Fragment Loi figurative n° 7 / 31  – Papier original : RO 19-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 297 p. 125 / C2 : p. 152

Éditions savantes : Michaut 38 / Brunschvicg 900 / Tourneur p. 257-1 / Le Guern 235 / Lafuma 251 / Sellier 283

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Bibliographie

 

 

Saint AUGUSTIN, De doctrina christiana, La doctrine chrétienne, Œuvres de saint Augustin, 11/2, Bibliothèque augustinienne, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1997.

BOCHET Isabelle, « Le firmament de l’Écriture ». L’herméneutique augustinienne, Paris, Institut d’études augustiniennes, 2004, p. 109 sq.

BOUCHER Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, contenant les résolutions de trois cent soixante et dix questions sur le sujet de la foi, de l’Écriture sainte, de la création du monde, de la rédemption du genre humain, de la divine providence, et de l’immortalité de l’âme, proposées par Typhon, maître des impies et libertins de ce temps et répondues par Dulithée, Ch. Roulliard, Paris, 1628.

DE LUBAC Henri, Exégèse médiévale, Les quatre sens de l’Écriture, Paris, Aubier, 1964, II, 2, p. 69.

FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989, p. 48.

MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, dans La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 426-453.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 262.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 410.

TAVARD Georges, La tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Paris, Cerf, 1969.

ZAC Sylvain, Spinoza et l’interprétation de l’Écriture, Paris, Presses Universitaires de France, 1965.

 

 

Éclaircissements

 

Qui veut donner le sens de l’Écriture et ne le prend point de l’Écriture est ennemi de l’Écriture. Augustin, De doctrina christiana.

 

Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, dans La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, p. 426-453. La formule citée par Pascal ne provient pas du De doctrina christiana de saint Augustin, mais du livre du P. Jean Boucher, Les triomphes de la religion chrétienne, contenant les résolutions de trois cent soixante et dix questions sur le sujet de la foi, de l’Écriture sainte, de la création du monde, de la rédemption du genre humain, de la divine providence, et de l’immortalité de l’âme, proposées par Typhon, maître des impies et libertins de ce temps et répondues par Dulithée (Paris, 1628), I, VII, p. 15 : « Quiconque veut donner le sens à l’Écriture au lieu de la prendre d’elle, est ennemi de l’Écriture. Nos Saints Pères et Docteurs qui nous enseignent ceci n’ont pas interprété l’Écriture selon leur sentiment et fantaisie particulière, ains seulement ont découvert le sens mystérieux d’icelle que Dieu qui en est l’auteur avait caché sous l’écorce de sa lettre ». En marge : « Qui dat sensum Scripturae, et non capit sensum a Scriptura hostis est Scripturae. Aug. De doct. Chr. »

 

Pour approfondir…

 

 Le De doctrina christiana de saint Augustin

 

Le traité De doctrina christiana (La doctrine chrétienne), composé par saint Augustin, traite de la lecture et de l’interprétation des Écritures saintes, et des règles de l’exégèse et de l’interprétation de l’ancien et du nouveau Testaments. Il comporte quatre livres, qui traitent successivement du donné théologique fondamental que le chrétien doit découvrir dans les livres saints (Livre I), puis de l’intelligence de la manière dont il est exprimé, notamment du langage figuré (II et III), enfin de la manière dont on peut découvrir le vrai sens de l’Écriture. Pascal s’appuie sur cet ouvrage pour construire sa propre méthode d’interprétation, sans rien perdre en originalité. Sur cet ouvrage fondamental, voir l’introduction de Madeleine Moreau et les notes d’Isabelle Bochet et Goulven Madec, dans saint Augustin, De doctrina christiana, La doctrine chrétienne, Œuvres de saint Augustin, 11/2, Bibliothèque augustinienne, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1997.

Voir à défaut l’article Doctrine chrétienne de l’Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 476 sq.

 

 Jean Boucher, cordelier

 

Voir Julien-Eymard D’angers, “Le “fidéisme” de Jean Boucher, cordelier”, Études franciscaines, t. L, 1938 ; Popkin Richard, Histoire du scepticisme d’Érasme à Spinoza, Paris, P. U. F., 1995, p. 165 sq. Ne pas confondre cet auteur avec Jean Boucher (c. 1550-1644), qui fut un célèbre curé ligueur.

