Pensées - page 210
ennui en jouant tous les jours peu de
chose, qu’on rendrait malheureux en
lui donnant tous les matins l’argent
qu’il peut gagner chaque jour, à condition
de ne point jouer. On dira peut-
être, que c’est l’amusement du jeu
qu’il cherche, et non pas le gain. Mais
qu’on le fasse jouer pour rien, il ne s’y
échauffera pas, et s’y ennuiera. Ce
n’est donc pas l’amusement seul qu’il
cherche : un amusement languissant et
sans passion l’ennuiera. Il faut qu’il s’y
échauffe, et qu’il se pique lui-même,
en s’imaginant qu’il serait heureux de
gagner ce qu’il ne voudrait pas qu’on
lui donnât à condition de ne point
jouer ; et qu’il se forme un objet de
passion, qui excite son désir, sa colère,
sa crainte, son espérance.
Ainsi les divertissements qui font le
bonheur des hommes ne sont pas seulement
bas ; ils sont encore faux et
trompeurs ; c’est-à-dire qu’ils ont pour
objet des fantômes et des illusions,
qui seraient incapables d’occuper l’esprit
de l’homme, s’il n’avait perdu
le sentiment et le goût du vrai bien,
et s’il n’était rempli de bassesse, de
vanité, de légèreté, d’orgueil, et d’une |