Fragment Loi figurative n° 2 / 31  – Papier original : RO 19-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 297 p. 125 / C2 : p. 151

Éditions savantes : Faugère II, 248, XI / Havet XXV, 153 / Brunschvicg 657 / Tourneur p. 256-2 / Le Guern 230 / Lafuma 246 / Sellier 278

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Bibliographie

 

 

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 478.

 

 

Éclaircissements

 

 

Figur.

 

Les peuples juif et égyptien visiblement prédits par ces deux particuliers que Moïse rencontra : l’Égyptien battant le Juif, Moïse le vengeant et tuant l’Égyptien, et le Juif en étant ingrat.

 

Voir Exode, II, 11-14. « Lorsque Moïse fut devenu grand, il sortit pour aller voir ses frères. Il vit l’affliction où ils étaient, et il trouve que l’un d’eux, hébreu comme lui, était outragé par un Égyptien. Il regarda en même temps de tous côtés, et ne voyant personne auprès de lui, il tua l’Égyptien et le cacha dans le sable.

Le lendemain il trouva deux Hébreux qui se querellaient, et il dit à celui qui outrageait l’autre : Pourquoi frappez-vous votre frère ? Cet homme lui répondit : Qui vous a établi prince et juge au-dessus de nous ? Est-ce que vous voulez me tuer comme vous tuâtes hier un Égyptien ? Moïse eut peur, et il dit : Comment cela s’est-il découvert ? »

Commentaire de Sacy sur Exode, II, 12 : « Moïse ne voyant personne auprès de lui, il tua l’Égyptien et le cacha dans le sable. Cet Égyptien que tua Moïse, était selon Philon, l’un des intendants établis par Pharaon pour régler les ouvrages des Israélites ; ce qui pourrait avoir été une des causes que ce meurtre fît un si grand bruit.

Si l’on considère Moïse dans cette action comme ayant tué un Égyptien par son autorité particulière, S. Augustin dit « qu’en consultant la loi éternelle, qui est la volonté et la justice de Dieu, on doit dire qu’il eut tort de le tuer, quoique dans le dessein de repousser la violence injuste que cet homme faisait à un Hébreu : parce que nul particulier n’a le pouvoir d’en tuer un autre, s’il n’a reçu cette autorité, ou de Dieu immédiatement, ou des Rois qui l’ont reçue de Dieu : Non videtur hoc potuisse Moyses, quia nullam adhuc legitimam potestatem gerebat, nec acceptam divinitus, nec humana societate ordinatam » [August. contra Faust. L. 32, c. 7]. Mais le même saint ayant depuis considéré plus attentivement ce que l’Écriture dit de cette action, a cru que Moïse l’avait faite par un ordre particulier de Dieu, et qu’ainsi elle était juste. « Car après que cette action a été rapportée dans les Actes en ces termes : Moïse voyant que l’on faisait injure à l’un de ses frères, il le défendit et le vengea en tuant l’Égyptien qui l’outrageait, l’Écriture ajoute aussitôt : Or il avait cru que ses frères comprendraient par là que ce serait par sa main que Dieu les délivrerait : mais ils ne le comprirent pas.

Il paraît, dit ce saint Docteur, par ce témoignage du saint Esprit, que Moïse avait reçu dès lors un ordre de Dieu pour être le chef et le libérateur de son peuple, quoique l’Écriture ne le marque pas expressément : et que cet ordre lui donnait le pouvoir de faire justement cette action si hardie qu’il fit alors : Ut per hoc testimonium videatur Moyses jam divinitus admonitus, quod Scriptura eo loco tacet, hoc audere potuisse » [August. In Exod. Quaest. 2]. Car si Moïse a cru que les Hébreux devaient reconnaître par cette action extraordinaire qu’il avait faite en tuant un Égyptien, que Dieu l’avait choisi pour être le chef et le libérateur de son peuple, il en devait être encore bien plus persuadé lui-même, comme n’ayant tué cet homme que par cette autorité qu’il croyait que Dieu même lui avait donnée ».

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 478. Cette figure n’est pas évidente, et aucun écrit biblique ne la signale. La source en est Saint Augustin, Contra Faustum, XXII, 70 : « Ut interim omittam, quod cum percussisset Aegyptium, quamquam illi Deus non praeceperit, in persona tamen prophetica ad hoc divinitus fieri permissum est, ut futurum aliquid praesignaret : unde nunc non ago, sed omnino tamquam nihil significaverint facta illa discutio ; consultaque illa aeterna lege reperio non debuisse hominem ab illo, qui nullam ordinatam potestatem gerebat, quamvis iniuriosum et improbum, occidi. Verumtamen animae virtutis capaces ac fertiles praemittunt saepe vitia, quibus hoc ipsum indicent, cui virtuti sint potissimum accommodatae, si fuerint praeceptis excultae. Sicut enim et agricolae quam terram viderint, quamvis inutiles, tamen ingentes herbas progignere, frumentis aptam esse pronuntiant ; et ubi filicem aspexerint, licet eradicandam sciant, validis vitibus habilem intellegunt ; et quem montem oleastris silvescere aspexerint, oleis esse utilem cultura accedente non dubitant : sic ille animi motus, quo Moyses peregrinum fratrem a cive improbo iniuriam perpetientem, non observato ordine potestatis, inultum esse non pertulit, non virtutum fructibus inutilis erat, sed adhuc incultus, vitiosa quidem, sed magnae fertilitatis signa fundebat. Ipse denique per angelum suum divinis Moysen vocibus evocavit in monte Sina, per quem liberaretur ex Aegypto populus Israel ».

