Fragment Ordre n° 9 / 10 - Papier original : RO 25-7
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Ordre n° 13 p. 1 v° à 3 / C2 : p. 15
Éditions savantes : Faugère II, 391, Ordre / Havet X.10 / Brunschvicg 246 / Tourneur p. 168-2 / Le Guern 9 / Maeda I p. 51 / Lafuma 11 / Sellier 45
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Bibliographie ✍
GILSON Etienne, “Le sens du mot abêtir chez Pascal”, in Les idées et les lettres, Paris, Vrin, 1932, p. 263-274. SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 55 sq. |
✧ Éclaircissements
♦ Indications sur l’ordre et la forme littéraire
L’enchaînement correspond à celui de Ordre 3 (Laf. 5, Sel. 39). Ordre. Une lettre d’exhortation à un ami pour le porter à chercher. Et il répondra : mais à quoi me servira de chercher, rien ne paraît. Et lui répondre : ne désespérez pas. Et il répondrait qu’il serait heureux de trouver quelque lumière. Mais que selon cette religion même quand il croirait ainsi cela ne lui servirait de rien. Et qu’ainsi il aime autant ne point chercher. Et à cela lui répondre : La Machine. D’après cette esquisse, l’argument de la machine vient après l’idée que l’ami aime autant ne pas chercher. L’idée de la machine vient donc après l’idée de la nécessité de la recherche.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 55 sq., sur la lettre pour porter à chercher Dieu. La lettre d’ôter les obstacles : p. 59 sq. Voir p. 66, n. 22 : Pascal a-t-il prévu une lettre ou quatre lettres ? Sellier préfère la seconde hypothèse, quatre lettres qui correspondent « à la succession des quatre discours de l’ouverture ».
Ordre.
Après la lettre qu’on doit chercher Dieu, faire la lettre d’ôter les obstacles, qui est le discours de la machine,
Voir Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680) : mais pour vous montrer que cela y mène, c’est que cela diminue les passions qui sont vos grands obstacles, etc.
Preuves par les Juifs VI (Laf. 460, Sel. 699), sur l’amour propre et la concupiscence, obstacles intérieurs qui arrêtent l’homme et l’empêchent d’aimer Dieu. Le fragment Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168), “Divertissement”, indique les obstacles extérieurs.
de préparer la machine,
Gilson Etienne, “Le sens du mot abêtir chez Pascal”, in Les idées et les lettres, Paris, Vrin, 1932, p. 263-274.
Laf. 821, Sel. 313. Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus.
Voir Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), “Infini rien”. Je le confesse, je l’avoue, mais encore n’y a-t-il point moyen de voir le dessous du jeu ? oui l’Écriture et le reste, etc. Oui mais j’ai les mains liées et la bouche muette, on me force à parier, et je ne suis pas en liberté, on ne me relâche pas et je suis fait d’une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse ? - Il est vrai, mais apprenez au moins que votre impuissance à croire vient de vos passions. Puisque la raison vous y porte et que néanmoins vous ne le pouvez, travaillez donc non pas à vous convaincre par l’augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. Vous voulez aller à la foi et vous n’en savez pas le chemin. Vous voulez vous guérir de l’infidélité et vous en demandez les remèdes, apprenez de ceux, etc. qui ont été liés comme vous et qui parient maintenant tout leur bien. Ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre et guéris d’un mal dont vous voulez guérir ; suivez la manière par où ils ont commencé. C’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira. Mais c’est ce que je crains. - Et pourquoi ? qu’avez-vous à perdre ? mais pour vous montrer que cela y mène, c’est que cela diminue les passions qui sont vos grands obstacles, etc.
Voir GEF XIII, p. 180, la note de Brunschvicg : les obstacles, c’est « le double libertinage de la vie et de la pensée ». Préparer la machine, c’est prendre l’attitude et pratiquer les œuvres du chrétien, c’est quitter les plaisirs et chasser les passions.
de chercher par raison.
Voir GEF XIII, p. 180, la note de Brunschvicg : chercher par raison, « c’est se guérir du scepticisme en comprenant la relation que la raison soutient avec la foi ». Il semble que ce soit un contresens : le discours de la machine (l’argument du pari) ne démontre pas qu’on doit chercher par raison, c’est-à-dire par le moyen de la raison ; c’est même le contraire. En fait, il faut comprendre que c’est par la raison qu’on montre qu’il faut chercher : il est raisonnable de chercher ; et il faut continuer parce qu’on n’a pas trouvé. Cela répond bien à “Infini rien”.