Preuves par discours II - Fragment n° 6 / 7  – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 36 p. 221 v° / C2 : p. 435

Le texte a été ajouté dans l’édition de 1678 : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1678 n° 20 p. 238-239

Éditions savantes : Faugère II, 23 / Havet IV.7 / Brunschvicg 199 / Le Guern 405 / Lafuma 434 (série IV) / Sellier 686

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Bibliographie

 

 

BOULLIER David Renaud, Apologie de la métaphysique, à l’occasion du Discours préliminaire de l’Encyclopédie, avec les Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. de Voltaire, suivis de trois lettres relatives à la philosophie de ce poète, Amsterdam, Jean Catuffe, 1753.

CAGNAT Constance, La mort classique. Écrire la mort dans la littérature française en prose de la seconde moitié du XVIIe siècle, Paris, Champion, 1995.

DEMOREST Jean, Dans Pascal. Essai en partant de son style, Paris, Minuit, 1953.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

Havet, édition des Pensées, IV, 7, 1866, I, p. 54-55.

LE GUERN Michel, L’image dans l’œuvre de Pascal, Paris, Klincksieck, 1983.

MALRAUX André, Œuvres complètes, I, Pléiade, Paris, Gallimard, 1989.

MESNARD Jean, “Voltaire et Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 589-599.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

SELLIER Philippe, “Pascal : imaginaire et théologie”, in Essais sur l’imaginaire classique, Paris, Champion, 2003, p. 175-193.

VOLTAIRE, Lettres philosophiques, XXV, § XXVIII, éd. A. McKenna et O. Ferret, Paris, Garnier, 2010.

 

 

Éclaircissements

 

Qu’on s’imagine

 

Sur l’usage que Pascal fait de l’imagination dans son apologie, voir Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, p. 273-292.

Le Guern Michel, L’image dans l’œuvre de Pascal, p. 176 sq. Les images de la prison et de l’abîme dans l’œuvre de Pascal. Sur Preuves par discours II, 6, voir p. 179. L’image est employée sous des formes et à des fins diverses dans plusieurs textes, qui tendent à créer une sensation de claustration et d’emprisonnement. Dans le présent fragment, l’image est censée posséder « une force de suggestion qui dépasse les limites de l’angoisse pour provoquer un véritable sentiment d’horreur ». « La condition tragique du prisonnier est encore dépassée par le tragique du sort qui l’attend. Même si l’image de la prison n’est pas particulièrement fréquente dans l’œuvre de Pascal, elle y prend un tel pouvoir de suggestion et un tel dynamisme qu’on pourrait la ranger parmi les images dominantes » : p. 179.

Demorest Jean, Dans Pascal. Essai en partant de son style, p. 116 sq.

 

un nombre d’hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant l’un l’autre avec douleur et sans espérance, attendent à leur tour.

 

Sellier Philippe, “Pascal : imaginaire et théologie”, in Essais sur l’imaginaire classique, Paris, Champion, 2003, p. 175-193 ; voir surtout la section Les ténèbres, le cachot et les chaînes, p. 180-184.

Plusieurs traits permettent de lier ce fragment à la liasse Commencement.

Le caractère théâtral et tragique de cette évocation est indiqué dans le fragment Commencement 15 (Laf. 165, Sel. 197). Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 84 sq. Contre la conception stoïcienne de la mort naturelle : p. 84-85. C’est l’horreur de la mort qui est naturelle : p. 85.

Le fragment Commencement 13 (Laf. 163, Sel. 195) se limitait à un protagoniste unique : Un homme dans un cachot, ne sachant pas si son arrêt est donné, n’ayant plus qu’une heure pour l’apprendre, cette heure suffisant s’il sait qu’il est donné pour le faire révoquer. Il est contre nature qu’il emploie cette heure là, non à s’informer si l’arrêt est donné, mais à jouer au piquet. Ainsi il est surnaturel que l’homme etc. C’est un appesantissement de la main de Dieu. Ainsi non seulement le zèle de ceux qui le cherchent prouve Dieu, mais l’aveuglement de ceux qui ne le cherchent pas.

Dans le présent fragment, Pascal amplifie le tragique en imaginant une scène de groupe. On la considère souvent comme un exemple caractéristique du tragique pascalien.