Traduction (par l’abbé Devoille) : « Je ne m’arrête point à prouver que si Dieu n’ordonna pas à Moïse de tuer l’Égyptien, il le permit du moins dans ses vues d’avenir et en exécution, d’un rôle prophétique. Laissant de côté ce point de vue, je prends les faits tels qu’ils sont, en dehors de leur signification prophétique, et, consultant la loi éternelle, je trouve qu’un homme qui n’exerçait aucun pouvoir régulier, n’en devait pas tuer un autre, même insolent, même méchant. Cependant les âmes capables de vertu et naturellement fécondes produisent d’abord souvent des défauts qui indiquent précisément la vertu qui ira le mieux à leur naturel, quand elles auront été cultivées par les commandements. Comme les laboureurs jugent propre à donner du froment une terre où ils voient pousser des herbes de haute taille, quoique inutiles ; estiment qu’un sol couvert de fougères qu’il faudra certainement arracher, est apte à produire des ceps vigoureux ; ne doutent pas qu’une montagne couverte d’oliviers sauvages ne soit excellente pour la culture du véritable olivier : ainsi l’émotion en vertu de laquelle Moïse, sans y être régulièrement autorisé, ne peut supporter qu’un voyageur, son frère, soit impunément maltraité par un méchant citoyen, n’est point étrangère aux vertus les plus fécondes. C’est le produit vicieux, il est vrai, d’une âme encore inculte, mais aussi le signe d’une grande fécondité naturelle. Enfin Celui qui, par des voix divines et l’entremise de son ange, a appelé Moïse sur le mont Sinaï, pour en faire le libérateur de son peuple captif en Égypte ».

Augustin s’interroge sur le fait que Moïse a tué un Égyptien sans que Dieu le lui ait permis ni ordonné. Augustin ne voyait figurés dans ce récit que la fuite en Égypte et la libération d’Israël, parce qu’il se rappelle sans doute les paroles méprisantes que deux Hébreux adressèrent à Moïse dès le lendemain.

Pascal semble étendre l’interprétation au destin du peuple juif, dont l’ingratitude à l’égard de Jésus-Christ, venu pour le salut des hommes, apparaîtra lors de la venue du Messie : bien qu’une partie d’Israël se soit convertie lors de l’avènement de Jésus-Christ, beaucoup de Juifs ont rejeté le Messie que leur envoyait Dieu : on assiste donc bien dans ce cas à l’ingratitude de ceux qui sont sauvés à l’égard de leur sauveteur.

On peut toutefois se demander si cette figure, qui n’est ni évidente, ni attestée dans aucun écrit biblique, comme le remarque Ph. Sellier, n’est pas dans l’esprit de Pascal un exemple de ces trop grands figuratifs contre lesquels Pascal se proposait de parler (voir Loi figurative 10 - Laf. 254, Sel. 286). Le mot visiblement serait dans ce cas ironique dans ce fragment.

Jansénius, Pentateuchus, propose une interprétation du passage de l’Exode, dont Sacy a peut-être tiré certains détails. « Egressus est ad fratres suos... » : id est « Hebraeos ut illos scilicet visitaret, non otiosâ visitatione ; sed cum animo liberandi populum suum ab oppressione Aegyptorum, et renunciandi aulae » ; en effet, « effectus hujus propositi Moïsis, fuit illa interdfectio Aegyptii, qui ut Stephanus ait, injuriâ afficiebat, et, ut hîc dicitur, etiam percutiebat Hebraeum, quem Philo dicit fuisse unum ex praefectis opprimentibus Israëlitas ». Jansénius pose ensuite la question de savoir si l’action de Moïse était juste : « an juste occiderit Moïses, non ita planum est. Ambr. l. 1. de Offic. c. 36. excusat factum jure defensionis, cum moderamine scilicet inculpatae tutelae, ut addit D. Tho. 2. 2. quaest. 60. art. ult. sed neque privatus propter injuriam sibi vel proximo illatam continuo poteste occidere ; neque de moderamine illo constat ; sed potius videtur deliberato proposito occidisse. Cajetanus dicit fuisse praefectos illos operum publicos hostes Hebraeorum. Sed non idcirco cuilibet privato licet eos occidere, praesertim occisione quae nihil confert ad liberationem oppressi populi. Unde D. Aug. l. 22. contra Faustum c. 70. consultâ, inquit, lege aeternâ, reperio non debuisse hominem ab illo qui nullam ordinatam potestatem gerebat, quamvis injuriosum et improbum occidi, comparatque cum facto sancti Petri ; quia utrique similiter nullâ superiori ac legitimâ potestate vel jubente, vel concedente, in sanguinem alienum armati sunt. Et ita uterque non detestabili immanitate ; sed emendabili animositate peccavit, uterque odio improbitatis alienae ; sed ille fraterno, hic dominico, licet adhuc carnali tamen, amore peccavit. Unde si quis factum Moïsis excusare vellet, non videtur solidior superesse modus, quam dicendo eum hoc Dei admonitione, vel inspiratione fecisse, ut videtur indicare D. Stephanus Act. 7. v. 25. et hùc inclinat Aug. qu. 2. in Exod., et D. Thomas loco citato. »

Le problème du droit pour un particulier de tuer sans mandat de la justice humaine légitime, et de la clause de la modération d’une juste défense, est abordé dans les Provinciales VII, § 18 et XIV, § 12.