Fragment Prophéties n° 25 / 27  – Papier original : RO 165-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 359 p. 171 v° / C2 : p. 205

Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 118  / 1678 n° 6 p. 117-118

Éditions savantes : Faugère II, 308, XXXV / Havet XVIII.6 / Brunschvicg 729 / Tourneur p. 288-3 / Le Guern 327 / Lafuma 346 / Sellier 378

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Bibliographie

 

 

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 275-276.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Prédictions.

 

Il faut distinguer prédiction et prophétie. Pour Pascal, prophétiser, c’est parler de Dieu par sentiment de cœur ; par conséquent ce n’est pas seulement prédire. Prédire a une extension moindre.

 

Il est prédit qu’au temps du Messie il viendrait établir une nouvelle alliance qui ferait oublier la sortie d’Égypte

 

Alliance : c’est le sens du mot testament, qui signifie contrat, convention, et par là désigne l’alliance de Dieu avec son peuple.

Bouyer L., Dictionnaire théologique, art. Alliance, p. 31. Le mot hébreu berith signifie à l’origine un contrat d’association de nature sacrée. Celle que Dieu contracte avec Israël est une initiative libre et souveraine ; elle est la base même de l’existence du peuple comme peuple de Dieu, et engage la fidélité des deux parts. L’alliance conclue sur la base du Décalogue doit être, selon les prophètes, renouvelée en cédant la place à une alliance nouvelle et éternelle, écrite dans les cœurs (Jérémie, XXXI, et Ézéchiel, XXXVXVII).

Genèse, VI, 18. « J’établirai mon alliance avec vous ; et vous entrerez dans l’arche, vous et vos fils, votre femme et les femmes de vos fils avec vous. »

Genèse VII, 21. « Le Seigneur en reçut une odeur qui lui fut très agréable, et il dit : Je ne répandrai plus ma malédiction sur la terre à cause des hommes, parce que l’esprit de l’homme et toutes les pensées de son cœur sont portés au mal dès sa jeunesse. Je ne frapperai donc plus de mort, comme j’ai fait, tout ce qui est vivant et animé.

22. Tant que la terre durera, la semence et la moisson, le froid et le chaud, l’été et l’hiver, la nuit et le jour, ne cesseront point de s’entre-suivre. »

Genèse, IX, 8. « Dieu dit encore à Noé et à ses enfants aussi bien qu’à lui : 9. Je vais faire alliance avec vous, et avec votre race après vous, 10. Et avec tous les animaux vivants qui sont avec vous, tant les oiseaux que les animaux, ou domestiques, ou de la campagne, qui sont sortis de l’arche, et avec toutes les bêtes de la terre. 11. J’établirai mon alliance avec vous ; et toute chair qui a vie ne périra plus désormais par les eaux du déluge ; et il n’y aura plus à l’avenir de déluge qui extermine toute la terre. 12. Dieu dit ensuite : Voici le signe de l’alliance que j’établis pour jamais entre moi et vous, et tous les animaux vivants qui sont avec vous : 13. Je mettrai mon arc dans les nuées, afin qu’il soit le signe de l’alliance que j’ai faite avec la terre. 14. Et lorsque j’aurai couvert le ciel de nuages, mon arc paraîtra dans les nuées ; 15. Et je me souviendrai de l’alliance que j’ai faite avec vous et avec toute âme qui vit et anime la chair qui a vie. »

La sortie d’Égypte et le passage de la mer Rouge sont, dans l’histoire du peuple juif, le symbole de la libération de ses ennemis. Cette allusion a été suggérée par la citation de Jérémie donnée ci-dessous.

Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). Figures. Isaïe 51. La mer Rouge image de la rédemption.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Car la nature est une image de la grâce et les miracles visibles sont image des invisibles, ut sciatis, tibi dico surge.

Is. 51 dit que la rédemption sera comme le passage de la mer Rouge.

Dieu a donc montré en la sortie d’Égypte, de la mer, en la défaite des rois, en la manne, en toute la généalogie d’Abraham qu’il était capable de sauver, de faire descendre le pain du ciel, de sorte que ce peuple ennemi est la figure et représentation du même Messie qu’ils ignorent.

Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc.

Une fois compris que la véritable délivrance est celle des péchés, on n’a plus de raison de tenir la sortie d’Égypte et le passage de la mer Rouge comme autre chose que des figures.

Loi figurative 29 (Laf. 274, Sel. 305). Preuve des deux Testaments à la fois.

[...] 5. Preuves par les principes des rabbins qu’il y a deux sens.

Qu’il y a deux avènements du Messie, glorieux ou abject selon leur mérite.

Que les prophètes n’ont prophétisé que du Messie. La loi n’est pas éternelle, mais doit changer au Messie.

Qu’alors on ne se souviendra plus de la mer Rouge.

Que les Juifs et les Gentils seront mêlés.

 

Jér. 23. 5,

 

Cette référence et la suivante sont en addition sur le manuscrit.

Jérémie, XXIII, 5, donne le texte suivant : « Ecce dies veniunt, ait Dominus, et suscitabo David germen iustum et regnabit rex et sapiens erit, et faciet judicium et justitiam in terra » ; « Le temps vient, dit le Seigneur, où je susciterai à David une race juste ; un roi règnera qui sera sage, qui agira selon l’équité, et qui rendra justice sur la terre » (traduction de la Bible de Port-Royal). Le verset 7 ensuite fait allusion à l’Égypte en termes très proches de ceux de Pascal : « C’est pourquoi le temps vient, dit le Seigneur, où l’on ne dira plus : Vive le Seigneur qui a tiré les enfants d’Israël de l’Égypte ».

 

 Is. 43. 16

 

Isaïe, XLIII, 16. « Haec dicit Dominus qui dedit in mari viam et in aquis torrentibus semitam » ; « Voici ce que dit le Seigneur qui a ouvert un chemin au milieu de la mer, en un sentier au travers des abîmes d’eau ».

Il y a là une allusion à la sortie d’Égypte et à la traversée de la mer Rouge.

 

qui mettrait sa loi non dans l’extérieur mais dans le cœur ;

 

Sur le cœur, voir Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142).

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 315.

Prophéties 7 (Laf. 328, Sel. 360). Qu’alors on n’enseignera plus son prochain disant : « voici le Seigneur », car Dieu se fera sentir à tous. Vos fils prophétiseront. Je mettrai mon esprit et ma crainte en votre cœur.

Tout cela est la même chose.

Prophétiser c’est parler de Dieu, non par preuves de dehors, mais par sentiment intérieur et immédiat.

Cette formule dessine d’avance certaines idées qui seront développées dans la liasse Conclusion. Voir plus bas.

Les termes du renouvellement de l’alliance entre Dieu et son peuple sont rapportés dans le livre de l’Exode.

 

qu’il mettrait sa crainte qui n’avait été qu’au-dehors, dans le milieu du cœur.

 

Jérémie, XXXII, 40. « Et feriam eis pactum sempiternum et non desinam eis benefacere et timorem meum dabo in corde eorum ut non recedant a me » ; « Je ferai avec eux une alliance éternelle, je ne cesserai point de les combler de mes bienfaits, et j’imprimerai ma crainte dans leur cœur, afin qu’ils ne se retirent point de moi » (traduction de la Bible de Port-Royal).

La crainte qui est au dehors est ce que le langage théologique appelle la crainte servile, savoir la volonté d’obéir aux commandements de Dieu, mais sans amour de Dieu, et seulement par peur du châtiment ou par orgueil. C’est le sentiment qui animait les Juifs charnels, contrairement aux vrais Juifs inspirés par l’amour de Dieu. C’est de cette manière que l’on se représentait les pharisiens.

