Fragment Preuves de Jésus-Christ n° 14 / 24 – Papier original : RO 49-5
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Preuves de J.-C. n° 343 p. 161 / C2 : p. 192
Éditions de Port-Royal : Chap. XVI - Diverses preuves de Jésus-Christ : 1669 et janvier 1670 p. 129-130 / 1678 n° 5 p. 129-130
Éditions savantes : Faugère II, 321, XVII / Havet XIX.4 / Michaut 129 / Brunschvicg 640 / Tourneur p. 279-3 / Le Guern 293 / Lafuma 311 / Sellier 342
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Bibliographie ✍
COHN Lionel, “Pascal et le judaïsme”, in Pascal, Textes du tricentenaire, Paris, Fayard, 1963, p. 206-224. COHN Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, Reprint of Bar Ilan, Jérusalem, Humanities and social sciences, 1969. MANENT Pierre, “L’Israël de Pascal”, in Port-Royal et le peuple d’Israël, Chroniques de Port-Royal, 53, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004, p. 129-136. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 465 sq. |
✧ Éclaircissements
C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention de voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années et de le voir toujours misérable,
Pascal a toujours abordé l’histoire du peuple juif sous l’angle des paradoxes dont elle est remplie.
Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). La rencontre de ce peuple m’étonne, et me semble digne de l’attention, qui présente la liste des caractères extraordinaires qui justifient cet étonnement.
Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Dans cette recherche le peuple juif attire d’abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent.
Étrange : rare, surprenant, extraordinaire. Pascal distingue le fait de la subsistance du peuple juif de l’attention qu’on doit lui porter. Ce qui est étonnant, c’est le fait. Mais ce fait, parce qu’il est étonnant, demande une attention elle-même extraordinaire.
Preuves par les Juifs II (Laf. 452, Sel. 692), sur la sincérité et la fidélité du peuple à un message qui n’a point d’exemple dans le monde ni sa racine dans la nature. (Prophéties VII - Laf. 492, Sel. 736).
Loi figurative 28 (Laf. 273, Sel. 304). Cela est admirable d’avoir rendu les Juifs grands amateurs des choses prédites et grands ennemis de l’accomplissement.
Sur ce qui fait que la condition des Juifs est profondément paradoxal, voir Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Je vois d’abord que c’est un peuple tout composé de frères, et au lieu que tous les autres sont formés de l’assemblage d’une infinité de familles, celui-ci quoique si étrangement abondant est tout sorti d’un seul homme, et étant ainsi tous une même chair et membres les uns des autres, composent un puissant état d’une seule famille, cela est unique.
Cette famille ou ce peuple est le plus ancien qui soit en la connaissance des hommes, ce qui me semble lui attirer une vénération particulière. Et principalement dans la recherche que nous faisons, puisque si Dieu s’est de tout temps communiqué aux hommes, c’est à ceux-ci qu’il faut recourir pour en savoir la tradition.
Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant, car au lieu que les peuples de Grèce et d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome et les autres qui sont venus si longtemps après soient péris il y a si longtemps, ceux-ci subsistent toujours et malgré les entreprises des tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme leurs historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses pendant un si long espace d’années. Ils ont toujours été conservés néanmoins, et cette conservation a été prédite. Et s’étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée, celle de toutes nos histoires.
La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble, la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. C’est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion, et Philon juif, en divers lieux où ils font voir qu’elle est si ancienne que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après, en sorte que Homère qui a écrit l’histoire de tant d’États ne s’en est jamais servi. Et il est aisé de juger de sa perfection par la simple lecture, où l’on voit qu’on a pourvu à toutes choses, avec tant de sagesse, tant d’équité et tant de jugement que les plus anciens législateurs grecs et romains en ayant eu quelque lumière en ont emprunté leurs principales lois, ce qui paraît par celle qu’ils appellent des 12 Tables, et par les autres preuves que Josèphe en donne.
Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion obligeant ce peuple pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles sur peine de la vie, de sorte que c’est une chose bien étonnante, qu’elle se soit toujours conservée constamment durant tant de siècles, par un peuple rebelle et impatient comme celui-ci pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois quoique tout autrement faciles.
Misérable : qui est dans la douleur, dans la pauvreté, dans l’affliction ou l’oppression. Ne subsiste en principe que ce qui est assez fort pour résister à l’adversité. Le mot misère implique que ce n’est pas le cas du peuple juif. Il subsiste cependant malgré les conditions contraires.
Toujours misérable : voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 477 sq., sur les épreuves subies par le peuple juif et l’aide divine. Les Juifs auraient dû périr dans le bagne d’Égypte, dans la mer Rouge, dans le désert, dans les combats, dans la déportation à Babylone ; mais Dieu l’a toujours sauvé par des miracles. La misère des Juifs est effrayante et prédite : p. 489 sq.
Tout se ligue contre la subsistance de ce peuple, qui subsiste pourtant : Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. Et ce qui est étonnant est qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans, car il n’est pas étrange qu’un État subsiste lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité.
Sur le mélange de misère et de grandeur qui caractérise la condition du peuple juif, et sur sa ressemblance avec celle de la nature de l’homme, voir Cohn Lionel, “Pascal et le judaïsme”, in Pascal, Textes du tricentenaire, p. 206-224. Voir aussi Cohn Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, Reprint of Bar Ilan, in Humanities and social sciences, Jérusalem, 1969.
Le fragment Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696) montre que l’affirmation de ces paradoxes doit être balancée par celle du caractère effectif, voire incontestable, de ces faits : Ceci est effectif : pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde, déclarent que tout le monde est dans l’erreur, que Dieu leur a révélé la vérité, qu’elle sera toujours sur la terre. En effet toutes les autres sectes cessent ; celle-là dure toujours et depuis quatre mille ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu, mais qu’il a promis de les racheter, que cette doctrine serait toujours sur la terre, que leur loi a double sens.
Que durant 1 600 ans ils ont eu des gens qu’ils ont cru prophètes qui ont prédit le temps et la manière.
Que 400 ans après ils ont été épars partout, parce que J.-C. devait être annoncé partout.
Que J.-C. est venu en la manière et au temps prédit.
Que depuis les juifs sont épars partout en malédiction, et subsistants néanmoins.
Le mot effectif souligne que Pascal estime que la subsistance du peuple Juif malgré les persécutions dont il est victime est un fait assuré sur lequel la discussion n’est pas possible. Il n’en disait pas autant des miracles de Moïse, par exemple : Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, où voici ce que je trouve d’effectif. Je ne parle point ici des miracles de Moïse, de J.-C. et des apôtres, parce qu’ils ne paraissent pas d’abord convaincants et que je ne veux que mettre ici en évidence tous les fondements de cette religion chrétienne qui sont indubitables, et qui ne peuvent être mis en doute par quelque personne que ce soit. Il est certain que nous voyons en plusieurs endroits du monde, un peuple particulier séparé de tous les autres peuples du monde qui s’appelle le peuple juif.
Sous cet angle, l’histoire du Juif peut être classée parmi les incompréhensibles qui ne laissent pas d’être.
étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ, et qu’il subsiste pour le prouver et qu’il soit misérable puisqu’ils l’ont crucifié.
On voit réapparaître ici un thème annoncé dès la liasse Ordre. La question est celle du témoignage qui est apporté à Jésus-Christ. Par opposition à Mahomet, qui ne bénéficie d’aucun témoin ni d’aucun garant, le Christ a pour lui des témoins qui donnent toutes les garanties, car leur persistance contredit leurs intérêts et demeure constante malgré une longue durée de misères. Voir Ordre 1 (Laf. 1, Sel. 37). Les psaumes chantés par toute la terre.
Qui rend témoignage de Mahomet ? lui-même.
