Dossier de travail - Fragment n° 24 / 35  – Papier original : RO 489-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 21 p. 195 v° / C2 : p. 7

Éditions de Port-Royal : Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janvier 1670 p. 168  / 1678 n° 2 p. 165

Éditions savantes : Faugère II, 99, XXII / Havet VIII.9 / Brunschvicg 395 / Tourneur p. 304-4 / Le Guern 385 / Lafuma 406 / Sellier 25

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

COUSIN Victor, Des Pensées de Pascal, nouv. éd. revue et augmentée, Paris, Ladrange, 1844.

DROZ Edouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, Paris, Alcan, 1886.

FERREYROLLES Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995.

LAPORTE Jean, Le cœur et la raison selon Pascal, Elzévir, Paris, 1950.

McKENNA Antony, “Les Pensées de Pascal : une ébauche d’apologie sceptique”, in MOREAU Pierre-François (dir.), Le retour des philosophies antiques à l’âge classique, II, Le scepticisme au XVIe et au XVIIe siècle, Albin Michel, Paris, 2001, p. 348-361.

MESNARD Jean, Pascal ou la maîtrise de l’esprit, Bulletin de la Société française de philosophie, n° 3, 2008, p. 1-38.

PAVLOVITS Tamàs, Le rationalisme de Pascal, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007.

PRIGENT Jean, “La réflexion pascalienne sur les principes”, Mélanges de littérature française offerts à M. René Pintard, Strasbourg, Centre de Philologie et de littérature romanes, Klincksieck, Paris, 1975, p. 117-128.

PRIGENT Jean, “Pascal pyrrhonien, géomètre, chrétien”, in Pascal présent, 1662-1692, Clermont-Ferrand, De Bussac, 1963, p. 59-76.

 

 

Éclaircissements

 

Instinct, raison.

 

Ce titre apparaît dans d’autres fragments des Pensées. Voir Grandeur 8 (Laf. 112, Sel. 144) : Instinct et raison, marques de deux natures.

Instinct : sagacité naturelle qu’ont les animaux pour se conduire, et rechercher ce qui leur est propre, qui supplée chez eux au défaut du raisonnement. Instinct se dit aussi d’un certain pressentiment ou mouvement secret qui fait agir l’homme naturellement et sans raisonner (Furetière).

Le sens du latin médiéval instinctus est : l’instinct ou appétit naturel sensitif est l’inclination naturelle qui suit la connaissance acquise par l’estimative. C’est la faculté par laquelle l’animal tend à s’approprier ce qui lui est utile et à repousser ce qui lui est nuisible. L’estimative (substantif) est la connaissance qui nous apprend à juger et estimer des choses dont nous pouvons approcher ; il faut qu’un ingénieur ait l’estimative bonne pour connaître de loin la longueur d’une courtine, pour avoir accoutumé longtemps son imagination à faire cette estimation, ce jugement (Furetière).

Le mot instinct n’appartient guère au vocabulaire cartésien. La notion d’instinct fait chez Descartes l’objet d’une distinction en plusieurs aspects, dans sa lettre au P. Mersenne du 16 octobre 1639 : « Je distingue deux sortes d’instincts : l’un est en nous en tant qu’hommes et est purement intellectuel, c’est la lumière naturelle ou intuitus mentis, auquel seul je tiens qu’on doit se fier ; l’autre est en nous en tant qu’animaux, et est une certaine impulsion de la nature à la conservation de notre corps, à la jouissance des voluptés corporelles, etc., lequel ne doit pas toujours être suivi. »

Le sens moderne conserve l’opposition de l’instinct à l’intelligence. Voir Lalande André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, art. Instinct, p. 519-520.

Sur la notion pascalienne de l’instinct, voir les commentaires du fragment Contrariétés 11 (Laf. 128, Sel. 161). L’instinct se distingue de la raison en ce qu’il procède par intuition, et engendre une évidence immédiate, alors que la raison procède en associant des conséquences à partir de principes, de manière médiate et progressive. L’instinct est pour Pascal le mode d’action du cœur, qui révèle par évidence immédiate certains principes de connaissance, ou certains objets qui plaisent à la volonté.

