Dossier de travail - Fragment n° 7 / 35  – Papier original : RO 485-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 5 p. 191-191 v° / C2 : p. 2

Éditions savantes : Faugère II, 325, XXIV / Havet XXV.176 / Brunschvicg 794 / Tourneur p. 300-4 / Le Guern 368 / Lafuma 389 / Sellier 8

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Bibliographie

 

 

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, 2e éd., Paris, Vrin, 1971.

MESNARD Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965.

SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 485-510.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

Voir les bibliographies des liasses Loi figurative et Prophéties.

 

 

Éclaircissements

 

Ces questions sont posées en termes proches dans le fragment Fondement 1 (Laf. 223, Sel. 256). Il faut mettre au chapitre des fondements ce qui est en celui des figuratifs touchant la cause des figures. Pourquoi Jésus-Christ prophétisé en son premier avènement, pourquoi prophétisé obscurément en la manière. Ce texte présente l’intérêt de rapprocher le présent fragment de la liasse Fondement.

 

Pourquoi Jésus-Christ n’est‑il pas venu d’une manière visible au lieu de tirer sa preuve des prophéties précédentes ?

 

La question peut se formuler de la manière suivante : pourquoi, au lieu de faire paraître clairement le Christ comme Dieu, avoir préféré le faire annoncer par la tradition prophétique ? La réponse à cette question se fonde sur la doctrine du Dieu caché (Isaïe, XLV, 15) : « Vere tu es deus absconditus ».

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). La religion chrétienne repose sur le principe que les hommes sont dans les ténèbres et dans l'éloignement de Dieu, qu'il s'est caché à leur connaissance, que c'est même le nom qu'il se donne dans les Écritures, Deus absconditus et, enfin, si elle travaille également à établir ces deux choses : que Dieu a établi des marques sensibles dans l'Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement ; et qu'il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur.

Il faut cependant noter que les prophètes ne trompent pas le peuple, puisqu’ils disent explicitement que le Messie n’apparaîtra pas comme « évidemment Dieu » : voir Fondement 5 (Laf. 228, Sel. 260). Que disent les prophètes de Jésus-Christ ? qu'il sera évidemment Dieu ? non mais qu'il est un Dieu véritablement caché, qu'il sera méconnu, qu'on ne pensera point que ce soit lui, qu'il sera une pierre d'achoppement, à laquelle plusieurs heurteront, etc. Qu'on ne nous reproche donc plus le manque de clarté puisque nous en faisons profession. Mais, dit-on, il y a des obscurités et sans cela on ne serait pas aheurté à Jésus-Christ. Et c'est un des desseins formels des prophètes : excaeca.

Laf. 793, Sel. 646. Il est juste qu'un Dieu si pur ne se découvre qu'à ceux dont le cœur est purifié.

Pour répondre à cette intention, Jésus-Christ ne devait pas paraît « d’une manière visible » : si cela avait été le cas, il n’y aurait plus eu d’hésitation possible de la part des hommes à le croire, et par suite, il n’y aurait aucun mérite dans la foi. Ce point est clairement expliqué dans la lettre aux Roannez du 29 octobre 1656, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 1035 sq. L'étrange secret de Dieu : « il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude. Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait point de mérite à le croire ; et s'il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu'il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s'est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre jusques à l'Incarnation ; et quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses Apôtres de demeurer avec les hommes jusques à son dernier avènement, il a choisi d'y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l'Eucharistie. C'est ce sacrement que saint Jean appelle dans l'Apocalypse une manne cachée ; et je crois qu'Isaïe le voyait en cet état, lorsqu'il dit en esprit de prophétie : Véritablement tu es un Dieu caché. C'est là le dernier secret où il peut être. »

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 502. Jésus-Christ, Dieu caché.

Mesnard Jean, Pascal devant Dieu, p. 68 sq. Le mystère de Dieu.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, 2e éd., Paris, Vrin, 1971, p. 192 sq. Comment se cache Dieu ?

Argument complémentaire : la tradition prophétique confirme l’idée de la perpétuité de la religion chrétienne. Le Messie a été annoncé dès le commencement du monde par les prophètes, de sorte que l’annonce en a été faite par toute la terre et en tous les temps. Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 476 sq.

