Fragment Preuves de Jésus-Christ n° 3 / 24  – Papier original : RO 55-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Preuves de J.-C. n° 335 p. 157 / C2 : p. 187

Éditions de Port-Royal : Chap. XIV - Jésus-Christ : 1669 et janvier 1670 p. 110  / 1678 n° 2 p. 110

Éditions savantes : Faugère II, 325, XXVII / Havet XVII.2 / Brunschvicg 786 / Tourneur p. 276-3 / Le Guern 282 / Lafuma 300 / Sellier 331

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Bibliographie

 

 

BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Mulhouse, Salvator, 1941.

FLAVIUS JOSÈPHE, Histoire des Juifs, II, liv. XVIII, ch. IV, in Œuvres, tr. Arnauld d’Andilly, Lidis-Brepols, 1981,

GUION Béatrice, Du bon usage de l’histoire. Histoire, morale et politique à l’âge classique, Paris, Champion, 2008.

SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 485-510.

SUÉTONE, Vies des douze Césars, Claude, XXV, éd. M. Benabou, Belles Lettres, et Gallimard, Folio, 1975.

TACITE, Annales, XV, ch. XLIV, éd. Doudinot de La Boissière, Paris, Hatier, 1932, p. 640.

 

 

Éclaircissements

 

Jésus-Christ dans une obscurité (selon ce que le monde appelle obscurité), telle que les historiens n’écrivant que les importantes choses des États l’ont à peine aperçu.

 

Voir le bref examen du témoignage des historiens anciens sur l’existence du Christ de Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 351-352.

Pour savoir à quels historiens pense Pascal, voir le fragment Laf. 746, Sel. 619. Sur ce que Josèphe ni Tacite, et les autres historiens, n’ont point parlé de J.-C. Tant s’en faut que cela fasse contre, qu’au contraire cela fait pour. Car il est certain que J.-C. a été et que sa religion a fait grand bruit et que ces gens-là ne l’ignoraient pas et qu’ainsi il est visible qu’ils ne l’ont celé qu’à dessein ou bien qu’ils en ont parlé et qu’on l’a supprimé, ou changé. Victor Giraud, dans son édition des Œuvres choisies de Pascal, Paris, Hatier, 1938, p. 652, estime que l’hypothèse que l’histoire du Christ ait été celée à dessein par les historiens de l’empire romain est « peu admissible ».

Tacite, Annales, XV, ch. XLIV, mentionne brièvement le Christ à propos de l’incendie de Rome. « Ergo, abolendo rumori, Nero subdidit reos et quaesitissimis poenis affecti, quos, per falgitia invisos, vulgus Christianos appellabat. Auctor nominis ejus Christus, Tiberio imperitante, per procuratorem Pontium Pilatum supplicio affectus erat ; repressaque in praesens exitiabilis superstitio rursum erumpebat, non modo per Judaeam, originem ejus mali, sed per Urbem etiam, quo cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt celebranturque ». Tr. (P. Grimal) : « Aussi, pour étouffer ce bruit, Néron supposa des accusés et frappa des peines les plus raffinées les gens, détestés à cause de leurs mœurs criminelles, que la foule appelait « chrétiens ». Celui qui est à l’origine de ce nom est Christ, qui sous le règne de Tibère, avait été condamné à mort par le procurateur Ponce Pilate ; réprimée sur le moment, cette exécrable superstition faisait sa réapparition non seulement en Judée, où se trouvait l’origine de ce fléau, mais aussi à Rome où tout ce qui est, partout, abominable et infâme vient aboutir et se répand ».