Sur la poésie tragique chez Pascal, voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 327-330.

Ce qui rend la scène imaginaire frappante, et différente d’un trait de satire, comme dit Voltaire, c’est le fait que, comme l’indique la note de Périer, c’est une figure. Elle comporte donc des éléments de conservation et des éléments de transformation.

Les éléments conservés sont 1. La proximité de la mort pour tous, nécessairement ; 2. Le fait que la mort des uns est un spectacle donné aux autres de ce qui les attend ; 3. Le fait que le spectacle de la mort des autres ne sert de rien pour améliorer la condition des suivants.

Les éléments de transformation sont les suivants : 1. La suppression de tous les éléments qui peuvent servir de divertissement : comme la mort des uns est donnée immédiatement en spectacle aux autres, tout ce qui peut servir de voile pour ne pas la voir est ôté ; 2. L’absence de ce dont Malraux fera un thème de La condition humaine, l’aide apportée par la solidarité entre les hommes ; l’inutilité de la fraternité dans le malheur est marquée par le fait que les condamnés ne regardent pas seulement leurs compagnons en train d’être égorgés, mais aussi ceux qui attendent encore comme eux : ils les regardent avec douleur, mais aussi sans espérance. 3. Le caractère inattendu, sinon de la mort, du moins de la date de cette mort : le temps est resserré, et c’est bien dans ce cas-là que vaut le fragment Prophéties 5 (Laf. 326, Sel. 358), si les passions ne nous tenaient point, huit jours et cent ans sont une même chose.

De quel type de tragique ? Il ne s’agit certainement pas d’un tragique de type cornélien, car chez Corneille, même dans les situations les plus graves, le désespoir est évité, fût-ce par des décisions extraordinaires ou apparemment absurdes. Le tragique cornélien provoque l’admiration pour le malheur.

Ici, on se trouve dans une situation qui est non seulement tragique, puisque les hommes meurent, mais dans une situation qui doit susciter l’effroi, car on met la mort par égorgement et le supplice des uns sous les yeux des autres. Il entre dans cette allégorie une part d’effroi qui correspond plutôt au tragique de la Renaissance qu’au tragique de proprement classique. On est proche d’un tragique comme celui de Les Juives de Garnier, où le supplice du roi Sédécias est montré aux femmes et aux enfants qui seront eux-mêmes massacrés.

Le dosage de l’horreur est une chose difficile ; on peut facilement susciter une réaction de rejet qui détruit l’effet dramatique recherché. Depuis la Renaissance, on sait que l’horreur suscite non pas l’adhésion, ni même la compassion, mais une réaction de rejet. Voir ce qu’en dit Laudun d’Aigaliers, dans L’art poétique de 1597 : « il ne faut pas toujours représenter les horreurs de la tragédie devant le peuple [...] comme de faire démembrer un enfant, cuire les entrailles et autres choses. La raison est pour ce que l’on ne le peut pas faire, car comment pourra-t-on démembrer un homme sur le théâtre ? l’on pourra bien dire qu’on le va démembrer derrière, et puis venir dire qu’il est démembré, et en apporter la tête ou autre partie. Je dirai ici en passant que la moitié de la tragédie se joue derrière le théâtre : car c’est là où se font les exécutions qu’on propose faire sur le théâtre ». Corneille dit clairement dans le Discours de la tragédie quelles sont les limites étroites dans lesquelles le poète tragique doit se servir de l’horreur : Horace exclut que Médée tue ses enfants, ni qu’Atrée fasse rôtir ceux de Thyeste à la vue du peuple, car l’horreur de ces actions engendre une répugnance à les croire.

