’une vierge, et ait pu être par elle, sans opération d’homme, et sortir d’elle sans blesser sa virginité. »

Busson Henri, La pensée religieuse française de Charron à Pascal, p. 368 sq. Notes de Racine sur Concordia rationis et fidei seu alnetaneae quaestiones, BN, fds. français 12 887, f° 79-82 ; voir Racine Jean, Œuvres complètes, éd. Picard, Pléiade, II, p. 1211. P. 707 sq. À propos du “Christ né d’une vierge”, exemples d’enfantements extraordinaires tirés de la mythologie, de parthénogénèses donnés par les « naturalistes », et de virginité ante partum et post partum. Ce livre dû à Huet, évêque d’Avranches, est paru à Paris en 1690, dédié au P. de la Chaise. L’apologétique de Huet consiste à montrer que les dogmes chrétiens étaient, sous une forme à peine déguisée, acceptés par les Anciens ; les libertins ne peuvent donc s’appuyer sur la sagesse antique, qui est en accord avec la religion chrétienne, pour persévérer dans l’incrédulité. Ces arguments sont à double tranchant, dans la mesure où ils peuvent servir la critique rationaliste. Voir la lettre d’Arnauld à Dodart du 1er septembre 1691, in Racine Jean, Œuvres complètes, II, p. 1122 : Huet détruirait sa propre religion en montrant que la raison s’accorde aussi bien avec le paganisme qu’avec le christianisme. Voir p. 1122-1123 : Arnauld jugeait ces pages horribles, et il était prêt à dénoncer le livre à l’Église.

Le recueil d’Antoine Adam, Les libertins au XVIIe siècle, Paris, Buchet-Chastel, 1964, donne des exemples de chansonnettes et de poèmes satiriques sur la virginité de Marie.

Les jansénistes n’ont pas de difficulté avec la virginité de Marie. Pascal l’affirme dès le début de l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ : « Six mois après, le 25 mars, neuf mois avant la naissance de Jésus-Christ, le même Gabriel fut envoyé à une vierge nommée Marie, lui annoncer qu’elle concevrait par l’opération du Saint-Esprit en elle un fils, dont le nom est Jésus. Elle, étant enceinte, visita Élisabeth sa parente, et loua Dieu par son Cantique. » Mais ils n’admettent pas l’immaculée conception, que l’on concilie mal avec la théologie du péché originel. Voir Arnauld Antoine, Apologie pour les religieuses de Port-Royal, IVe partie, Préface, Œuvres, XXIII, p. 540 sq. La part des jésuites dans le développement de la dévotion mariale en Espagne. Les jésuites font solliciter par le roi d’Espagne un décret sur la définition de l’Immaculée Conception, ce qui fait un « article de foi d’une chose dont il n’y a pas la moindre ombre dans l’Écriture et dans la Tradition » : p. 541. Malgré le peu de succès de cette demande, les jésuites s’appuient sur ce dogme pour s’en prendre aux dominicains : p. 542. Le P. Nidard assure que l’immaculée conception est physiquement certaine, ce qui signifie qu’il est aussi certain que la Vierge est conçue sans péché originel que le soleil éclaire et que le feu chauffe : p. 542. Le P. Nidard ajoute que c’est métaphysiquement certain, c’est-à-dire aussi certain qu’un principe comme le tout est plus grand que la partie. Il prétend enfin que c’est une certitude infaillible, c’est-à-dire que « cette doctrine est immédiatement dérivée d’une proposition de la foi » : p. 542. Ces prétentions sont sans fondement : p. 543.

 

Qu’est‑il plus difficile de produire un homme ou un animal, que de le reproduire ?

 

Grotius Hugo, De la vérité de la religion chrétienne, II, 7. « Je ne sache qu’une chose qui pourrait renverser tous ces témoignages, quelque forts qu’ils paraissent : ce serait l’impossibilité de la chose même à laquelle ils servent d’appui, et la contradiction qu’elle renfermerait. Mais je soutiens qu’il n’y a ici ni impossibilité ni contradiction. C’en serait une de dire qu’une personne a été vivante et morte dans le même temps. Mais que celui qui a produit la vie la puisse aussi reproduire, cela n’est ni impossible ni contradictoire. Les sages païens l’ont bien senti. On voit même dans leurs livres quelques exemples de résurrection, comme celle d’un certain Eris d’Arménie, dans Platon, celle d’une femme, dans Héraclide de Pont, d’Aristée, dans Hérodote, et de Thespésius, dans Plutarque. Je ne veux pas garantir ces faits. Le seul avantage que j’en tire, c’est de faire voir que les plus habiles gens d’entre les païens, ont mis cette merveille au rang des choses possibles. [Note 17 : Mais je soutiens, etc. Justin Martyr. Réponse septième aux Objections contre la Résurrection : « Autre chose est d’être impossible absolument et en soi-même, et d’être impossible à quelqu’un. Par exemple, il est tout à fait impossible qu’une figure qui sert de mesure à une autre, soit égale à un des côtés de cette autre. Il est impossible, non absolument, mais à la nature, de produire sans semence, des êtres animés. Si ceux qui disent que la résurrection est impossible, l’entendent dans le premier sens, il n’est rien de plus faux. La résurrection est une nouvelle création. Or une nouvelle création n’est pas impossible en elle-même, puisqu’elle ne fait rien de contradictoire, comme serait l’égalité d’une figure mesurante, à l’un des côtés de celle qu’elle mesure : donc la résurrection n’est pas impossible en elle-même. Que s’ils entendent une impossibilité dans le second sens, ne voient-ils pas que tout ce qui n’est impossible qu’à la créature, est très possible au créateur ? »] ».

