Pensées - page 197
choses extérieures, à perdre le souvenir
de son état véritable. Sa joie
consiste dans cet oubli ; et il suffit
pour la rendre misérable, de l’obliger
de se voir, et d’être avec soi.
On charge les hommes dès l’enfance
du soin de leur honneur, de leurs
biens, et même du bien et de l’honneur
de leurs parents et de leurs amis.
On les accable de l’étude des langues,
des sciences, des exercices, et
des arts. On les charge d’affaires :
on leur fait entendre, qu’ils ne sauraient
être heureux, s’ils ne font en
sorte par leur industrie et par leur soin,
que leur fortune, leur honneur, et
même la fortune et l’honneur de
leurs amis soient en bon état, et
qu’une seule de ces choses qui manque
les rend malheureux. Ainsi on
leur donne des charges et des affaires
qui les font tracasser dès la pointe du
jour. Voilà, direz-vous, une étrange
manière de les rendre heureux. Que
pourrait-on faire de mieux pour les
rendre malheureux ? Demandez-vous
ce qu’on pourrait faire ? Il ne faudrait
que leur ôter tous ces soins.
Car alors ils se verraient, et ils penseraient |