Pensées - page 164
qui étant partagées affligent plus
leur possesseur par le manque de la
partie qu’il n’a pas, qu’elles ne le
contentent par la jouissance de celle
qui lui appartient. Ils ont compris
que le vrai bien devait être tel que
tous pussent le posséder à la fois sans
diminution et sans envie, et que personne
ne le pût perdre contre son
gré. Ils l’ont compris, mais ils ne
l’ont pu trouver ; et au lieu d’un bien
solide et effectif, ils n’ont embrassé
que l’image creuse d’une vertu fantastique.
Notre instinct nous fait sentir qu’il
faut chercher notre bonheur dans
nous. Nos passions nous poussent au-
dehors, quand même les objets ne
s’offriraient pas pour les exciter. Les
objets du dehors nous tentent d’eux-
mêmes, et nous appellent, quand
même nous n’y pensons pas. Ainsi les
Philosophes ont beau dire : rentrez en
vous-mêmes, vous y trouverez votre
bien ; on ne les croit pas ; et ceux
qui les croient sont les plus vides
et les plus sots. Car qu’y a-t-il de plus
ridicule et de plus vain que ce que proposent
les Stoïciens, et de plus faux |