Mémorial – Papier original : RO D et E

Copies du XVIIe s. : absent de C1 et C2 (le document ne fait pas partie du projet apologétique)

Copies du XVIIIe s. : copie Périer (Sainte-Beuve) p. 1 et 1 v°, copie Montempuys p. 9 et 10,

                               Troisième Recueil Guerrier p. 213, copie Théméricourt p. 24

Éditions du XVIIIe s. : Recueil d’Utrecht (1740) p. 259 / Condorcet (1776) p. [504] / Bossut (1779) p. 549

Éditions modernes : Faugère I, 239 / Havet (1866) t. I, p. CVI / Brunschvicg t. I, p. 3 / Tourneur p. 19 / Le Guern 711 / Lafuma 913 / Sellier 742 / Mesnard OC III, p. 19-56

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Éclaircissements

 

 

Sommaire

 

Bibliographie

Généralités

Histoire du Mémorial

Interprétation d’ensemble du Mémorial : que rapporte le Mémorial ?

Le Mémorial, texte mystique

Mémorial et liturgie

Amulette, écrit hiéroglyphique

La rédaction du Mémorial

Le Mémorial, texte de mémoire

Le Mémorial et la Bible

Le Mémorial, texte poétique et musical

Analyse du Mémorial (papier original)

Analyse des textes présents uniquement sur la copie du parchemin

 

 

L’an de grâce 1654.

Lundi 23 novembre, jour de saint Clément

Pape et m. et autres au martyrologe romain

 

Martyrologe : liste ou catalogue des martyrs, dont on fait la lecture chaque jour à prime, pour ceux qui sont honorés ce jour-là.

Le manuscrit donne jour de St. Clément pape martyr et autres au Martyrologe. Le parchemin précise : au martyrologe romain.

OC III, éd. J. Mesnard, p. 52. Note sur le Martyrologe romain. Voir sur ce point Mesnard Jean, “Bible et liturgie dans le Mémorial”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, p. 188 sq. La précision romain s’explique par l’existence d’un Martyrologium gallicanum datant de 1637, établi par André Du Saussay, qui fut pendant plus de dix ans supérieur de Port-Royal, et eut à présider à l’information sur le miracle de la sainte Épine. Le Martyrologe romain date de la fin du XVIe siècle. Il a été établi sous la direction du cardinal Baronius ; le texte en a été promulgué en 1584. Pascal précise donc le martyrologe auquel il se réfère.

 

veille de saint Chrysogone m. et autres, etc.

 

Le manuscrit donne veille de St. Chrysogone martyr et autres. Le parchemin ajoute : etc.

 

Depuis environ dix heures et demi du soir

jusques environ minuit et demi.

------------------------------------FEU.----------------------------------

Dieu d’Abraham. Dieu d’Isaac. Dieu de Jacob

non des philosophes et savants.

Certitude, joie, certitude, sentiment, vue, joie

 

Le manuscrit original donne : Certitude certitude sentiment joie paix.

Le mot vue manque dans l’original. C’est un terme qui a dû être ajouté dans la mise au net perdue dont la copie figurée est le reflet. Le mot comporte deux idées. La première est celle de l’évidence immédiate que donne le fait de voir quelque chose. Voir la manière dont Pascal définit une telle évidence dans la Provinciale IV, 16. « 16. Je pris la parole à ce discours, pour lui dire : Et quoi ! mon Père, faut-il recourir à l’Écriture pour montrer une chose si claire ! Ce n’est pas ici un point de foi, ni même de raisonnement. C’est une chose de fait. Nous le voyons, nous le savons, nous le sentons. » Une seconde idée est ici contenue, c’est que nous voyons les choses comme le cœur les fait voir, selon qu’il est bon ou mauvais. Voir le commentaire de Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 34. Par vue, Pascal entend une espèce d’inversion dans les sentiments : p. 34. Ce que c’est que voir un miracle : p. 34 sq. Or tout sentiment implique un jugement de valeur, et en ce sens une connaissance : p. 34. C’est une révolution qui s’effectue dans le monde des valeurs : ce qui plaisait cesse de plaire, ce qui avait du prix n’en a plus, des jugements qui paraissaient naturels perdent leur évidence : p. 35. L’amour de Dieu fait voir les choses du monde de telle façon qu’elles ne sont plus senties comme biens.

