Pensées diverses VII – Fragment n° 5 / 10 – Papier original : RO 17-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 181 p. 419 v° / C2 : p. 393 v°-395

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 270-271 /

1678 n° 68 p. 263

Éditions savantes : Faugère II, 177, IV / Havet XXIV.42 / Brunschvicg 245 / Tourneur p. 132-2 / Le Guern 664 / Lafuma 808 (série XXIX) / Sellier 655

 

 

 

Il y a trois moyens de croire : la raison, la coutume, l’inspiration. La religion chrétienne, qui seule a la raison, n’admet point pour ses vrais enfants ceux qui croient sans inspiration. Ce n’est pas qu’elle exclue la raison et la coutume, au contraire ; mais il faut ouvrir son esprit aux preuves, s’y confirmer par la coutume ; mais s’offrir par les humiliations aux inspirations, qui seules peuvent faire le vrai et salutaire effet : Ne evacuetur crux Christi.

 

 

Ce fragment résume les différents ressorts sur lesquels joue la conversion : l’inspiration qui est la part de Dieu, mais aussi la machine et le raisonnement, qui sont la part de l’homme. Mais il les met chacun à sa place : la coutume et le raisonnement sont des causes secondes et adjuvantes de la conversion. L’inspiration qui naît de la grâce est la cause première et dominante.

 

Ne evacuetur crux Christi : pour que ne soit pas rendue vaine la croix du Christ.

 

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Fragments connexes

 

Contrariétés 8 (Laf. 125, Sel. 158). Qu’est-ce que nos principes naturels sinon nos principes accoutumés. Et dans les enfants ceux qu’ils ont reçus de la coutume de leurs pères comme la chasse dans les animaux.

Une différente coutume en donnera d’autres principes naturels. Cela se voit par expérience et s’il en a d’ineffaçables à la coutume. Il y en a aussi de la coutume contre la nature ineffaçables à la nature et à une seconde coutume. Cela dépend de la disposition.

A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). A P. R. Commencement, après avoir expliqué l’incompréhensibilité.

Les grandeurs et les misères de l’homme sont tellement visibles qu’il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne et qu’il y a quelque grand principe de grandeur en l’homme et qu’il y a un grand principe de misère.

Il faut encore qu’elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés.

Il faut que pour rendre l’homme heureux elle lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui, et notre unique mal d’être séparé de lui, qu’elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d’injustice. Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes. Qu’on examine sur cela toutes les religions du monde et qu’on voie s’il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.

Soumission 20 (Laf. 185, Sel. 217). La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu’ils voient ; elle est au-dessus, et non pas contre.

Preuves de Moïse 2 (Laf. 291, Sel. 323). Cette religion si grande en miracles, saints, purs, irréprochables, savants et grands témoins, martyrs ; rois - David - établis ; Isaïe prince du sang ; si grande en science après avoir étalé tous ses miracles et toute sa sagesse, elle réprouve tout cela et dit qu’elle n’a ni sagesse, ni signe, mais la croix et la folie.

Car ceux qui par ces signes et cette sagesse ont mérité votre créance et qui vous ont prouvé leur caractère, vous déclarent que rien de tout cela ne peut nous changer et nous rendre capables de connaître et aimer Dieu que la vertu de la folie de la croix, sans sagesse ni signe et point non les signes sans cette vertu. Ainsi notre religion est folle en regardant à la cause efficace et sage en regardant à la sagesse qui y prépare.

Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680). Notre âme est jetée dans le corps où elle trouve nombre, temps, dimensions, elle raisonne là-dessus et appelle cela nature, nécessité, et ne peut croire autre chose.

Preuves par discours I (Laf. 419, Sel. 680). La coutume est la nature. Qui s’accoutume à la foi la croit, et ne peut plus ne pas craindre l’enfer, et ne croit autre chose. Qui s’accoutume à croire que le roi est terrible, etc. Qui doute donc que notre âme étant accoutumée à voir nombre, espace, mouvement, croie cela et rien que cela ?

Pensées diverses (Laf. 695, Sel. 574). Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes, sapientius est hominibus. Car sans cela que diraton qu’est l’homme ? Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s’en fûtil aperçu par sa raison, puisque c’est une chose contre sa raison, et que sa raison, bien loin de l’inventer par ses voies, s’en éloigne quand on le lui présente ?

Pensées diverses (Laf. 821, Sel. 661). Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate, par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus.

Miracles II (Laf. 842, Sel. 427). Notre religion est sage et folle, sage parce que c’est la plus savante et la plus fondée en miracles, prophéties, etc., folle parce que ce n’est point tout cela qui fait qu’on en est. Cela fait bien condamner ceux qui n’en sont pas, mais non pas croire ceux qui en sont. Ce qui les fait croire est la croix - ne evacuata sit crux.

Et ainsi saint Paul qui est venu en sagesse et signes dit qu’il n’est venu ni en sagesse ni en signes, car il venait pour convertir, mais ceux qui ne viennent que pour convaincre peuvent dire qu’ils viennent en sagesse et signes.

 

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