Dossier de travail - Fragment n° 32 / 35 – Papier original : RO 79-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 28 p. 197 v° / C2 : p. 9-10
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVI - Misère de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 216-217 /
1678 n° 3 p. 210-211
Éditions savantes : Faugère II, 40, VII / Havet IV.4 / Brunschvicg 171 / Tourneur p. 306-1 / Le Guern 393 / Lafuma 414 / Sellier 33
Misère.
La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c’est la plus grande de nos misères. Car c’est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre insensiblement. Sans cela nous serions dans l’ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen plus solide d’en sortir, mais le divertissement nous amuse et nous fait arriver insensiblement à la mort.
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Le fragment est intitulé Misère et non Divertissement. Mais il établit un lien étroit entre ces deux idées qui permet à Pascal de les approfondir l’une par l’autre. Le divertissement apparaît ici comme la plus grande de nos misères. Et la misère apparaît non plus seulement comme un caractère simple de la nature humaine, mais aussi comme l’œuvre de l’homme, qui rend lui-même sa misère volontaire et nécessaire.
Le texte enferme plusieurs paradoxes dont Pascal forme un système :
L’ennui qu’engendre chez l’homme la vue de ses misères le plonge dans le désespoir.
Cet ennui, tout effrayant qu’il soit, a ceci de bon qu’il pourrait conduire l’homme à chercher une issue à sa condition.
Symétriquement :
Le divertissement paraît être un avantage parce qu’il console l’homme de ses misères.
Mais comme il conduit insensiblement l’homme à la mort, il est sa plus grave misère.
Fragments connexes
Divertissement 2 (Laf. 133, Sel. 166). Divertissement.
Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser.
Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168). Prenez-y garde, qu’est-ce autre chose d’être surintendant, chancelier, premier président sinon d’être en une condition où l’on a le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux-mêmes, et quand ils sont dans la disgrâce, et qu’on les renvoie à leurs maisons des champs où ils ne manquent ni de biens ni de domestiques pour les assister dans leur besoin ils ne laissent pas d’être misérables et abandonnés parce que personne ne les empêche de songer à eux.
Souverain bien 2 (Laf. 148, Sel. 181). Une épreuve si longue si continuelle et si uniforme devrait bien nous convaincre de notre impuissance d’arriver au bien par nos efforts. Mais l’exemple nous instruit peu. Il n’est jamais si parfaitement semblable qu’il n’y ait quelque délicate différence et c’est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l’autre, et ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais, l’expérience nous pipe, et de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort qui en est un comble éternel.
Commencement 16 (Laf. 166, Sel. 198). Nous courons sans souci dans le précipice après que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir.
Pensées diverses (Laf. 622, Sel. 515). Ennui.
Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application.
Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.
Mots-clés : Amuser – Chercher – Consoler – Divertissement – Ennui – Misère – Mort (voir Mourir) – Songer.