Fragment Ordre n° 3 / 10 - Papier original :  RO 25-6

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1  Ordre n° 6 p. 1 / C2  p. 14

Éditions savantes : Faugère II, 390, Ordre / Havet X.9 / Brunschvicg 247 / Tourneur p. 168-1 / Le Guern 3 / Maeda I p. 22 / Lafuma 5 / Sellier 39

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Bibliographie

 

SHIOKAWA Tetsuya, “Justus ex fide vivit et fides ex auditu : deux aspects de la foi dans l’apologétique pascalienne”, in MEURILLON Christian (dir.), Pascal, l’exercice de l’esprit, Revue des sciences Humaines, 244, 1996, p. 159-178.

 

 

Éclaircissements

 

Ordre.

Une lettre d’exhortation à un ami pour le porter à chercher.

 

Quoique le fragment Ordre 3 réponde à Ordre 2 (Laf. 4, Sel. 38), par l’idée de commencer par une “Lettre pour porter à chercher Dieu”, après cette “Lettre”, il semble y avoir une discordance. Ordre 2 propose de faire chercher chez les philosophes. C’est le parcours des liasses de la première colonne, suivant la logique de l’Entretien avec M. de Sacy. Après ce parcours, A P. R. présente le point de vue chrétien (déjà anticipé dans Contrariétés 14 - Laf. 131, Sel. 164). Ordre 3 propose l’objection de l’ami à propos de l’utilité des preuves. Ce parcours est soutenu dans les fragments Ordre 5 (Laf. 7, Sel. 41) et Ordre 9 (Laf. 11, Sel. 45), mais il n’a pas été suivi dans les liasses à titre. Pour accorder cette contradiction, on peut proposer l’idée que la recherche chez les philosophes fait partie de la lettre pour porter à chercher de laquelle parle Ordre 3. Il faudrait donc envisager le parcours suivant :

Une “lettre pour porter à chercher” : dans cette lettre est comprise la recherche chez les philosophes.

Après la recherche chez les philosophes, l’ami soulève l’objection que les philosophes n’ont découvert aucune vérité ; donc, à quoi me servira de chercher ? Rien ne paraît.

Il y a une deuxième possibilité, suivant l’hypothèse de Ph. Sellier : « Ordre rassemble des notes où Pascal, lors de la constitution des vingt-six liasses provisoires de l’Apologie, a indiqué les projets nouveaux qui germaient en lui » (Paris, éd. Garnier, 1999, p. 164, n. 1). En ce cas, la discordance entre Sel. 38 et Sel. 39 ne pose plus de problème : Pascal envisageait différentes possibilités et les notait dans Ordre.

 

exhortation

 

Kibedi-Varga Aron, Rhétorique et littérature, p. 29. Bary range l’exhortation sous le genre délibératif, avec les remontrances, les conseils et les consolations.

 

Et il répondra : Mais à quoi me servira de chercher ? Rien ne paraît.

 

M. Le Guern (Paris, Gallimard, 1977) renvoie au fragment Fondement 21 (Laf. 244, Sel. 277) de la liasse Fondements de la religion et réponse aux objections : Objection des athées : « Mais nous n’avons nulle lumière ». L’ami est donc un athée. Le principe pour répondre aux objections est que Dieu a voulu aveugler les uns et éclairer les autres (Fondement 9 - Laf. 232, Sel. 264), donc si on le conteste on ne démontre pas que Dieu n’existe pas, mais qu’on est aveuglé.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, p. 241. L’objection est nous n’avons nulle lumière. Sur Fondements de la religion et réponse aux objections. La religion a des fondements, au sens de ce qui donne crédit à la religion : miracles, prophéties, doctrine, le tout enregistré dans la Bible.

La réponse à cette objection, ce sera que le manque de clarté es dû au cœur mauvais, et non à l’obscurité réelle de la religion.

Bouchilloux Hélène, “La genèse de l’apologétique pascalienne”, in Les Pascal à Rouen, 1640-1648, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 2001, p. 284 sq. Intérêt de cette objection pour l’interprétation du dispositif apologétique des Pensées.

Shiokawa Tetsuya, “Justus ex fide vivit et fides ex auditu : deux aspects de la foi dans l’apologétique pascalienne”, in Meurillon Christian (dir.), Pascal, l’exercice de l’esprit, Revue des sciences Humaines, 244, 1996, p. 159-178.

