Pensées - page 196
Il ne lui en reste que très peu,
dont elle puisse disposer. Mais ce peu
qui lui reste l’incommode si fort, et
l’embarrasse si étrangement, qu’elle
ne songe qu’à le perdre. Ce lui est
une peine insupportable d’être obligée
de vivre avec soi, et de penser à soi.
Ainsi tout son soin est de s’oublier
soi-même, et de laisser couler ce
temps si court et si précieux sans réflexion,
en s’occupant des choses qui
l’empêchent d’y penser.
C’est l’origine de toutes les occupations
tumultuaires des hommes, et
de tout ce qu’on appelle divertissement
ou passe-temps ; dans lesquels
on n’a en effet pour but que d’y laisser
passer le temps, sans le sentir, ou
plutôt sans se sentir soi-même ; et
d’éviter en perdant cette partie de la
vie, l’amertume et le dégoût intérieur
qui accompagnerait nécessairement
l’attention que l’on ferait sur
soi-même durant ce temps-là. L’âme
ne trouve rien en elle qui la contente.
Elle n’y voit rien qui ne l’afflige,
quand elle y pense. C’est ce qui
la contraint de se répandre au-dehors,
et de chercher dans l’application aux
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