Fragment Prophéties n° 7 / 27  – Papier original : RO 221-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 352 p. 165 v° / C2 : p. 199

Éditions savantes : Faugère II, 271, IV / Havet XXV.160 / Brunschvicg 732 / Tourneur p. 284-1 / Le Guern 309 / Lafuma 328 / Sellier 360

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

BOULENGER Abbé A., Manuel d’apologétique. Introduction à la doctrine catholique, Paris-Lyon, Vitte, 1923, IIe partie, section II, chap. III, Réalisation en Jésus des prophéties messianiques, p. 235 sq.

CAZELLES Henri, Introduction critique à l’ancien testament, Paris, Desclée, 1973.

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, article Prophètes et prophétie, Paris, Cerf, 1993.

GHEERAERT Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, Paris, Champion, 2003.

SELLIER Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 471-483.

SELLIER Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 461-470.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

THOMAS d’AQUIN, Questions disputées sur la vérité, Question XII, La prophétie (De prophetia), éd. S. T. Bonino et J.-P. Torell, Paris, Vrin, 2006.

 

 

Éclaircissements

 

Les parties soulignées sur le manuscrit de ce fragment (en italique dans l’édition moderne) ne correspondent pas exactement aux citations. Pascal souligne les termes qui marquent que la prophétie est affaire de cœur et de sentiment immédiat.

 

Qu’alors on n’enseignera plus son prochain disant : « Voici le Seigneur »,

 

Alors : il s’agit d’un temps prophétique, qui annonce l’état des hommes lorsque le Messie aura paru. C’est le temps de la loi nouvelle, par opposition à celui de la loi ancienne.

Jérémie, XXXI, 34. « Et non docebunt ultra vir proximum suum et vir fratrem suum dicens cognoscite Dominum omnes enim cognoscent me a minimo eorum usque ad maximum ait Dominus quia propitiabor iniquitati eorum et peccati eorum non ero memor amplius » ; « Et chacun d’eux n’aura plus besoin d’enseigner son prochain et son frère, en disant : Connaissez le Seigneur, parce que tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu’au plus grand, dit le Seigneur ; car je leur pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés » (tr. de la Bible de Port-Royal).

La Bible de Port-Royal commente ce passage comme suit : « le Seigneur venait de dire, pour faire voir la différence de l’alliance nouvelle d’avec l’ancienne, qu’il imprimerait ses lois dans les entrailles de son peuple, et les écrirait au fond de leurs cœurs. Et il ajoute aussitôt après comme une suite de cette grande vérité, que chacun d’eux n’aurait plus besoin d’enseigner son prochain et son frère en lui disant : Connaissez le Seigneur, c’est-à-dire, qu’au lieu que dans l’ancienne loi, les préceptes n’étaient point écrits dans le cœur des hommes, mais seulement sur les tables de Moïse, qui leur mettaient continuellement devant les yeux ce qu’ils devaient faire sans que l’amour qui conduit le cœur y eût de part, les lois saintes de la loi nouvelle étant gravées au contraire dans les entrailles des chrétiens par la charité que le Saint Esprit y répandrait, ils se trouveraient enseignés de Dieu, comme dit un autre prophète [Is. 54. 13. Jean. 6. 45], d’une manière sans comparaison plus avantageuse que les Juifs. Ainsi les prophètes leur ayant dit et répété si souvent les vérités que leur ministère les obligeait de leur annoncer, ces cœurs de pierre n’en paraissaient point touchés, parce qu’elles ne frappaient que leurs oreilles. Mais dès les premiers discours que leur fit saint Pierre au temps de la nouvelle alliance, il en convertit un très grand nombre, parce que dans le moment qu’il leur parlait, Dieu agissait secrètement dans leurs cœurs, et y imprimait par son doigt divin les vérités qui regardaient leur salut ».

Gheeraert Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, Paris, Champion, 2003, p. 158 sq. Office prophétique du poète biblique.

 

car Dieu se fera sentir à tous. Vos fils prophétiseront.

 

Dieu se fera sentir à tous : Pascal a d’abord écrit connaître, qu’il a remplacé par sentir, sans doute parce que le sens de connaître paraît convenir plutôt à l’œuvre de la raison. Or dans ce fragment, Pascal se réfère plutôt au fragment Preuves par discours I (Laf. 424, Sel. 680) : C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison.

Cette annonce réalise le vœu exprimé par Moïse dans les Nombres, XI, 19. « Quis tribuat ut omnis populus prophetet, et det eis Dominus Spiritum suum ? » ; « Plût à Dieu que tout le peuple prophétisât, et que le Seigneur répandit son Esprit sur eux ! » (tr. de la Bible de Port-Royal). Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Cette parole fait voir clairement que cet homme de Dieu avait dès lors dans l’esprit Jésus-Christ mort, ressuscité, monté au ciel et établissant son Église par l’effusion de son Esprit, puisqu’il la marque ici avec des paroles toutes semblables à celles que saint Pierre tire du prophète Joël, lorsqu’il dit aux Juifs épouvantés de ce grand miracle, par lequel ils voyaient les apôtres publier les grandeurs de Dieu en tant de langues qu’ils n’avaient jamais apprises : C’est ce qui a été dit par le prophète Joël : Dans les derniers temps, dit le Seigneur, je répandrai mon Esprit sur toute chair : Vos fils et vos filles prophétiseront ; vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes. En ces jours-là je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront » [Actes. c. 2. v. 16].