Flavius Josèphe est plus disert, mais L’authenticité de ce passage de l’Histoire des Juifs, II, liv. XVIII, ch. IV, in Œuvres, tr. Arnauld d’Andilly, Lidis-Brepols, 1981, p. 561, a été contestée. « De même temps était Jésus, qui était un homme sage, si toutefois on doit le considérer simplement comme un homme, tant ses œuvres étaient admirables. Il enseignait ceux qui prenaient plaisir à être instruits de la vérité, et il fut suivi non seulement de plusieurs Juifs, mais de plusieurs Gentils : c’était le Christ. Des principaux de notre nation l’ayant accusé devant Pilate, il le fit crucifier. Ceux qui l’avaient aimé durant sa vie ne l’abandonnèrent pas après sa mort. Il leur apparut vivant et ressuscité le troisième jour, comme les saints prophètes l’avaient prédit et qu’il ferait plusieurs autres miracles. C’est de lui que les chrétiens, que nous voyons encore aujourd’hui, ont tiré leur nom ».

Suétone, Vies des douze Césars, Claude, XXV, éd. M. Benabou, Belles Lettres, et Gallimard, 1975. « Comme les Juifs se soulevaient continuellement, à l’instigation d’un certain Chrestos, il [Claude] les chassa de Rome ». Mais Suétone doit être mal informé, car son récit suppose que Jésus-Christ a vécu sous le règne de Claude…

Cette obscurité selon le monde était précisément le contraire de ce que les Juifs attendaient de leur Messie.

Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer Rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles. J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas les Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.

Le fragment Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339), sur les trois ordres, permet de comprendre que, pour Pascal, l’obscurité du Christ, si on la juge à l’aune de l’ordre de la charité, apparaît comme une marque de sa grandeur et de sa gloire.

Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339). J.-C. sans biens, et sans aucune production au dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n’a point donné d’inventions. Il n’a point régné, mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun  péché. Ô qu’il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence aux yeux du cœur et qui voient la sagesse. [...]

Il est bien ridicule de  se scandaliser de la bassesse de J.-C., comme si cette bassesse était du même ordre duquel est la grandeur qu’il venait faire paraître.

Qu’on considère cette grandeur-là dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l’élection des siens, dans leur abandonnement, dans sa secrète résurrection et dans le reste. On la verra si grande qu’on n’aura pas sujet de se scandaliser d’une bassesse qui n’y est pas.

C’est le sens de la clause selon ce que le monde appelle obscurité : il n’y a que le monde, que Dieu n’éclaire pas, qui a pu prendre pour obscurité ce qui, dans la perspective de la charité, marque la grandeur du Christ.

Mais Pascal ne se contente pas de cette conversion générale de l’obscurité en grandeur glorieuse. Il précise dans d’autres fragments la nature des signes qui font éclater cette grandeur. En fait, pour qui sait considérer le fond du problème, le Christ est venu en grand éclat.

Prophéties VII (Laf. 499, Sel. 736). Quel homme eut jamais plus d’éclat.

Le peuple juif tout entier le prédit avant sa venue. Le peuple gentil l’adore après sa venue.

Ces deux peuples gentil et juif le regardent comme leur centre.

Et cependant quel homme jouit jamais moins de cet éclat.

De 33 ans il en vit 30 sans paraître. Dans 3 ans il passe pour un imposteur. Les prêtres et les principaux le rejettent. Ses amis et ses plus proches le méprisent, enfin il meurt trahi par un des siens, renié par l’autre et abandonné par tous.

Quelle part a-t-il donc à cet éclat ? Jamais homme n’a eu tant d’éclat, jamais homme n’a eu plus d’ignominie. Tout cet éclat n’a servi qu’à nous pour nous le rendre reconnaissable, et il n’en a rien eu pour lui.

L’obscurité et même l’avilissement par lesquels est passé le Christ étaient nécessaires pour l’établissement de sa gloire.

Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Un Dieu humilié jusqu’à la croix. Il a fallu que le Christ ait souffert pour entrer en sa gloire, qu’il vaincrait la mort par sa mort - deux avènements.

C’est un aspect de la  doctrine du Dieu caché. Voir Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 506 sq.

Le fait historique a pour les chrétiens une signification figurative.

Fondement 3 (Laf. 225, Sel. 258). Comme J.-C. est demeuré inconnu parmi les hommes ; ainsi sa vérité demeure parmi les opinions communes sans différence à l’extérieur. Ainsi l’Eucharistie parmi le pain commun.