L’édition de Port-Royal de 1678

 

 

 

Pensées - page 196

Il ne lui en reste que très peu,

dont elle puisse disposer. Mais ce peu

qui lui reste l’incommode si fort, et

l’embarrasse si étrangement, qu’elle

ne songe qu’à le perdre. Ce lui est

une peine insupportable d’être obligée

de vivre avec soi, et de penser à soi.

Ainsi tout son soin est de s’oublier

soi-même, et de laisser couler ce

temps si court et si précieux sans réflexion,

en s’occupant des choses qui

l’empêchent d’y penser.

C’est l’origine de toutes les occupations

tumultuaires des hommes, et

de tout ce qu’on appelle divertissement

ou passe-temps ; dans lesquels

on n’a en effet pour but que d’y laisser

passer le temps, sans le sentir, ou

plutôt sans se sentir soi-même ; et

d’éviter en perdant cette partie de la

vie, l’amertume et le dégoût intérieur

qui accompagnerait nécessairement

l’attention que l’on ferait sur

soi-même durant ce temps-là. L’âme

ne trouve rien en elle qui la contente.

Elle n’y voit rien qui ne l’afflige,

quand elle y pense. C’est ce qui

la contraint de se répandre au-dehors,

et de chercher dans l’application aux

 

 

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