Fragment Ordre n° 1 / 10 – Papier original : RO 27-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Ordre n° 1 et 2 p. 1 / C2 : p. 13
Éditions savantes : Faugère II, 334, XLIII / Havet XXV.45 / Brunschvicg 596 / Tourneur p. 245-5 / Le Guern 1 / Maeda I p. 4 / Lafuma 1 / Sellier 37
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Bibliographie ✍
COUTON Georges, “Libertinage et apologétique : les Pensées de Pascal contre la thèse des Trois Imposteurs”, XVIIe Siècle, n° 127, avril-juin 1980, p.181-196. Voir p. 188-189, sur le fragment Laf. 1, Sel. 37. DROZ Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, Paris, Alcan, 1886, p. 126. ERNST Pol, Approches pascaliennes, Duculot, Gembloux, 1970, p. 36. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Armand Colin, 1970 p. 492. SUEMATSU Hisashi, “Les Pensées et le métatexte”, Équinoxe, 1, automne 1987, p. 27-53. Voir p. 45. Traité des trois imposteurs, éd. Retat, ch. III, § XXII, p. 73 sq.
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✧ Éclaircissements
Les psaumes chantés par toute la terre.
Par a le sens local.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 492. La mention des Psaumes s’explique par saint Augustin, pour qui ils sont le livre prophétique par excellence. Voir La Cité de Dieu, XVCIII, 49 ; In Joh. tr. 45, n. 9, etc. et les Confessions, IX, IV, 8 : « a toto orbe terrarum cantantur » : la formule signifie que la terre entière entend les prophéties messianiques et se trouve ainsi préparée à entendre la vérité de la prédication catholique.
Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 36. Les Pères ont vu dans les Psaumes la description prophétique de la vie de Jésus-Christ, l’annonce de son incarnation, de la Passion et de la Résurrection : les Psaumes chantés par toute la terre sont donc un témoignage de Jésus-Christ.
Qui rend témoignage de Mahomet ? Lui‑même.
Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 122. Le fragment est pris comme preuve que Pascal n’admet pas qu’une autorité se recommande elle-même. Si elle prétend s’imposer, elle le ferait par force et non par justice. Droz souligne la minceur de l’étude de Mahomet dans les Pensées : p. 126.
Voir Jean, V, 31. « Si je rends témoignage touchant moi-même, mon témoignage n’est point de foi. »
Charron Pierre, Les trois vérités, II, III. Mahomet a juré s’être défendu d’avoir fait des miracles ; « pressé par là, en allègue trois ou quatre sots et vains, faits en secret, en sa personne, sans témoin et sans profit d’aucun ».
GEF XIV, p. 35, fr. 596. Grotius signale que, des miracles attribués à Mahomet, « nulli testes sunt, ut de camelo ei locuto » (VI, 5).
Pensées, éd. Havet, II, p. 45. Passage du Coran, XVII, Voyage de nuit, tr. Du Ryer, 1647, sur les miracles de Mahomet. Mahomet ne dit pas lui-même avoir fait des miracles, mais les siens n’ont pas manqué de lui en attribuer.
Voir Jean, V, 31 sq., qui permet de voir en quoi Pascal oppose la conduite de Mahomet à celle du Christ, lorsqu’il dit : « Si je rends témoignage de moi, mon témoignage n'est pas véritable. 32. Il y en a un autre qui rend témoignage de moi, et je sais que le témoignage qu'il rend de moi est véritable. 33. Vous avez envoyé à Jean, et il a rendu témoignage à la vérité. 34. Pour moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage ; mais je dis ceci afin que vous soyez sauvés. 35. Jean était une lampe ardente et luisante, et vous avez voulu vous réjouir pour un peu de temps à la lueur de sa lumière. »
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Traité des trois imposteurs, éd. Retat, ch. III, § XXII, p. 73 sq.
Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 35. Nullité du témoignage de Mahomet selon Pascal : p. 36.
Couton Georges, “Libertinage et apologétique : les Pensées de Pascal contre la thèse des Trois Imposteurs”, XVIIe Siècle, n° 127, avril-juin 1980, p.181-196. Voir p. 188-189, sur le fragment Laf. 1, Sel. 37.
♦ Comparaison du Christ et de Mahomet
Pour la comparaison de Mahomet et de Jésus-Christ, qui est amorcée ici, voir Fausseté des autres religions 7 (Laf. 209, Sel. 241) et 8 (Laf. 209, Sel. 242).
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L’idée vient de Grotius, De veritate religionis christianae, VI, § IV, « Ex comparatione Mahumetis cum Christo ». Voir aussi la différence entre J.-C. et Mahomet dans Lemaistre de Saci, Genèse, Préface, § VII, qui donne un tableau de l’opposition de Mahomet et du Christ.
Jésus-Christ veut que son témoignage ne soit rien.
Voir Jean, V, 31. « Si je rends témoignage touchant moi-même, mon témoignage n’est point de foi. ».
Laf. 547, Sel. 460. J.-C. n’a point voulu du témoignage des démons ni de ceux qui n’avaient pas vocation, mais de Dieu et Jean Baptiste.
Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 35. ✍
♦ Témoignage
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Aristote, Rhétorique, 1375.
Cicéron, Partitiones oratoriae, 49.
Cicéron, Topiques, 72 sq., sur l’autorité du témoignage. Valeur propre, valeur adventice.
