Dossier de travail - Fragment n° 35 / 35 – Papier original : RO 491-7
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 29 p. 199 / C2 : p. 10
Éditions de Port-Royal : Chap. XX - On ne connoist Dieu utilement que par Jésus-Christ : 1669 et janv. 1670
p. 157 / 1678 n° 2 p. 155
Éditions savantes : Faugère II, 317, X / Havet XXII.8 / Brunschvicg 548 / Tourneur p. 306-4 / Le Guern 396 / Lafuma 417 / Sellier 36
Dans l’édition de Port-Royal
Chapitre XX - On ne connoist Dieu utilement que par Jésus-Christ : 1669 et janv. 1670 p. 157 / 1678 n° 2 p. 155 |
Différences constatées par rapport au manuscrit original
Ed. janvier 1670 1 |
Transcription du manuscrit |
[Preuves par discours III - Laf. 449, Sel. 690] 3 [Preuves par les Juifs VI - Laf. 460, Sel. 699] 4 [Excellence 5 - Laf. 192, Sel. 225] 5 [Preuves par discours III - Laf. 449, Sel. 690] 6 Car non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus-Christ. [Dossier de travail - Laf. 416, Sel. 35] 7 et nous ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu, et dans notre 8 propre nature.
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Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus‑Christ, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus‑Christ. Nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus‑Christ. Hors de Jésus‑Christ, nous ne savons ce que c’est ni que de notre vie ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous‑mêmes. Ainsi sans l’Écriture, qui n’a que Jésus‑Christ pour objet, nous ne connaissons rien et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature.
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1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.
2 « Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes, et si impliquées, qu’elles frappent peu ; et quand cela servirait à quelques-uns, ce ne serait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration ; mais une heure après ils craignent de s’être trompés. Quod curiositate cognoverint, superbiâ amiserunt. »
« D’ailleurs ces sortes de preuves ne nous peuvent conduire qu’à une connaissance spéculative de Dieu, et ne le connaître que de cette sorte, c’est ne le connaître pas. » (glose)
3 « La Divinité des Chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités Géométriques et de l’ordre des éléments ; c’est la part des Païens. Elle ne consiste pas simplement en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suite d’années à ceux qui l’adorent ; c’est le partage des Juifs. Mais le Dieu d’Abraham, et de Jacob, le Dieu des Chrétiens est un Dieu d’amour et de consolation : c’est un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède : c’est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère, et sa miséricorde infinie ; qui s’unit au fonds de leur âme, qui la remplit d’humilité, de joie, de confiance, d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de lui-même. »
4 « Le Dieu des Chrétiens est un Dieu qui fait sentir à l’âme, qu’il est son unique bien, que tout son repos est en lui, et qu’elle n’aura de joie qu’à l’aimer ; et qui lui fait en même temps abhorrer les obstacles qui la retiennent et l’empêchent de l’aimer de toutes ses forces. L’amour-propre et la concupiscence qui l’arrêtent lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir, qu’elle a ce fonds d’amour-propre, et que lui seul l’en peut guérir. »
« Voilà ce que c’est que de connaître Dieu en Chrétien. Mais pour le connaître de cette manière, il faut connaître en même temps sa misère, son indignité, et le besoin qu’on a d’un médiateur pour se rapprocher de Dieu, et pour s’unir à lui. Il ne faut point séparer ces connaissances ; parce qu’étant séparées, elles sont non seulement inutiles, mais nuisibles. » (glose)
5 « La connaissance de Dieu sans celle de notre misère fait l’orgueil. La connaissance de notre misère sans celle de Jésus-Christ fait le désespoir. Mais la connaissance de Jésus-Christ nous exempte et de l’orgueil, et du désespoir ; parce que nous y trouvons Dieu, notre misère, et la voie unique de la réparer. »
6 « Nous pouvons connaître Dieu, sans connaître nos misères ; ou nos misères, sans connaître Dieu ; ou même Dieu et nos misères, sans connaître le moyen de nous délivrer des misères qui nous accablent. Mais nous ne pouvons connaître Jésus-Christ, sans connaître tout ensemble et Dieu, et nos misères, et le remède de nos misères ; parce que Jésus-Christ n’est pas simplement Dieu, mais que c’est un Dieu réparateur de nos misères.
Ainsi tous ceux qui cherchent Dieu sans Jésus-Christ, ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou qui leur soit véritablement utile. Car, ou ils n’arrivent pas jusqu’à connaître qu’il y a un Dieu ; ou, s’ils y arrivent, c’est inutilement pour eux ; parce qu’ils se forment un moyen de communiquer sans médiateur avec ce Dieu qu’ils ont connu sans médiateur. De sorte qu’ils tombent ou dans l’Athéisme, ou dans le Déisme, qui sont deux choses que la Religion Chrétienne abhorre presque également. »
« Il faut donc tendre uniquement à connaître Jésus-Christ, puisque c’est par lui seul que nous pouvons prétendre connaître Dieu d’une manière qui nous soit utile.
C’est lui qui est le vrai Dieu des hommes, c’est-à-dire des misérables, et des pécheurs. » (glose)
« Il est le centre de tout, et l’objet de tout ; et qui ne le connaît pas, ne connaît rien dans l’ordre du monde, ni dans soi-même. »
7 « Sans Jésus-Christ il faut que l’homme soit dans le vice et dans la misère ; avec Jésus-Christ l’homme est exempt de vice et de misère. En lui est tout notre bonheur, notre vertu, notre vie, notre lumière, notre espérance ; et hors de lui il n’y a que vice, misère, ténèbres, désespoir, »
8 La différence provient des Copies C1 et C2.
Commentaire
Port-Royal réunit plusieurs fragments en un corps d’argumentation qui, à partir de l’inutilité des preuves métaphysiques, montre ce que c’est que « connaître Dieu en chrétien ». Les éditeurs répartissent des parties du fragment et complètent en quelques endroits les remarques esquissées par Pascal. Le travail de réécriture est visible dans les gloses qui séparent les éléments du fragment. Les parties supprimées ont peut-être paru trop audacieuses aux éditeurs (par exemple la formule nous ne connaissons rien).