Pensées - page 208
qui a perdu depuis peu son fils unique,
et qui, accablé de procès et de querelles,
était ce matin si troublé, n’y pense
plus maintenant ? Ne vous en étonnez
pas : il est tout occupé à voir
par où passera un cerf que ses chiens
poursuivent avec ardeur depuis six
heures. Il n’en faut pas davantage
pour l’homme, quelque plein de tristesse
qu’il soit. Si l’on peut gagner sur
lui de le faire entrer en quelque divertissement,
le voilà heureux pendant ce
temps-là, mais d’un bonheur faux et
imaginaire, qui ne vient pas de la possession
de quelque bien réel et solide,
mais d’une légèreté d’esprit qui lui
fait perdre le souvenir de ses véritables
misères, pour s’attacher à des
objets bas et ridicules, indignes de
son application, et encore plus de son
amour. C’est une joie de malade et
de frénétique, qui ne vient pas de la
santé de son âme, mais de son dérèglement.
C’est un ris de folie et d’illusion.
Car c’est une chose étrange
que de considérer ce qui plaît aux
hommes dans les jeux et les divertissements.
Il est vrai qu’occupant l’esprit,
ils le détournent du sentiment de |