Philosophes 5 (Laf. 143, Sel. 176). Philosophes. Nous sommes pleins de choses qui nous jettent au-dehors. Notre instinct nous fait sentir qu’il faut chercher notre bonheur hors de nous. Nos passions nous poussent au dehors, quand même les objets ne s’offriraient pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent d’eux-mêmes et nous appellent quand même nous n’y pensons pas. Et ainsi les philosophes ont beau dire : Rentrez-vous en vous-mêmes, vous y trouverez votre bien ; on ne les croit pas et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots.

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, p. 51. L’instinct est la marque de la première nature, antérieure au péché originel ; la raison est marquée par la corruption en ce qu’elle peut prouver n’importe quoi.

Le sens du titre n’est pas immédiatement évident. Il n’est directement question ni d’instinct ni de raison dans les deux énoncés qui suivent, mais on peut rattacher raison à la proposition sur l’impuissance de prouver et instinct au fait que l’homme a naturellement une idée de la vérité qui vient du cœur.

 

Nous avons une impuissance de prouver invincible à tout le dogmatisme.

 

Invincible à tout le dogmatisme : que le dogmatisme ne peut pas vaincre. La tournure n’est pas indiquée dans Furetière.

L’esprit géométrique montre que l’homme a, selon Pascal, une capacité de prouver. Pascal soutient la même idée dans les Pensées, notamment dans le fragment Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142) : Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes : comme qu’il y aespace, temps, mouvement, nombres, aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes. Pour vouloir y consentir qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir.

Il ne s’agit pas seulement d’une conviction de savant ; cette thèse que le péché originel n’a pas gâté en l’homme la faculté d’associer des propositions selon l’ordre qui convient est aussi l’une des thèses qui caractérisent l’augustinisme port-royaliste, mais que l’on trouve chez d’autres théologiens, comme François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, I, XVII, Œuvres, Pléiade, p. 400 : « Le péché a beaucoup plus débilité la volonté humaine, qu’il n’a offusqué l’entendement ». On trouve la même thèse chez les auteurs de Port-Royal : l’homme raisonne et calcule après le péché originel aussi bien qu’avant que sa nature soit corrompue. Nicole explique ce point dans les notes en latin qu’il a composées pour l’édition commentée des Provinciales, dont Melle de Joncoux a publié la traduction en français.

Wendrock, Provinciales, tr. Joncoux, II, Note sur la Quatorzième lettre, ou Dissertation théologique sur l’homicide, éd. de 1700, p. 296 sq. :

« Le péché originel qui, comme la foi l’enseigne, a corrompu toute la nature humaine, n’a pas seulement corrompu notre corps, mais il a fait aussi une plaie très funeste à notre âme, et l’a blessée dans ses deux principales facultés, l’entendement et la volonté ; l’une et l’autre ont participé à ce péché, et en ont éprouvé les suites malheureuses. L’entendement obscurci et comme aveuglé, s’est trouvé incapable de connaître la vérité, et la volonté, en se séparant du souveraine bien, s’est répandue dans l’amour des créatures et d’elle-même. Cependant comme la volonté avait eu plus de part au péché que l’entendement, sa corruption a été beaucoup plus grande que les ténèbres de l’entendement n’ont été épaisses.

Mais comme la volonté ne peut être corrompue qu’elle n’obscurcisse l’entendement, cette corruption de la volonté a répandu de nouvelles ténèbres dans l’esprit à l’égard de toutes les choses vers lesquelles la volonté s’est portée par un amour déréglé. C’est ce qui fait que notre esprit n’est jamais plus obscurci et plus aveugle, que quand il s’agit de discerner le bien d’avec le mal, et de choisir les règles qu’il doit suivre dans sa conduite, parce qu’outre son peu de pénétration naturelle, il est encore environné des ténèbres qui viennent de la concupiscence. C’est ce qui produit cette diversité infinie de mœurs que nous voyons parmi les hommes. C’est ce qui fait qu’il n’y a rien de si impie et de si criminel qui ne soit regardé dans quelque partie du monde comme saint et comme permis. Si l’esprit ne comprend pas les mystères de la foi, au moins ne les hait-il pas. Mais il a de l’éloignement et de l’aversion pour les préceptes moraux qui lui commandent de mettre un frein à ses passions. C’est pourquoi on persuadera bien plutôt à un Chinois ou à un Américain de croire qu’il n’y a qu’un seul Dieu, que de renoncer à la pluralité des femmes, ou de réprimer les mouvements de la vengeance ».