La pensée de Pascal sur la grandeur du Christ est cependant plus complexe. Il soutient dans le fragment Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339) que cette grandeur est visible aux cœurs qui voient la Sagesse : Jésus-Christ sans biens, et sans aucune production au-dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n’a point donné d’inventions, il n’a point régné, mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Ô qu’il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence aux yeux du cœur et qui voient la sagesse ! [...] Qu’on considère cette grandeurlà dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l’élection des siens, dans leur abandonnement, dans sa secrète résurrection et dans le reste. On la verra si grande qu’on n’aura pas sujet de se scandaliser d’une bassesse qui n’y est pas. Mais les prophéties elles-mêmes font partie de cette grandeur divine :

Prophéties VII (Laf. 499, Sel. 736). Quel homme eut jamais plus d’éclat ? Le peuple juif tout entier le prédit avant sa venue. Le peuple gentil l’adore après sa venue. Ces deux peuples gentil et juif le regardent comme leur centre. Et cependant quel homme jouit jamais moins de cet éclat ?

L’objection ne porte donc pas réellement : l’annonce prophétique fait partie des éléments qui montrent la grandeur divine du Christ.

 

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Pourquoi s’est‑il fait prédire en figures ?

 

La raison d’être des figures est du même ordre que dans le cas précédent : l’usage d’un langage figuré fait que les cœurs purs les entendent dans leur sens spirituel, alors que les cœurs charnels demeurent arrêtés au sens littéral. Mais Pascal y ajoute une autre raison, qui touche la certitude des prophéties : il fallait que la promesse d’un Sauveur fût conservée durant les siècles d’une manière qui ôtât tout soupçon de falsification ou de corruption. Dieu, à cette fin, a confié les Écritures au peuple juif, dont le caractère très attaché à la lettre des textes, les conservât avec une constance exceptionnelle.

Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 484 sq.

Pascal développe cette thèse dans le fragment Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Raison pourquoi figures.

R. Ils avaient à entretenir un peuple charnel et à le rendre dépositaire du testament spirituel. (texte barré verticalement)

Il fallait que pour donner foi au Messie il y eût eu des prophéties précédentes et qu’elles fussent portées par des gens non suspects et d’une diligence et fidélité et d’un zèle extraordinaire et connu de toute la terre.

Pour faire réussir tout cela Dieu a choisi ce peuple charnel auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie comme libérateur et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimait.

Et ainsi il a eu une ardeur extraordinaire pour ses prophètes et a porté à la vue de tout le monde ces livres qui prédisent leur Messie assurant toutes les nations qu’il devait venir et en la manière prédite dans les livres qu’ils tenaient ouverts à tout le monde. Et ainsi ce peuple déçu par l’avènement ignominieux et pauvre du Messie ont été ses plus cruels ennemis, de sorte que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser et le plus exact et zélé qui se puisse dire pour sa loi et pour ses prophètes qui les porte incorrompus.

De sorte que ceux qui ont rejeté et crucifié Jésus-Christ qui leur a été en scandale sont ceux qui portent les livres qui témoignent de lui et qui disent qu’il sera rejeté et en scandale, de sorte qu’ils ont marqué que c’était lui en le refusant et qu’il a été également prouvé et par les justes juifs qui l’ont reçu et par les injustes qui l’ont rejeté, l’un et l’autre ayant été prédit.

[...] Voilà donc quelle a été la conduite de Dieu. Ce sens est couvert d’un autre en une infinité d’endroits et découvert en quelques‑uns rarement, mais en telle sorte néanmoins que les lieux où il est caché sont équivoques et peuvent convenir aux deux, au lieu que les lieux où il est découvert sont univoques et ne peuvent convenir qu’au sens spirituel.

De sorte que cela ne pouvait induire en erreur et qu’il n’y avait qu’un peuple aussi charnel qui s’y pût méprendre.

Car quand les biens sont promis en abondance qui les empêchait d’entendre les véritables biens, sinon leur cupidité qui déterminait ce sens aux biens de la terre. Mais ceux qui n’avaient de bien qu’en Dieu, les rapportaient uniquement à Dieu.

Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287). Dieu, pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants l’a fait prédire en cette sorte, si  la manière du Messie eût été prédite clairement il n’y eût point eu d’obscurité  même pour les méchants.

Si le temps  eût été prédit obscurément il y eût eu obscurité même pour les bonsne leur eût pas fait entendre que par exemple le ם signifie 600 ans. Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures.

Par ce moyen les méchants prenant les biens promis pour matériels s’égarent malgré le temps prédit clairement et les bons ne s’égarent pas.

Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis  ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants.

Voir sur ce point les liasses Loi figurative et Prophéties.