 

Dieu de Jésus‑Christ.

Deum meum et Deum vestrum.

                                            Jean 20. 17.

 

Jean, XX, 17. « Jésus lui répondit : Ne me touchez point ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père : mais allez trouver mes frères, et dites-leur de ma part : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (tr. de la Bible de Port-Royal). La référence ne se trouve pas sur le papier original.

 

Ton Dieu sera mon Dieu. Ruth.

 

La référence au livre de Ruth ne se trouve pas sur l’original sur papier, mais seulement sur la copie figurée du parchemin.

 

Oubli du monde et de Tout hormis DIEU

Il ne se trouve que par les voies enseignées

dans l’Évangile. Grandeur de l’âme humaine.

Père juste, le monde ne t’a point

connu, mais je t’ai connu. Jean 17.

 

La référence ne se trouve pas sur le papier original.

Jean, XVII, 25. « Pater juste et mundus te non cognovit ego autem te cognovi et hi cognoverunt quia tu me misisti » ; « Père juste, le monde ne vous a point connu ; mais moi je vous ai connu, et ceux-ci ont connu que vous m’avez envoyé » (tr. Sacy). Ce sont des paroles du Christ après la Cène.

Mesnard Jean, “Bible et liturgie dans le Mémorial”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, p. 196 sq. Origine de cette phrase : la traduction française de la Bible par les docteurs de Louvain, publiée en 1550 et rééditée en 1578, et qui dérive de la Bible de Lefèvre d’Étaples (Anvers, 1530). Comparaison avec la traduction proposée dans la Bible de Port-Royal (Nouveau Testament de Mons) : p. 197.

 

Joie, joie, joie et pleurs de joie ---------------------------------

 

Le manuscrit original donne : Joie joie joie pleurs de joie.

 

Je m’en suis séparé -----------------------------------------------

Dereliquerunt me fontem -----------------------------------------

mon Dieu, me quitterez‑vous -----------------------------------

que je n’en sois pas séparé éternellement.

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Cette est la vie éternelle, qu’ils te connaissent

seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé

Jésus-Christ ---------------------------------------------------------

Jésus-Christ ------------------------------------------------------

                                   je l’ai fui, renoncé, crucifié

je m’en suis séparé,  -----------------------------------------------

que je n’en sois jamais séparé ----------------------------------

il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile.

Renonciation totale et douce ----------------------------

Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.

 

Voir le commentaire du P. Guerrier dans OC III, éd. J. Mesnard, p. 55-56. Ce verset figure sur la copie du parchemin, mais était absent du papier original. Voir p. 22, sur cette différence.

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008, p. 58, et l’analyse p. 125 sq. Voir aussi p. 84 sq., sur la servitude et la filiation adoptive, et les traits propres de la soumission pascalienne à Jésus-Christ : p. 85 sq. Elle va d’abord et avant tout à l’humanité de Jésus-Christ considérée en soi-même, plutôt que déifiée de par l’union hypostatique, comme on l’observe chez Bérulle : p. 85.

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, p. 60 sq.

Cette décision de soumission fait peut-être écho à l’échec que Pascal a connu dans son contact avec M. de Rebours. Les rencontres de celui-ci avec Blaise Pascal, au début de 1648, se sont passées, selon ce dernier, dans « une équivoque, et dans un embarras [...] qui ne s’est pu débrouiller » et qui semble avoir procédé d’un désaccord sur la place de la raison dans les choses de la foi. Leurs entretiens, dont Pascal parle dans sa lettre du 26 janvier 1648 à Gilberte Périer, se sont sans doute arrêtés très vite. Voir OC II, p. 552 sq. C’est Singlin qui reçoit Blaise Pascal comme pénitent après sa seconde conversion. Celui-ci, selon Thomas Du Fossé, « lui faisait voir ses écrits comme à un homme qui, bien qu’il n’eût pas une grande érudition, excellait en jugement et en justesse d’esprit ». Mais il semble bien que la soumission n’ait pas toujours été aussi totale que cette résolution semble indiquer : Pascal n’écoute pas, apparemment, les scrupules de Singlin durant la polémique des Provinciales : après la seizième Provinciale, Singlin a craint comme la mère Angélique que l’on ne s’éloigne trop de la charité chrétienne.