 

Et lui répondre : Ne désespérez pas.

 

Sur le désespoir en général, voir Excellence 5 (Laf. 192, Sel.  225).

 

Et il répondrait qu’il serait heureux de trouver quelque lumière,

 

C’est une condition indispensable pour une véritable recherche. Voir la Vie de Pascal par Gilberte Périer, Mesnard Jean, OC I, § 53, p. 622 : « il [Pascal] voulait auparavant connaître s’ils cherchaient la vérité de tout leur cœur ». Il n’y a pas d’équivalent dans la première version. Noter que la nécessité du désir de vérité dans la recherche est un thème platonicien.

 

mais que selon cette religion même, quand il croirait ainsi, cela ne lui servirait de rien et qu’ainsi il aime autant ne point chercher.

 

Quand il croirait ainsi, cela ne lui servirait de rien : Havet indique en note pour ainsi : C’est-à-dire sans se convertir de cœur, sans se sanctifier. “Croirait ainsi” signifie « croire à cause des preuves, par raisonnement, sans sentiment, sans foi ».

Suivant la théologie augustinienne, la foi humaine ne suffit pas pour le salut, il y faut la foi divine.

Voir Bouchilloux Hélène, “La genèse de l’apologétique pascalienne”, in Les Pascal à Rouen, 1640-1648, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 2001, p. 286 sq. Objection : à quoi bon chercher, puisque, quand on serait rationnellement convaincu, cela ne servirait à rien tant qu’on ne sera pas converti ? Pascal explique en quoi c’est vrai dans Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142) : Ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés. Mais à ceux qui ne l’ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur. Sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut, et Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412) : on ne croira jamais d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dès qu’il l’inclinera. Donc, l’ami a raison : la religion par raisonnement, que Pascal donnerait à l’ami par le moyen des preuves, est inutile pour le salut, sans le sentiment de cœur que Dieu seul peut donner. Mais l’ami n’a considéré ici que deux moyens de croire : l’inspiration-sentiment (que selon l’ami est la seule qui compte) et la raison (que selon l’ami est inutile pour le salut).

 

Et à cela lui répondre : La machine.

 

La machine, dans le vocabulaire de Pascal, représente la partie « mécanique » de l’homme, c’est-à-dire l’ensemble des habitudes physiques, mais aussi intellectuelles et morales qu’il contracte. Ces mécanismes répondent principalement à la partie corporelle de la nature humaine, c’est-à-dire à ce qu’elle a de commun avec l’animal (on parle à l’époque de l’animal-machine, à la suite de Descartes, pour dire que la bête n’a pas d’âme, mais est constituée de la même manière qu’une mécanique. Pascal recommande donc, pour disposer l’interlocuteur à recevoir la grâce divine, à acquérir des habitudes qui facilitent cette action surnaturelle en lui. Cette notion de machine est expliquée plus à fond dans les commentaires associés au fragment Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), souvent appelé “discours de la machine”.

Le fragment Laf. 808, Sel. 655 répond à l’objection de l’ami en indiquant un troisième moyen de croire : “la machine” : Il y a trois moyens de croire : la raison, la coutume, l’inspiration. La religion chrétienne, qui seule a la raison, n’admet point pour ses vrais enfants ceux qui croient sans inspiration. Ce n’est pas qu’elle exclue la raison et la coutume, au contraire ; mais il faut ouvrir son esprit aux preuves, s’y confirmer par la coutume, mais s’offrir par les humiliations aux inspirations, qui seules peuvent faire le vrai et salutaire effet, ne evacuetur crux Christi (I, Corinthiens, 1, 17).

Voir dans Francis Raymond, Les Pensées de Pascal en France de 1842 à 1942, Essai d’étude historique et critique, Paris, Nizet, 1959, p. 477-479, une série de citations d’auteurs résumant leur interprétation du terme machine.

 

Pour conclure, à l’objection : « Croire sans inspiration ne sert de rien ». Pascal répond : 1. Vous avez raison : selon cette religion même, seules les inspirations « peuvent faire le vrai et salutaire effet » ; 2. Mais vous avez tort : selon cette religion même, « il faut ouvrir son esprit aux preuves » (voir “lettre qui marque l’utilité des preuves”, résumée dans Ordre 5  - Laf. 7, Sel. 41) et « s’y confirmer par la coutume ».