J.-C. veut que son témoignage ne soit rien.
La qualité de témoins fait qu’il faut qu’ils soient toujours, et partout, et misérables. Il est seul.
C’est un cas où Pascal pourrait dire ce qu’il dit ailleurs à propos de la Chine dans Laf. 822, Sel. 663. Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger.
Pascal ne dit pas qu’il est nécessaire que les Juifs soient misérables pour prouver le Christ, mais qu’il fallait que le peuple juif survive pour cela.
Qu’il soit misérable, puisqu’ils l’ont crucifié : la misère se justifie par le fait que les Juifs ont fait crucifier le Christ. Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 490, sur l’hostilité des Juifs à l’égard de Jésus-Christ, qui est une condition de l’indubitable vérité de leur témoignage.
Laf. 593, Sel. 493. Les Juifs le refusent mais non pas tous ; les saints le reçoivent et non les charnels, et tant s’en faut que cela soit contre sa gloire que c’est le dernier trait qui l’achève. Comme la raison qu’ils en ont et la seule qui se trouve dans tous leurs écrits, dans le Talmud et dans les rabbins, n’est que parce que J.-C. n’a pas dompté les nations en main armée. Gladium tuum potentissime. N’ont-ils que cela à dire ? J.-C. a été tué, disent-ils, il a succombé et il n’a pas dompté les païens par sa force. Il ne nous a pas donné leurs dépouilles. Il ne donne point de richesses, n’ont-ils que cela à dire ? C’est en cela qu’il m’est aimable. Je ne voudrais pas celui qu’ils se figurent. Il est visible que ce n’est que le vice qui leur a empêché de le recevoir et par ce refus ils sont des témoins sans reproche, et qui plus est par là ils accomplissent les prophéties.
Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Ce peuple déçu par l’avènement ignominieux et pauvre du Messie ont été ses plus cruels ennemis, de sorte que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser et le plus exact et zélé qui se puisse dire pour sa loi et pour ses prophètes qui les porte incorrompus. De sorte que ceux qui ont rejeté et crucifié J.-C. qui leur a été en scandale sont ceux qui portent les livres qui témoignent de lui et qui disent qu’il sera rejeté et en scandale, de sorte qu’ils ont marqué que c’était lui en le refusant et qu’il a été également prouvé et par les justes juifs qui l’ont reçu et par les injustes qui l’ont rejeté, l’un et l’autre ayant été prédit.
Et quoiqu’il soit contraire d’être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours malgré sa misère.
L’idée de la subsistance du peuple juif doit être liée au fait que la prophétie est un miracle subsistant.
Cohn Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, souligne le fait que, pour Pascal, la cause de la perpétuité des Juifs est que Dieu les relève par des coups de sa puissance : Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie qui n’était connu que d’eux. Il est venu enfin en la consommation des temps et depuis on a vu naître tant de schismes et d’hérésies, tant renverser d’États, tant de changements en toutes choses, et cette Église qui adore celui qui a toujours été adoré a subsisté sans interruption et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, est que cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance.
Prophéties VII (Laf. 492, Sel. 736). Cela n’a point d’exemple dans le monde ni sa racine dans la nature.
Prophéties 15 (Laf. 335, Sel. 368). La plus grande des preuves de Jésus‑Christ sont les prophéties. C’est aussi à quoi Dieu a le plus pourvu, car l’événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l’Église jusques à la fin. Aussi Dieu a suscité des prophètes durant mille six cents ans, et pendant quatre cents ans après il a dispersé toutes ces prophéties avec tous les Juifs qui les portaient dans tous les lieux du monde. Voilà quelle a été la préparation à la naissance de Jésus‑Christ, dont l’Évangile devant être cru de tout le monde il a fallu non seulement qu’il y ait eu des prophéties pour le faire croire, mais que ces prophéties fussent par tout le monde pour le faire embrasser par tout le monde.