Reprenant dans les Essais de morale la même imagination que Pascal, Nicole la pousse jusqu’à l’horrible, probablement sans se rendre compte de la réaction de rejet que le détail dans lequel il entre peut susciter chez le lecteur. Voir Havet, Pensées, IV, 7, éd. de 1866, I, p. 54-55, et commentaire p. 58-59 ; Havet trouve ce tableau « bien lugubre », et son style « teint de la plus noire mélancolie ». Havet renvoie à Nicole, De la crainte de Dieu, ch. V, Essais de morale, I, éd. de 1755, p. 173-176, qui donne d’abord à considérer au lecteur « ce nombre infini d’hommes que Dieu a abandonnés aux désirs de leur cœur avant l’incarnation de son Fils », « ces nations entières qui n’ont jamais ouï parler de l’Évangile, et qui sont demeurées ensevelies dans les ténèbres et les ombres de ma mort », « cet autre monde que l’on vient de découvrir et qui a été plus de cinq mille ans dans une ignorance absolue de Dieu », « dans cette multitude de mahométans qui occupent une si grande partie de la terre, et qui sont plongés dans mille superstitions brutales », « cette foule d’hérétiques qui joints ensemble surpassent de beaucoup le nombre des catholiques, sans excepter « ce nombre prodigieux de mauvais chrétiens, dont l’Église est tellement remplie qu’à peine y en trouvera-t-on de véritables » ; « tous ces gens aveugles et abandonnés à leurs passions, sont autant de preuves de la rigueur de la justice de Dieu ». Nicole en tire le tableau suivant : « Ainsi le monde entier est un lieu de supplice, où l’on ne découvre par les yeux de la foi que des effets effroyables de la justice de Dieu ; et si nous voulons nous le représenter par quelque image qui en approche, figurons-nous un lieu vaste, plein de tous les instruments de la cruauté des hommes, et rempli d’une part de bourreaux, et de l’autre d’un nombre infini de criminels abandonnés à leur rage. Représentons-nous que ces bourreaux se jettent sur ces misérables, qu’ils les tourmentent tous, et qu’ils en font tous les jours périr un grand nombre par les plus cruels supplices ; qu’il y en a seulement quelques-uns dont ils ont ordre d’épargner la vie ; mais que ceux-ci même n’en étant pas assurés, ont sujet de craindre pour eux-mêmes la mort qu’ils voient souffrir à tous moments à ceux qui les environnent, ne voyant rien en eux qui les en distingue.

Quelle serait la frayeur de ces misérables qui seraient continuellement spectateurs des tourments les uns des autres, qui y participeraient eux-mêmes, et qui appréhenderaient continuellement que ceux qu’ils souffrent ne se terminassent comme ceux des autres, par une mort cruelle et honteuse ? Les folles joies et les vaines inquiétudes du monde pourraient-elles trouver place dans leur esprit ? L’orgueil serait-il capable de les tenter dans ce malheureux état ? Et néanmoins la foi nous expose bien un autre spectacle devant les yeux. Car elle nous fait voir les démons répandus par tout le monde, qui tourmentent et affligent tous les hommes en mille manières, et qui les précipitent presque tous, premièrement dans les crimes, et ensuite dans l’enfer et dans le mort éternelle ». Nicole poursuit en disant que la foi nous représente un spectacle bien pire encore.

Nicole ajoute plusieurs idées : que les condamnés sont des criminels, ce qui conduit à l’idée que cette condition enferme une justice. Il transforme l’exécution en supplice, ce qui n’est pas la même chose. Il ajoute aussi l’idée que quelques-uns sont destinés à être épargnés sans le savoir : la conséquence est que la pensée se déplace de la seule condition mortelle pour passer à l’idée de la prédestination ; du coup, les supplices viennent à représenter les tourments de l’enfer, et toute la comparaison bascule de la morale à la théologie de la grâce. Le texte n’est même pas cohérent. Le rapprochement avec le texte de Pascal est donc superficiel.

Havet commente comme suit ce passage : « tout le développement de Nicole choque plus qu’il n’effraie. L’idée que Pascal exprime, quoique outrée par son humeur sombre, est, après tout, une idée naturelle, celle de la mort ; tandis que Nicole veut pénétrer, au-delà de la nature, un mystère de la foi ; et qu’au lieu de le laisser dans le vague qui sied au mystère, il s’appesantit sur des choses que la raison ne conçoit pas, comme si elles étaient parfaitement claires et sensibles pour lui » : op. cit., p. 59.