La création est plus difficile que la reproduction.

Sellier Philippe, “Le Saint Augustin de Pascal”, Rivista di storia e letteratura religiosa, Firenze, L. S. Olschki, 2009, p. 359-371. Voir p. 361. 

 

Et s’ils n’avaient jamais vu une espèce d’animaux pourraient‑ils deviner s’ils se produisent sans la compagnie les uns des autres ?

 

Cette question suppose un argument intermédiaire plus particulier, qui en précise la signification.

Le fragment Miracles III (Laf. 882, Sel. 444), fournit un exemple concret qui n’est que suggéré dans le présent texte : Athées. Quelle raison ont-ils de dire qu’on ne peut ressusciter ? Quel est plus difficile de naître ou de ressusciter, que ce qui n’a jamais été soit, ou que ce qui a été soit encore ? Est-il plus difficile de venir en être que d’y revenir. La coutume nous rend l’un facile, le manque de coutume rend l’autre impossible. Populaire façon de juger.

Pourquoi une vierge ne peut-elle enfanter ? une poule ne fait-elle pas des œufs sans coq ? Quoi les distingue par dehors d’avec les autres ? Et qui nous a dit que la poule n’y peut former ce germe aussi bien que le coq ?

Pensées, éd. Havet, II, Nouvelles additions et corrections, p. 89, renvoie à un texte de Tertullien, Adversus Valentinianos, 10 : « Miraris haec ? Et gallina sortita est de suo parere ». Mais selon Havet, Tertullien plaisantait et ne voulait que se moquer de la génération mystique d’Enthymésis ou la Pensée, née de Sophia ou la Sagesse, selon les Valentiniens, qui ne lui donnaient pas de père.

Quoi qu’il en semble au premier regard, Pascal ne dit pas que les poules peuvent toujours se passer de coq pour produire des œufs, ce qui serait tout de même étonnant de sa part. Il ne s’agit pas de dire que, puisque les poules peuvent bien faire des œufs sans coq, la vierge Marie a bien pu engendrer Jésus sans aide masculine, ce qui serait à la fois irrespectueux, burlesque et peu concluant. Le texte est en réalité précis sur le plan technique. Les traités de zoologie du XVIIe siècle précisent exactement le sens de cette allusion.

Du Laurens André, Histoire de l’anatomie, Livre VIII, De l’anatomie, Question IV, Lyon, Rigaud, 1620, p. 850-851. « Les œufs sans germe, que les poules font sans coq, ont bien des figures d’œufs, mais ils sont stériles, et n’en peut venir de poussins, ainsi les petits œufs, que les coqs font quelquefois ne sont nullement féconds, et ne peuvent produire de petits. Donc la semence du mâle et de la femelle est nécessairement requise. »

L’argument de Pascal consiste à dire que l’incrédule n’a aucun fondement pour dire qu’un phénomène d’engendrement par parthénogenèse est absolument impossible. En effet, quoique dans le cas général, la poule produise des œufs lorsqu’elle a été fécondée par le coq, il y a aussi des cas où, sans la coopération du coq, elles produisent des œufs sans germe, qui sont stériles. Il n’est donc pas possible d’affirmer catégoriquement et universellement que la poule ne peut pas faire des œufs sans coq. L’argument n’est donc pas d’ordre théologique, ni même religieux, et n’enferme donc nullement une comparaison de la Vierge Marie à un gallinacé : il est d’ordre épistémologique. Il porte contre la témérité des athées qui affirment l’impossibilité d’un miracle tel que peut être la conception du Christ, en montrant par un exemple familier tiré de la nature qu’on ne saurait lui imposer dogmatiquement des limites.

Pascal souligne en effet que, dans l’état des connaissances de l’époque, rien ne permet d’affirmer que la poule, qui est capable de produire des œufs stériles, ne peut pas aussi produire le germe qui engendrera un œuf fécond.

Généralisant cette thèse à l’aide d’une expérience imaginaire, il ajoute que, si l’on rencontrait une espèce animale jusque-là complètement inconnue, on serait dans l’incapacité de dire s’ils se produisent sans la compagnie les uns des autres.

Port-Royal présente l’idée sous une forme un peu différente, mais qui revient au même : « Je ne vois pas qu’il y ait plus de difficulté de croire la résurrection des corps, et l’enfantement de la Vierge, que la création. Est-il plus difficile de reproduire un homme, que de le produire ? Et si on n’avait jamais su ce que c’est que génération, trouverait-on plus étrange qu’un enfant vint d’une fille seule, que d’un homme et d’une femme ? »

Cette réflexion s’inspire donc de l’expérience de Pascal physicien, qui a montré que c’était de manière téméraire que certains savants avaient déclaré que le vide était impossible dans le monde, ou que l’eau ne pouvait s’élever dans un tube que jusqu’à une hauteur constante, sans en avoir d’abord fait une expérience expresse. Elle montre que les athées raisonnent comme le peuple qu’ils méprisent (« populaire façon de juger »), ou comme des naïfs, sans fondement, autrement dit qu’ils sont coupables de vanité.

Le thème de ce fragment répond à celui de A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182) : Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être.

En fait, ce serait l’impossibilité absolue de la conception virginale de Marie et la résurrection du Christ qui seraient anormales. Voir Soumission 2 (Laf. 168, Sel. 199) : Que je hais ces sottises de ne pas croire l’eucharistie, etc. Si l’évangile est vrai, si J.-C. est Dieu, quelle difficulté y a-t-il là ?