Sur les pharisiens, voir le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, article Pharisiens, Paris, Cerf, 1993, p. 877 sq. Chefs spirituels du peuple juif en terre d’Israël à l’époque du second Temple ; c’est l’une des trois ou quatre écoles philosophiques décrites par Flavius Josèphe, à côté des sadducéens, des esséniens et de la faction des zélotes. La doctrine des pharisiens a pris racine au Ve siècle avant le Christ, à l’époque d’Esdras et de Néhémie, qui avaient instauré un judaïsme fondé sur la Torah parmi les habitants juifs de Judée et de l’empire perse. Les pharisiens représentent l’essentiel des dirigeants religieux laïques du peuple. La description que fait le Nouveau Testament du souci des pharisiens d’une application sèche et minutieuse de la loi est récusée par le corpus de littérature talmudique qui montre la simplicité de l’attitude des sages dans leur conduite. Voir pour approfondir Pelletier Marcel, Les pharisiens. Histoire d’un parti méconnu, Paris, Cerf, 1990.

Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, IIe Partie, ch. XVII, Corruption et superstition parmi les Juifs : fausses doctrines des pharisiens, éd. Velat et Champailler, Pléiade, Paris, NRF, Gallimard, 1961, p. 833 sq. p. 833. « Les juifs [...] oublièrent que sa bonté seule les avait séparés des autres peuples, et regardèrent sa grâce comme une dette. Race élue et toujours bénie depuis deux mille ans, ils se jugèrent les seuls dignes de connaître Dieu, et se crurent d’une autre espèce que les autres hommes qu’ils voyaient privés de sa connaissance. Sur ce fondement, ils regardèrent les Gentils avec un insupportable dédain. Être sorti d’Abraham selon la chair, leur paraissait une distinction qui les mettait naturellement au-dessus de tous les autres ; et enflés d’une si belle origine, ils se croyaient saints par nature, et non par grâce : erreur qui dure encore parmi eux. Ce fut les pharisiens, qui cherchant à se glorifier de leurs lumières, et de l’exacte observance des cérémonies de la loi, introduisirent cette opinion vers la fin des temps. Comme ils ne songeaient qu’à se distinguer des autres hommes, ils multiplièrent sans bornes les pratiques extérieures, et débitèrent toutes leurs pensées, quelque contraires qu’elles fussent à la loi de Dieu, comme des traditions authentiques. »

Mais derrière les réalités du Nouveau Testament sont présentes les réalités modernes. Lorsqu’il oppose aux vrais Juifs les Juifs charnels qui n’ont pour Dieu qu’un amour extérieur, Pascal a en tête les casuistes corrompus et les jésuites contre lesquels il a écrit la dixième Provinciale. Les jésuites eux-mêmes ont revendiqué cette filiation avec les pharisiens. Voir le Second écrit des curés de Paris, § 16 : « Après avoir semé le désordre de toutes parts, par la publication de leur détestable morale, ils traitent de perturbateurs du repos public ceux qui ne se rendent pas complaisants à leurs desseins, et qui ne peuvent souffrir que ces Pharisiens de la loi nouvelle, comme ils se sont appelés eux-mêmes, établissent leurs traditions humaines sur la ruine des traditions divines. » Cette formule se trouve en effet sous la plume d’un jésuite, le P. Cellot, auteur du De hierarchia et hierarchicis, 1641 : « Ego novae legis pharisaeus ». L’expression a été relevée par Arnauld dans L’innocence et la vérité défendues, 1652, et la Remontrance aux PP. jésuites, 1651.

 

Qui ne voit la loi chrétienne en tout cela ?

 

Conclusion 5 (Laf. 381, Sel. 413). Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments c’est parce qu’ils ont une disposition intérieure toute sainte et que ce qu’ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu’un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu, ils ne veulent haïr qu’eux-mêmes. Ils sentent qu’ils n’en ont pas la force d’euxmêmes, qu’ils sont incapables d’aller à Dieu et que si Dieu ne vient à eux ils sont incapables d’aucune communication avec lui et ils entendent dire dans notre religion qu’il ne faut aimer que Dieu et ne haïr que soi-même, mais qu’étant tous corrompus et incapables de Dieu, Dieu s’est fait homme pour s’unir à nous. Il n’en faut pas davantage pour persuader des hommes qui ont cette disposition dans le cœur et qui ont cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.