Fragment Souverain bien n° 2 / 2 – Papier original : RO 377 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Souverain bien n° 202 p. 65-65 v° / C2 : p. 91 à 93

Éditions de Port-Royal :

    Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janv. 1670 p. 162-163 / 1678 n° 1 p. 161-164

    Chap. III - Veritable Religion prouvée par les contrarietez : 1669 et janv. 1670 p. 37-38 / 1678 n° 7 p. 40

Éditions savantes : Faugère II, 121, I / Havet VIII.2 / Michaut 605 / Brunschvicg 425 / Tourneur p. 216-1 / Le Guern 138 / Lafuma 148 / Sellier 181

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janv. 1670 p. 164-167 / 1678 n° 1 p. 161-164

       

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

 

 

[...]

Considérons-le maintenant à l’égard de la félicité qu’il recherche avec tant d’ardeur en toutes ses actions. Car tous les hommes désirent d’être heureux ; cela est sans exception. Quelques différents moyens qu’ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que l’un va à la guerre, et que l’autre n’y va pas, c’ 2 est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui se tuent et qui se pendent.

Et cependant depuis un si grand nombre d’années, jamais personne sans la foi n’est arrivé à ce point, où tous tendent continuellement. Tous se plaignent, Princes, sujets ; nobles, roturiers ; vieillards, jeunes ; forts, faibles ; savants, ignorants ; sains, malades ; de tous pays, de tous temps, de tous âges, et de toutes conditions.

Une épreuve si longue, si continuelle, et si uniforme devrait bien nous convaincre de l’impuissance où nous sommes, d’arriver au bien par nos efforts. Mais l’exemple ne nous instruit point 3. Il n’est jamais si parfaitement semblable, qu’il n’y ait quelque délicate différence ; et c’est de là que nous attendons que notre espérance ne sera pas déçue en cette occasion comme en l’autre. Ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais, l’espérance 2 nous pipe, et de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort qui en est le 2 comble éternel.

 

C’est une chose étrange, qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de tenir la place de la fin et du bonheur de l’homme, astres, éléments, plantes, animaux, insectes, maladies, guerre, vices, crimes, etc. L’homme étant déchu de son état naturel, il n’y a rien à quoi il n’ait été capable de se porter. Depuis qu’il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu’à sa destruction propre, toute contraire qu’elle est à la raison et à la nature tout ensemble.

Les uns ont cherché la félicité dans l’autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés. [Philosophes 7 (Laf. 145, Sel. 178)] Ceux qui en ont le plus approché ont considéré, qu’il est nécessaire que le bien universel que tous les hommes désirent, et où tous doivent avoir part, ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul, et qui étant partagées affligent plus leur possesseur par le manque de la partie qu’il n’a pas, qu’elles ne le contentent par la jouissance de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devait être tel que tous pussent le posséder à la fois sans diminution et sans envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré. Ils l’ont compris, mais ils ne l’ont pu trouver ; et au lieu d’un bien solide et effectif, ils n’ont embrassé que l’image creuse d’une vertu fantastique.

 

[Philosophes 5, Laf. 143, Sel. 176]

[Philosophes 6, Laf. 144, Sel. 177]

[Philosophes 8, Laf. 146, Sel. 179]

 

 

Seconde partie.

Que l’homme sans la foi ne peut connaître le vrai bien, ni la justice.

 

Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes. Jusqu’à ceux qui vont se pendre.

Et cependant depuis un si grand nombre d’années jamais personne, sans la foi, n’est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions.

Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme devrait bien nous convaincre de notre impuissance d’arriver au bien par nos efforts. Mais l’exemple nous instruit peu. Il n’est jamais si parfaitement semblable qu’il n’y ait quelque délicate différence, et c’est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l’autre. Et ainsi, le présent ne nous satisfaisant jamais, l’expérience nous pipe, et de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort qui en est un comble éternel.

[...] (voir ci-dessous le chap. III)

Lui seul est son véritable bien. Et depuis qu’il l’a quitté, c’est une chose étrange qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir la place : astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu’à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble.

Les uns le cherchent dans l’autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés.

 

D’autres, qui en ont en effet plus approché, ont considéré qu’il est nécessaire que ce bien universel que tous les hommes désirent ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul et qui, étant partagées, affligent plus leur possesseur par le manque de la partie qu’ils n’ont pas qu’elles ne le contentent par la jouissance de celle [qui] lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devait être tel que tous pussent le posséder à la fois sans diminution et sans envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré. Et leur raison est que ce désir étant naturel à l’homme puisqu’il est nécessairement dans tous et qu’il ne peut pas ne le pas avoir, ils en concluent...

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 Cette différence provient de la Copie C1 (corrections proposées par Antoine Arnauld selon Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2009, p. 41).

3 Différence qui provient de la transcription des Copies C1 et/ou C2.

 

Commentaires

Les éditeurs tentent d’amenuiser le caractère burlesque de certaines énumérations de Pascal : les choux, les poireaux, les veaux et les serpents disparaissent dans l’édition de Port-Royal ; l’inceste disparaît aussi, sans doute pour éviter de mentionner un vice particulièrement horrible dans un ouvrage de piété.

Les éditeurs ajoutent aussi en début et en fin de texte des phrases de liaison.


 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. III - Véritable religion prouvée par les contrariétés qui sont dans l’homme, et par le péché originel : 1669 et janv. 1670 p. 37-38 / 1678 n° 7 p. 40

       

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

  Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois en l’homme un véritable bonheur dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, en cherchant dans les choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, et que les unes et les autres sont incapables de lui donner, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable ?

 

 

Qu’est‑ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est‑à‑dire que par Dieu même.

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

 

Commentaires

La raison de la suppression de l’allusion à Dieu n’est pas parfaitement claire. Peut-être l’idée que Dieu puisse remplir un gouffre a-t-elle paru excessivement audacieuse aux éditeurs.