Domat Jean, Les lois civiles, t. II, 2e éd., Paris, Aubouin, Émery et Clouzier, 1697, p. 348. Des témoins qui jurent qu’ils diront la vérité la diront en effet si rien ne change en eux l’ordre naturel : p. 342. Le témoignage comme un des types de preuve : p. 351. Les preuves par les témoins : p. 368. Les qualités des témoins sont la probité et la fermeté dans le récit, faute de quoi ils sont suspects, et la constance du témoignage : p. 372-374. Témoins intéressés : « si le témoin a quelque intérêt dans le fait où l’on veut se servir de son témoignage, il sera rejeté. Car on ne doit pas s’assurer qu’il fasse une déclaration contraire à son intérêt » : p. 372. Références sur ce point : « Nullus idoneus testis in re sua intelligitur, l. 10 ss ; de testib. Omnibus in re propria dicendi testimonii facultatem jura submoverunt. l. 10 C. cod. ».
La qualité de témoins fait qu’il faut qu’ils soient toujours et partout,
La présence universelle des Juifs est un effet de la diaspora.
Le fragment Preuves de J.-C. 14 (Laf. 311, Sel. 342) reprend à peu de chose près les mêmes termes, pour les appliquer au cas du peuple Juif : C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention de voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années et de le voir toujours misérable, étant nécessaire pour la preuve de J.-C. et qu’il subsiste pour le prouver et qu’il soit misérable, puisqu’ils l’ont crucifié. Et quoiqu’il soit contraire d’être misérable et de subsister il subsiste néanmoins toujours malgré sa misère.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 493. Pascal emprunte à saint Augustin cette idée. Il néglige la réalité concrète, qui a bien changé depuis saint Augustin, à une époque où en effet, il y avait des communautés juives dans tout le monde connu. Voir La Cité de Dieu, XVIII, 46 et surtout Confessions, IX, 4, n. 8. ✍
Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 35 sq. ✍
et misérable.
Misérable : qui est dans la douleur, dans la pauvreté, dans l’affliction ou l’oppression.
Le mot misérable est incontestablement au singulier sur le manuscrit et sur les deux copies. Plusieurs éditions les suivent et donnent misérable au singulier. L’édition Havet, article XXV, n° 45, et Brunschvicg, n° 596, donnent : « ...et, misérable, il est seul ! », avec l’interprétation selon laquelle misérable se rapporte à il et qualifie donc Mahomet. L’interprétation est reprise dans l’édition Le Guern. (Voir la transcription savante)
Certaines éditions, comme Tourneur, optent pour l’ajout d’un s à la leçon du manuscrit. Lafuma Luxembourg donne : « La qualité de témoins fait qu’il faut qu’ils soient toujours, et partout, et misérables. Il est seul. » Le mot misérables renvoie alors aux Juifs, témoins dispersés et misérables. Voir le commentaire critique de Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 35 et p. 684, contre cette lecture de Lafuma, qu’il estime dépourvue de raison. L’édition de Philippe Sellier, 37, donne le même texte que Lafuma. Mais il donne au mot misérable un sens différent, lecture qui semble confirmée par le fragment Preuves de J.-C. 14 (Laf. 311, Sel. 342), où il est indiqué que c’est le peuple juif (et non Mahomet) qui est misérable, « étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ et qu’il subsiste pour le prouver et qu’il soit misérable, puisqu’ils l’ont crucifié. Et quoiqu’il soit contraire d’être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours malgré sa misère ». La misère serait donc un des caractères du témoignage irrécusable, au même titre que la constance et la permanence.
L’interprétation de misérable au singulier n’est pas contradictoire avec le fait que le mot se rapporte au Juifs, pour peu que l’on admette la possibilité d’un accord selon le sens (avec le collectif peuple juif).
Personne ne semble avoir envisagé la possibilité que le mot renvoie à Jésus-Christ. C’est pourtant le nom le plus proche, et le raisonnement pourrait être : Jésus-Christ veut que son témoignage ne soit rien. La qualité de témoin veut qu’ils soient partout et toujours. Jésus-Christ est seul.
Il est seul.
Suematsu Hisashi, “Les Pensées et le métatexte”, Équinoxe, 1, automne 1987, p. 27-53. Voir p. 45. il désigne Mahomet.
Prophéties 11 (Laf. 332, Sel. 364) fait aussi allusion à un homme seul, et rapproche peut-être de Mahomet le cas de Manès. Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 494. Sur l’homme seul : Sellier renvoie à Manès, qui intitulait ses œuvres Manès, apôtre de Jésus-Christ, et proférait seul des prophéties qui ne se sont jamais réalisées. Saint Augustin oppose à ce faux prophète le témoignage massif de tout le peuple d’Israël, Contra Faustum, XIII, 4. Pascal reprend dans le fragment Laf. 793, Sel. 646 l’idée que ce n’est pas un homme qui le dit. Mais selon p. 494, n. 52, Pascal n’aurait pas pressenti en Israël l’existence d’une véritable tradition prophétique dont les prophètes ne seraient que l’expression privilégiée. Mais sachant que Manès ne peut plus intéresser personne, Pascal s’est demandé s’il n’existait pas parmi les ennemis de l’Église de son temps des gens que certains arguments antimanichéens puissent frapper. Or Mahomet offre les mêmes caractéristiques que Manès.
Domat Jean, Les lois civiles, III, sect. III, § XIII, p. 375. « Dans tous les cas où la preuve par témoins peut être reçue, il en faut au moins deux, et ils peuvent suffire, si ce n’est dans le cas où la Loi demande un plus grand nombre. Mais un seul témoin de quelque qualité qu’il puisse être, ne fait point de preuve ». Références : « ubi numerus testium non adjicitur, etiam duo sufficient. Pluralis enim elocution duorum numero contenta est. l. 12 ss de testib. Simili modo sanximus, ut unius testimonium nemo judicum in quacunque causa facile patiatur admitti. Et nunc manifeste sancimus ut unius omnimodo testis responsio non audiatur, etiamsi praeclare Curiae honore fulgeat. l. 9. § 1. C de sestib. »