Voltaire, par exemple, récuse non seulement l’image de la mort telle que la présente Pascal, mais aussi tout le texte, qu’il présente comme un morceau de satire, dénué d’esprit philosophique. Voir Lettres philosophiques, XXV, § XXVIII, éd. A. McKenna et O. Ferret, 2010, p. 179. Critique de la comparaison : ce n’est qu’un trait de satire : p. 161. « Cette comparaison assurément n’est pas juste : des malheureux enchaînés qu’on égorge l’un après l’autre, sont malheureux, non seulement parce qu’ils souffrent, mais encore parce qu’ils éprouvent ce que les autres hommes ne souffrent pas. Le sort naturel d’un homme n’est ni d’être enchaîné ni d’être ; mais tous les hommes sont faits, comme les animaux et les plantes, pour croître, pour vivre un certain temps, pour produire leur semblable et pour mourir. On peut dans une satire montrer l’homme tant qu’on voudra du mauvais côté ; mais, pour peu qu’on se serve de sa raison, on avouera que de tous les animaux l’homme est le plus parfait, le plus heureux, et celui qui vit le plus longtemps. Au lieu donc de nous étonner et de nous plaindre du malheur et de la brièveté de la vie, nous devons nous étonner et nous féliciter de notre bonheur et de sa durée. À ne raisonner qu’en philosophe, j’ose dire qu’il y a bien de l’orgueil et de la témérité à prétendre que par notre nature nous devons être mieux que nous ne sommes. » Sur ce jugement de Voltaire sur ce texte de Pascal, voir Mesnard Jean, “Voltaire et Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., 1992, p. 589-599, notamment p. 596-597.

Boullier a tenté de répondre à Voltaire, sans adresse excessive. Voir Boullier David Renaud, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § XXXVIII, p. 81 sq. Défense de la justesse de la comparaison. Liaison avec le Tant mieux de Leibniz : p. 83. Voltaire a tort, selon Boullier, d’accuser « cette image de manquer de justesse ; car on n’en saurait tracer de plus naïve et de plus juste. Il n’importe que l’homme ne sente pas sa misère, comme ces pauvres captifs sentent la leur, ni que celle de ceux-ci les distingue du plus grand nombre de leurs semblables, tandis que celle-là est commune à tous. Pour fonder le comparaison, il suffit de ces deux vérités indubitables : l’une évidente par elle-même, savoir que la mort est un mal ; l’autre certaine par la Révélation, que ce mal est la peine du péché. » Boullier soutient ensuite que le mot de satire atteint l’Écriture : p. 83.

Cette vision sinistre de la mort ne doit pas faire oublier qu’elle trouve son contrepoint dans plusieurs écrits de Pascal.

Le présent fragment est une illustration de ce que Pascal appelle dans le fragment Ordre 4 (Laf. 6, Sel. 40), la misère de l’homme sans Dieu.

En revanche, la Lettre sur la mort de son père du 17 octobre 1651 (OC II, p. 851-863) invite, p. 854, à l’envisager d’un autre point de vue, comme un sacrifice qui répond à celui que Christ a consenti pour sauver les hommes du péché : « Considérons donc la mort en Jésus-Christ, et non pas sans Jésus-Christ. Sans Jésus-Christ elle est horrible, elle est détestable, et l’horreur de la nature. En Jésus-Christ elle est tout autre : elle est aimable, sainte et la joie du fidèle. Tout est doux en Jésus-Christ, jusqu’à la mort » : p. 854.