 

C’est une conséquence de la règle selon laquelle l’Écriture s’explique elle-même, Scriptura Scripturam explicat. Pascal considère en effet que la Bible est à elle-même son propre commentaire ; les passages clairs permettent de comprendre les passages obscurs, et à tout passage obscur correspond un passage clair qui l’explique. Voir sur ce point Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989, p. 48.

Pascal suit en effet en cela les règles établies par saint Augustin. Voir De doctrina christiana, II, VI, 8. Les passages obscurs ne contiennent rien qui ne se trouve ailleurs sous une forme claire. C’est dans les passages explicites de la Bible qu’il faut chercher la clé des passages ambigus.

Bochet Isabelle, « Le firmament de l’Écriture ». L’herméneutique augustinienne, Paris, Institut d’études augustiniennes, 2004, p. 109 sq. : l’Écriture s’explique par l’Écriture ; c’est à partir des passages clairs que l’on peut se risquer à interpréter les passages obscurs.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 410.

Ce principe est aussi soutenu par d’autres auteurs contemporains de Pascal. Voir Tavard Georges, La tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, p. 52. Selon Camus, évêque de Belley, L’Avoisinement des Protestants..., éd. de 1703, p. 48 : « il n’appartient qu’au Saint Esprit de nous déclarer le sens de l’Écriture que lui-même a dicté. Les catholiques romains l’entendent ainsi ; car quel esprit simplement humain a connu et pénétré le sens du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? » Camus écrit contre les Protestants : si on veut trouver le sens de l’Écriture par soi-même, on se heurte au fait que bien souvent un passage ne doit pas s’entendre par celui duquel on le rapproche ; il faut alors chercher un troisième passage, et ainsi de suite.

La règle est complétée par le fragment Loi figurative 20 (Laf. 265, Sel. 296), qui pose que l’Écriture comporte un chiffre à double sens, dont l’un est clair, où il est dit que le sens est caché.

Comme l’indique le texte de Boucher, cette maxime est une règle destinée à éviter que l’interprétation de l’Écriture ne soit laissée à la fantaisie et au sens propre d’un individu ou d’un groupe d’individus dépourvus d’autorité. Voir De Lubac Henri, Exégèse médiévale, II, 1, p. 120 sq. : Dans le De doctrina christiana, Augustin met en garde contre le « sentiment personnel » dans l’interprétation des Écritures. À travers la Loi, il faut trouver l’Évangile ; hors de là, c’est parler selon son propre cœur, et non par l’Esprit Saint.

Sur la place de cette preuve parmi celles que Pascal comptait développer, voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 262. La preuve se décompose en deux principales : d’une part, les prophètes disent clairement que les discours par lesquels ils expriment la promesse des biens temporels sont obscurs, ce qui indique clairement qu’ils ont un sens caché, d’autre part que leurs discours contiennent des contradictions manifestes et grossières, qui orientent l’esprit vers le sens figuratif.

Cependant, Pierre Force et Philippe Sellier s’accordent pour souligner que le sens de cette formule n’est pas tout à fait le même chez Pascal et chez saint Augustin. La règle chez Augustin n’est qu’une variante de la grande règle que toute interprétation conforme à la foi est recevable : la règle n’implique pas nécessairement que le sens d’un passage de l’Écriture est unique ; il peut en avoir plusieurs, et dans ce cas, sont vrais ceux qui sont conformes à la foi. Voir De doctrina christiana, III, XXVI : « C’est [...] dans les passages où les mots sont employés dans un sens plus clair qu’on doit apprendre comment les entendre dans les passages obscurs. On ne peut en effet mieux comprendre cette parole adressée à Dieu : Prends tes armes et ton bouclier, et lève-toi pour que secourir, que d’après le passage où on lit : Seigneur, tu nous as entourés de ta bienveillance comme d’un bouclier ». Cependant, selon III, XXVII, « lorsque des mêmes mots de l’Écriture, on tire, non pas un seul sens, mais deux, voire plusieurs, même si celui que l’auteur lui a donné demeure caché, il n’y a là aucun danger, si l’on peut démontrer par d’autres passages des saintes Écritures qu’il s’accorde avec la vérité » (Bibliothèque augustinienne, t. 11/2, p. 285-287).