Arnauld d’Andilly Robert, Traduction d’un discours de la réformation de l’homme intérieur où sont établis les véritables fondements des vertus chrétiennes, selon la doctrine de saint Augustin, prononcé par Cornelius Jansénius Evêque d’Ipre, p. 19-20. « Ainsi l’orgueil ayant corrompu la volonté de l’homme ; comme si par cette enflure ses yeux se fussent fermés et obscurcis, les ténèbres se formèrent en même temps dans son esprit ; et il devint aveugle jusques à tel point, que l’un des deux crut que le Serpent lui disait la vérité ; et l’autre, que se rendant compagnon dans le crime de celle qui était sa compagne dans sa vie, et dans son bonheur, sa désobéissance au commandement de Dieu ne serait qu’une faute pardonnable. »

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, p. 58 sq. Même après la corruption de la nature, le bon sens, c’est-à-dire la faculté d’apercevoir les rapports des choses et de discerner le vrai du faux, n’admet ni altération ni degré (c’est ce que dit Descartes dans la première partie du Discours de la méthode). Mais la corruption fait perdre le discernement des principes les plus évidents, qui sont perdus dans la multitude confuse des faux ; et la concupiscence fait toujours préférer les principes contraires à la vérité. Sur cet aveuglement, voir p. 58 sq. Sur le dérèglement qui en résulte, voir p. 64 sq. L’origine de cet aveuglement est en dernière instance réductible à la dépravation de la volonté : p. 71 sq.

La raison par elle-même est moins viciée que le cœur, mais la sédition commence en la volonté, et de là s’étend à l’entendement. Ce qui corrompt la raison et la conduit à l’erreur, ce sont les principes sur lesquels elle s’appuie, qu’ils soient imposés par la fantaisie, par l’imagination, ou par la concupiscence et l’égoïsme qui ont envahi le cœur après la faute originelle.

C’est de là que certain usage déréglé de la raison peut aboutir à d’énormes aberrations. La polémique des Provinciales a montré à Pascal que l’on peut très bien, avec une méthode entièrement fondée sur la raison, aboutir à des conclusions entièrement contraires au bon sens, voir délirantes. C’est le cas de la doctrine de la probabilité telle que les casuistes l’ont élaborée. À partir de définitions et de principes que Pascal expose dans la Ve Provinciale, les casuistes arrivent à approuver des maximes entièrement contraires à la morale chrétienne et même civile.

Cette impuissance à démontrer à partir de principes viciés par l’imagination ou la fantaisie est particulièrement frappante dans le fragment Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94). Sur quoi la fondera-t-il l’économie du monde qu’il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? Quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? il l’ignore. Certainement s’il la connaissait il n’aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays. L’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples. Et les législateurs n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands. On la verrait plantée par tous les États du monde, et dans tous les temps, au lieu qu’on ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat, trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence, un méridien décide de la vérité. En peu d’années de possession les lois fondamentales changent, le droit a ses époques, l’entrée de Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une rivière borne. Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà.

Ils confessent que la justice n’est pas dans ces coutumes, mais qu’elle réside dans les lois naturelles communes en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle. Mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s’est si bien diversifié qu’il n’y en a point.

C’est en ce sens que le dogmatisme, qui suppose que la démonstration doit nécessairement conduire à la vérité, vit en quelque sorte dans le déni de la réalité.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 249 sq. Ignorance et concupiscence.

McKenna Antony, “Deux termes-clefs du vocabulaire pascalien : idée et fantaisie”, in Meurillon Christian (dir.), Pascal, l’exercice de l’esprit, Revue des sciences Humaines, 244, décembre 1996, p. 103-116.

McKenna Antony, “Les Pensées de Pascal : une ébauche d’apologie sceptique”, in Moreau Pierre-François (dir.), Le retour des philosophies antiques à l’âge classique, II, Le scepticisme au XVIe et au XVIIe siècle, p. 348-361.