Cependant Jacqueline fait l’éloge de la soumission de Pascal à son directeur dans une lettre à Gilberte, du 8 décembre 1654, OC III, éd. J. Mesnard, p. 68 : « Il est tout rendu à la conduite de M. S[inglin] ; et j’espère que ce sera dans une soumission d’enfant, s’il veut le recevoir, car il ne lui a pas encore accordé ; j’espère néanmoins qu’à la fin il ne nous refusera pas. Quoiqu’il se trouve plus mal qu’il n’a fait depuis longtemps, cela ne l’éloigne nullement de son entreprise, ce qui montre que ses raisons d’autrefois n’étaient que des prétextes. Je remarque en lui une humilité et une soumission, même envers moi, qui me surprend. Enfin je n’ai plus rien à vous dire, sinon qu’il paraît clairement que ce n’est plus son esprit naturel qui agit en lui ». Pendant la retraite qui eut lieu du 7 au 28 janvier 1655, Pascal fut placé sous la direction spirituelle de Sacy, ce qui donna lieu à des entretiens dont le ton joyeux déconcertait Jacqueline, et dont L’entretien avec Monsieur de Sacy donne une idée.

Descamps Geneviève, “Jacqueline et Gilberte Pascal, témoins de la conversion de Blaise”, Chroniques de Port-Royal, n° 31, 1982, p. 31-44.

 

Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre.

 

Voir le commentaire du P. Guerrier dans OC III, p. 55-56. Ce verset figure sur la copie du parchemin, mais manque sur le papier original. Voir p. 22 sur cette différence.

Mesnard Jean, “Un jour secret et indicible”, Blaise Pascal, Les Cahiers de Science et Vie, n° 27, juin 1995, p. 17-18. La formule peut s’entendre en deux sens : elle peut désigner la peine (exercice) d’une vie qui, par comparaison avec l’éternité, se réduit à un jour, ou à rien. Mais on peut aussi comprendre que la joie conquise au début de la nuit a été d’abord le fruit d’une préparation méthodique (autre sens du mot exercice) menée durant la journée.

Daniélou Jean, “La nuit de Pascal”, La Table ronde, 171, avril 1962, p. 19.

Leduc-Fayette Denise, Pascal et le mystère du mal, p. 54. Sur la notion d’épreuve.

Belin Christian, La conversation intérieure, La méditation en France au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2002, p. 363 sq., sur le choc des deux temporalités, chrétienne et mondaine.

Sellier Philippe, “Joie et mystique chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e édition, Paris, Champion, 2010, p. 627-648. Voir p. 633-634 sur cette formule, qui souligne le contresens qui fait du jansénisme une théologie de la tristesse.

 

Non obliviscar sermones tuos.

 

Psaumes, 118 (119), 6. « In iustificationibus tuis meditabor non obliviscar sermones tuos ».

Sellier Philippe, “Pascal et le psaume 118”, Port-Royal et la littérature, 2e édition, Paris, Champion, 2010, p. 211-220. Influence du Psaume 118 sur le Mémorial, notamment pour la fin, « Mandata tua non sum oblitus ».

Sellier Philippe, “Joie et mystique chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, 2e édition, Paris, Champion, 2010, p. 627-648. Voir p. 633.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, Seconde édition, p. 41. Promesse qui est aussi une supplication de n’être pas abandonné.

 

Amen.

 

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Amen, p. 57-58. Mot signifiant en vérité, ou ainsi soit-il, employé pour appuyer un vœu, mais plus spécifiquement pour confirmer une bénédiction, un serment ou une prière. Les chrétiens ont emprunté à l’office chanté des lévites l’usage de ce mot.

Le mot accentue l’aspect liturgique du texte.