Pascal l’entend en un sens plus strict : l’Écriture s’explique elle-même, en ce sens que l’on doit interpréter l’Écriture comme elle-même dit qu’on doit l’interpréter. Dans le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303), Pascal précise : Il n’est pas permis d’attribuer à l’Écriture des sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a. Ainsi de dire que le ם d’Isaïe signifie 600 cela n’est pas révélé. Mais ce sens, en tout état de cause, est unique, conformément à la règle formulée dans le fragment Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289) : Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout. On ne peut pas dire cela de l’Écriture et des prophètes.

Toutefois, il est difficile de dire si Pascal prend entièrement cette maxime à son compte, ou s’il l’a notée pour la discuter. En effet, la formule très tranchante de Boucher ne tient pas compte du fait que, pour l’Église catholique, l’interprétation de l’Écriture ne dépend pas de l’Écriture elle-même seule : la Tradition et les Pères tiennent aussi lieu de norme d’interprétation. Voir De Lubac Henri, Exégèse médiévale, II, 2, p. 69 : on ne peut assigner pour fondement à la détermination des sens spirituels qu’un seul critère d’authenticité : la révélation divine. Celle-ci se fait par deux voies : l’une directe, l’indication formelle de l’Écriture même ; l’autre indirecte, l’accord des Pères sur un tel sens. Le commentateur doit tout entendre secundum catholicam fidem ; la regula fidei est le critère dernier : p. 89-90.

 

Pour approfondir…

 

Le principe de l’interprétation de l’Écriture par elle-même trouve un sens assez différent chez d’autres auteurs.

C’est un principe protestant que la Bible est son propre critère de vérité, de sorte qu’il faut la lire à sa propre lumière. Ce principe se trouve chez Luther, voir Gusdorf Georges, La révolution galiléenne, II, p. 361 sq.

C’est aussi une règle formulée par Spinoza dans son Traité théologico-politique, ch. I, éd. Akkerman, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 83 : il ne faut rien juger sur la prophétie ou ne rien attribuer aux prophètes qu’ils n’aient clairement déclaré eux-mêmes. Mais le principe de l’interprétation de l’Écriture par elle-même prend toutefois chez Spinoza un tout autre sens que chez Pascal : voir Gusdorf Georges, La révolution galiléenne, II, p. 378 sq.

Voir Zac Sylvain, Spinoza et l’interprétation de l’Écriture, p. 15 sq. : Le principe de l’interprétation de l’Écriture par elle-même a pour Spinoza un sens polémique, notamment contre la méthode de Maïmonide, dont la méthode d’interprétation use d’un critère extérieur : p. 16 sq. Il ne faut interpréter ni par les préjugés de la tradition, ni par ceux de la philosophie, mais s’appuyer uniquement sur l’usage de la langue ou sur des raisonnements ayant leur seul fondement dans l’Écriture : p. 25-26.

Cette position paraît proche de celle de Pascal, dans la mesure où elle pose que l’on trouve dans l’Écriture des passages dont on peut tirer des conséquences qui contredisent les dogmes énoncés explicitement dans d’autres passages, et qu’alors l’interprétation métaphorique s’impose. Mais les conséquences qu’en tire Spinoza sont très différentes. D’une part, Spinoza n’admet pas comme Pascal que si Moïse et David et Isaïe usaient de mêmes termes, ils en usaient dans le même sens, de sorte que le sens de David qui est manifestement d’iniquités lorsqu’il parlait d’ennemis est le même que Moïse en parlant d’ennemis (Loi figurative 24 - Laf. 269, Sel. 300). L’interprétation des Écritures commence par une étude philologique, sociologique et historique qui tient compte des différences de langue des écrivains sacrés selon leur condition sociale et leur époque. Il n’est pas possible d’interpréter un auteur scripturaire en s’appuyant sur ce qu’écrit un autre. Les méthodes exégétiques de Pascal et de Spinoza divergent alors radicalement.