C’est dans cette perspective que doit être lue la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 998-1012. La maladie est un effet de la charité et de la miséricorde de Dieu. Les disgrâces sont un traitement que Dieu accorde à ses élus. La maladie est une fiction de mort, une « espèce de mort ». Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 426, souligne que Quaedam mors vient de saint Augustin, In Joh. tr. 38, n. 10. La maladie prévient le danger d’être séparé d’avec Dieu : elle vient en avance, elle avertit et elle manifeste une prévenance de Dieu. Prévenance au sens théologique ; Furetière dit que le mot n’a qu’un sens théologie (on parle de grâce prévenante). La maladie prévient en faveur de l’homme le moment terrible de la mort. Voir le § III : « Comme à l’instant de ma mort je me trouverai séparé du monde, dénué de toutes choses, seul en votre présence, pour répondre à votre justice de tous les mouvements de mon cœur, faites que je me considère en cette maladie comme en une espèce de mort, séparé du monde, dénué de tous les objets de mes attachements, seul en votre présence, pour implorer de votre miséricorde la conversion de mon cœur ; et qu’ainsi j’aie une extrême consolation de ce que vous m’envoyez maintenant une espèce de mort pour exercer votre miséricorde, avant que vous m’envoyiez effectivement la mort pour exercer votre jugement. Faites donc, ô mon Dieu, que comme vous avez prévenu ma mort, je prévienne la rigueur de votre sentence, et que je m’examine moi-même avant votre jugement, pour trouver miséricorde en votre présence ». Voir aussi § V. qui exalte le bonheur, contrairement à ceux qui « périront avec les objets périssables auxquels ils se sont attachés », « subsisteront éternellement dans l’objet éternel et subsistant par soi-même auquel ils se sont étroitement unis. »

Fait écho à ces considérations un passage de la Vie de M. Pascal, OC I, éd. J. Mesnard, p. 599 et 639, d’après lequel la maladie place le chrétien dans la condition qui devrait toujours être la sienne : privation des plaisirs, affaiblissement des passions, attente de la mort.

On comprend ainsi que, dans la Lettre de Blaise et Jacqueline Pascal à Gilberte du 1er avril 1648, OC II, éd. J. Mesnard, p. 582, l’image des condamnés se retrouve paradoxalement liée à la perspective du salut. « Comme nos péchés nous retiennent enveloppés parmi les choses corporelles et terrestres, et qu’elles ne sont pas seulement la peine de nos péchés, mais encore l’occasion d’en faire de nouveaux et la cause des premiers, il faut que nous nous servions du lieu même où nous sommes tombés pour nous relever de notre chute. C’est pourquoi nous devons bien ménager l’avantage que la bonté de Dieu nous donne de nous laisser toujours devant les yeux une image des biens que nous avons perdus, et de nous environner, dans la captivité même où sa justice nous a réduits, de tant d’objets qui nous servent d’une leçon continuellement présente. De sorte que nous devons nous considérer comme des criminels dans une prison toute remplie des images de leur libérateur et des instructions nécessaires pour sortir de la servitude. Mais il faut avouer qu’on ne peut apercevoir ces saints caractères sans une lumière surnaturelle ; car comme toutes choses parlent de Dieu à ceux qui le connaissent, et qu’elles le découvrent à tous ceux qui l’aiment, ces mêmes choses le cachent à tous ceux qui ne le connaissent pas ».

 

Sur l’addition C’est l’image de la condition des hommes (Voir les Copies)

 

Cette addition portée par Étienne Périer sur la Copie C1, p. 221 v° ne figure pas sur la Copie C2, p. 435. C’est un ajout tardif qui ne doit pas figurer dans le texte de Pascal. Elle a cependant suscité un écho dans l’histoire de la littérature moderne, avec le titre La condition humaine donné par André Malraux à son roman. Voir la notice des Œuvres complètes, I, Pléiade, p. 1307 : « Le lecteur de La condition humaine ne peut manquer d’être frappé de la coïncidence de ces lignes avec cette scène du roman où les insurgés, captifs, attendent d’être, chacun à leur tour, jetés vivants dans la chaudière d’une locomotive. Ce n’est pas, certes, l’intention apologétique qui rapproche Malraux de Pascal, mais la dramatisation du sentiment de la mort, la peinture des moments de paroxysme où l’homme prend conscience de sa destinée » : p. 1272. Dans le livre de Gaëtan Picon, Malraux par lui-même, coll. Écrivains de toujours, Paris, Seuil, 1983, p. 2, Malraux lui-même souligne que dans son roman, « l’essentiel est [...] l’élément pascalien » : p. 1273. Il ajoute cependant un élément qui lui est propre, avec l’épisode où Katow permet à ses compagnons d’échapper au supplice en leur donnant sa part de cyanure. Pascal, lui, n’imagine entre les prisonniers ni solidarité ni fraternité.

Il ne serait pas impossible de trouver un écho de ce fragment dans La peste d’Albert Camus, dont on connaît l’admiration qu’il vouait à Pascal.