Fragment Conclusion n° 5 / 6 – Papier original : RO 481-4
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Conclusion n° 371 p. 185-185 v° / C2 : p. 217-218
Éditions de Port-Royal : Chap. VI - Foi sans raisonnement : 1669 et janvier 1670 p. 51-52 / 1678 n° 3 p. 53-54
Éditions savantes : Faugère II, 176, III / Havet XIII.11 / Brunschvicg 286 / Tourneur p. 296-5 / Le Guern 361 / Lafuma 381 / Sellier 413
Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments, c’est parce qu’ils ont une disposition intérieure toute sainte et que ce qu’ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu’un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu, ils ne veulent haïr qu’eux‑mêmes. Ils sentent qu’ils n’en ont pas la force d’eux‑mêmes, qu’ils sont incapables d’aller à Dieu et que si Dieu ne vient à eux ils sont incapables d’aucune communication avec lui, et ils entendent dire dans notre religion qu’il ne faut aimer que Dieu et ne haïr que soi‑même, mais qu’étant tous corrompus et incapables de Dieu, Dieu s’est fait homme pour s’unir à nous. Il n’en faut pas davantage pour persuader des hommes qui ont cette disposition dans le cœur et qui ont cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.
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Ce fragment fait partie d’un ensemble de trois textes qui approfondissent la nature de la foi des personnes simples et de ses rapports avec la foi des personnes instruites.
Ces deux sortes de foi ne se contredisent pas ; au contraire, elles sont complémentaires et chacune est utile à l’autre.
Ce fragment est le deuxième de la série, dans l’ordre logique : dans Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412), Pascal a d’abord mis son lecteur en face du fait de la foi des simples, en lui demandant de ne pas s’en étonner et surtout de ne pas la juger insuffisante. Il fait ici le bilan des sentiments qui doivent inspirer des mouvements de vraie foi, en explique les différentes qualités. Dans le suivant, Conclusion 6 (Laf. 382, Sel. 414), il montrera en quoi la foi des personnes instruites peut être utile à celle des humbles.
Ces trois fragments doivent être lus dans la continuité les uns des autres.
Fragments connexes
Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142). Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. [...] Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison - qui voudrait juger de tout - mais non pas à combattre notre certitude. Comme s’il n’y avait que la raison capable de nous instruire, plût à Dieu que nous n’en eussions au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment, mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement. Et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l’ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment du cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut.
Fausseté 18 (Laf. 220, Sel. 253). Nulle autre religion n’a proposé de se haïr, nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïssent et qui cherchent un être véritablement aimable. Et ceux‑là s’ils n’avaient jamais ouï parler de la religion d’un Dieu humilié l’embrasseraient incontinent.
Morale chrétienne 22 (Laf. 373, Sel. 405). Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi.
Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412). Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement, Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes, il incline leur cœur à croire ; on ne croira jamais d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dès qu’il l’inclinera. Et c’est ce que David connaissait bien. Inclina cor meum Deus in, etc.
Conclusion 6 (Laf. 382, Sel. 414). Ceux que nous voyons chrétiens sans la connaissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d’en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent par le cœur comme les autres en jugent par l’esprit. C’est Dieu lui-même qui les incline à croire et ainsi ils sont très efficacement persuadés.
J’avoue bien qu’un de ces chrétiens qui croient sans preuves n’aura peut-être pas de quoi convaincre un infidèle, qui en dira autant de soi, mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce fidèle est véritablement inspiré de Dieu, quoiqu’il ne peut le prouver lui-même.
Car Dieu ayant dit dans ses prophètes, (qui sont indubitablement prophètes) que dans le règne de J.-C. il répandrait son esprit sur les nations et que les fils, les filles et les enfants de l’Église prophétiseraient il est sans doute que l’esprit de Dieu est sur ceux-là et qu’il n’est point sur les autres.
Preuves par discours I (Laf. 424, Sel. 680). C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison.
Pensées diverses (Laf. 564, Sel. 471). La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer. Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or il n’y a que l’être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous-même et n’est pas nous.
Pensées diverses (Laf. 597, Sel. 494). Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l’ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable.
Pensées diverses (Laf. 618, Sel. 511). S’il y a un Dieu il ne faut aimer que lui et non les créatures passagères. Le raisonnement des impies dans la Sagesse n’est fondé que sur ce qu’il n’y a point de Dieu. Cela posé, dit-il, jouissons donc des créatures. C’est le pis-aller. Mais s’il y avait un Dieu à aimer il n’aurait pas conclu cela mais bien le contraire. Et c’est la conclusion des sages : il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures. Donc tout ce qui nous incite à nous attacher aux créatures est mauvais puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu, si nous le connaissons, ou de le chercher si nous l’ignorons. Or nous sommes pleins de concupiscence, donc nous sommes pleins de mal, donc nous devons nous haïr nous-mêmes, et tout ce qui nous excite à autre attache qu’à Dieu seul.
Pensées diverses (Laf. 821, Sel. 661). Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’ils suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus.
La raison agit avec lenteur et avec tant de vues sur tant de principes, lesquels il faut qu’ils soient toujours présents, qu’à toute heure elle s’assoupit ou s’égare manque d’avoir tous ses principes présents. Le sentiment n’agit pas ainsi ; il agit en un instant et toujours est prêt à agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante.
Mots-clés : Amour – Cœur – Communication – Corruption – Croire – Devoir – Dieu – Disposition – Force – Haine – Homme – Incapacité – Intérieur – Persuasion – Religion – Saint – Testament – Union.