Pensées - page 173
la vue ; trop de longueur, et
trop de brièveté obscurcissent un discours ;
trop de plaisir incommode ;
trop de consonnances déplaisent. Nous
ne sentons ni l’extrême chaud, ni
l’extrême froid. Les qualités excessives
nous sont ennemies, et non pas
sensibles. Nous ne les sentons plus,
nous les souffrons. Trop de jeunesse
et trop de vieillesse empêchent l’esprit ;
trop et trop peu de nourriture
troublent ses actions ; trop et trop
peu d’instruction l’abêtissent. Les
choses extrêmes sont pour nous comme
si elles n’étaient pas ; et nous ne
sommes point à leur égard. Elles nous
échappent, ou nous à elles.
Voilà notre état véritable. C’est
ce qui resserre nos connaissances en
de certaines bornes que nous ne passons
pas ; incapables de savoir tout,
et d’ignorer tout absolument. Nous
sommes sur un milieu vaste, toujours
incertains et flottants entre l’ignorance
et la connaissance ; et si nous pensons
aller plus avant, notre objet
branle, et échappe nos prises ; il se
dérobe, et fuit d’une fuite éternelle :
rien ne le peut arrêter. C’est notre |