Sur l’usage que Pascal fait du scepticisme, voir le livre ancien, mais qui mérite toujours d’être lu, de Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, qui prenant le contrepied du Rapport de Victor Cousin, combat l’idée que la philosophie de Pascal est un pyrrhonisme issu de la lecture de Montaigne, et tente de montrer que la tendance dogmatique existe aussi chez Pascal.

 

Nous avons une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme.

 

Une idée de la vérité : l’expression est ambiguë selon qu’on l’entend du quid ou du quod. Pascal veut-il dire que nous avons une connaissance de la vérité, en ce sens que nous savons ce qui est vrai, assez forte pour que le pyrrhonisme ne puisse l’entamer (par exemple nous savons que nous ne rêvons pas), ou que nous avons une certaine idée de ce qu’est la vérité comme telle (impliquée dans le fait que nous cherchons toujours le vrai) ?

Sur la capacité de connaissance par la raison humaine, malgré toutes les attaques du scepticisme, voir Pavlovits Tamàs, Le rationalisme de Pascal, passim.

Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142). Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes : comme qu’il y aespace, temps, mouvement, nombres, aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes. Pour vouloir y consentir qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir. Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison - qui voudrait juger de tout - mais non pas à combattre notre certitude.

L’idée qu’il existe un « instinct impuissant » en l’homme, qui le pousse à rechercher une vérité qu’il a perdue est formulée dans le fragment A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Voilà l’état où les hommes sont aujourd’hui. Il leur reste quelque instinct impuissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence qui est devenue leur seconde nature.

Noter le parallélisme de construction, qui met en parallèle deux vérités contraires. Pascal ne se contente pas d’affirmer que le pyrrhonisme établit l’impuissance de l’homme à prouver la vérité, et que le dogmatisme s’appuie sur l’idée de la vérité qui se trouve en l’homme. Il place chaque affirmation en regard de la doctrine contraire : l’impuissance à prouver est invincible à tout le dogmatisme, et l’idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme, de sorte qu’il place son lecteur devant une situation intenable, entre l’exigence et l’impossibilité de trouver la vérité.

Il a développé ce dilemme insoluble dans le fragment Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164). Les principales forces des pyrrhoniens, je laisse les moindres, sont que nous n’avons aucune certitude de la vérité de ces principes, hors la foi et la révélation, sinon en (ce) que nous les sentons naturellement en nous. Or ce sentiment naturel n’est pas une preuve convaincante de leur vérité, puisque n’y ayant point de certitude hors la foi, si l’homme est créé par un dieu bon, par un démon méchant ou à l’aventure il est en doute si ces principes nous sont donnés ou véritables, ou faux, ou incertains selon notre origine. [...] Voilà les principales forces de part et d’autre, je laisse les moindres comme les discours qu’ont faits les pyrrhoniens contre les impressions de la coutume de l’éducation, des mœurs des pays, et les autres choses semblables qui quoiqu’elles entraînent la plus grande partie des hommes communs qui ne dogmatisent que sur ces vains fondements sont renversés par le moindre souffle des pyrrhoniens. On n’a qu’à voir leurs livres ; si l’on n’en est pas assez persuadé on le deviendra bien vite, et peut-être trop. Je m’arrête à l’unique fort des dogmatistes, qui est qu’en parlant de bonne foi et sincèrement on ne peut douter des principes naturels. Contre quoi les pyrrhoniens opposent, en un mot, l’incertitude de notre origine qui enferme celle de notre nature. A quoi les dogmatistes sont encore à répondre depuis que le monde dure. [...] Que fera donc l’homme en cet état ? doutera-t-il de tout, doutera-t-il s’il veille, si on le pince, si on le brûle, Doutera-t-il s’il doute, doutera-t-il s’il est. On n’en peut venir là, et je mets en fait qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. La nature soutient la raison impuissante et l’empêche d’extravaguer jusqu’à ce point. Dira-t-il donc au contraire qu’il possède certainement la vérité lui qui, si peu qu’on le pousse, ne peut en montrer aucun titre et est forcé de lâcher prise ?