Joël, II, 28. « Et erit post haec effundam spiritum meum super omnem carnem, et prophetabunt filii vestri et filiae vestrae » ; « Je répandrai mon esprit sur toute chair ; et vos fils prophétiseront, et aussi vos filles ».

La Bible de Port-Royal souligne la convergence de cette citation avec la précédente : « Cette prophétie est l’une des plus claires et des plus indubitables de la loi nouvelle, le Saint Esprit ayant récité ces propres paroles par la bouche de saint Pierre en sa première prédication, pour prouver aux Juifs que ce qu’ils voyaient arriver lorsqu’il descendit sur les apôtres et sur les disciples en forme de feu, et qu’il les fit parler diverses langues sans en avoir appris aucune, avait été prédit clairement par ce prophète, près de huit cents ans avant Jésus-Christ.

Joël donc marque l’établissement de l’Église, en disant que ses enfants seraient pleins de l’Esprit de Dieu, et prophétiseraient : comme Moïse semble l’avoir eu dans l’esprit, lorsque reprenant Josué, qui le priant d’empêcher de prophétiser deux de ces septante-deux personnes qui devaient être sous Moïse les juges des peuples, il lui répondit, avec autant de lumière que d’humilité [Nombres, 11, v. 29] : Pourquoi vous intéressez-vous pour mon honneur particulier ? Plût à Dieu que tout le peuple prophétisât, et que Dieu leur donnât à tous son Esprit ?, marquant ainsi quinze cents ans auparavant ce qui est arrivé, lorsqu’à la naissance de l’Église tous les fidèles ont été remplis du Saint Esprit.

Je répandrai, dit-il, mon Esprit, non plus comme autrefois sur quelques prophètes, qui paraissaient rarement de temps en temps, mais sur toute chair, c’est-à-dire sur tous les hommes, Juifs ou Gentils, sans distinction ni de sexe, ni d’âge, ni de pays. C’est pourquoi il ajoute : Vos fils et vos filles prophétiseront. Car on voit dans les Actes [Actes, 11, v. 21 ; I Cor. 14. v. 29], que plusieurs prophètes se trouvaient en même temps dans l’Église d’Antioche. Et il y en avait un si grand nombre dans celle de Corinthe, que saint Paul fut obligé de prescrire la manière en laquelle ils devaient prophétiser l’un après l’autre, pour ne point troubler l’ordre de l’Église. Il est marqué aussi dans les Actes, que les quatre filles de Philippe Diacre étaient prophétesses. »

Preuves de Jésus-Christ 4 (Laf. 301, Sel. 332). Sainteté. Effundam spiritum meum. Tous les peuples étaient dans l’infidélité et dans la concupiscence, toute la terre fut ardente de charité : les princes quittent leurs grandeurs, les filles souffrent le martyre. D’où vient cette force ? c’est que le Messie est arrivé. Voilà l’effet et les marques de sa venue.

 

Je mettrai mon esprit et ma crainte en votre cœur.

 

Jérémie, XXXI, 33. « Sed hoc erit pactum, quod feriam cum domo Israël post dies illos, dicit Dominus : Dabo legem meam in visceribus eorum, et in corde eorum scribam eam : et ero eis in Deum et ipsi erunt mihi in populum » ; « Mais voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël après que ce temps-là sera venu, dit le Seigneur : J’imprimerai ma loi dans leurs entrailles, et je l’écrirai dans leur cœur, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. »

Prophéties 25 (Laf. 346, Sel. 378). Prédictions. Il est prédit qu’au temps du Messie il viendrait établir une nouvelle alliance qui ferait oublier la sortie d’Égypte - Jér. 23. 5. - Is. 43. 16 - qui mettrait sa loi non dans l’extérieur mais dans le cœur, qu’il mettrait sa crainte qui n’avait été qu’au dehors, dans le milieu du cœur. Qui ne voit la loi chrétienne en tout cela ?

Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Prédictions. Qu’en la 4e monarchie, avant la destruction du 2e temple, avant que la domination des Juifs fût ôtée en la 70e semaine de Daniel, pendant la durée du 2e temple les païens seraient instruits et amenés à la connaissance du Dieu adoré par les Juifs, que ceux qui l’aiment seraient délivrés de leurs ennemis, remplis de sa crainte et de son amour.

Et il est arrivé qu’en la 4e monarchie avant la destruction du 2e temple, etc. les païens en foule adorent Dieu et mènent une vie angélique.

Les filles consacrent à Dieu leur virginité et leur vie, les hommes renoncent à tous plaisirs. Ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles.

Les riches quittent leurs biens, les enfants quittent la maison délicate de leurs pères pour aller dans l’austérité d’un désert, etc. Voyez Philon juif.

Qu’est-ce que tout cela ? c’est ce qui a été prédit si longtemps auparavant ; depuis 2 000 années aucun païen n’avait adoré le Dieu des Juifs et dans le temps prédit la foule des païens adore cet unique Dieu. Les temples sont détruits, les rois mêmes se soumettent à la croix. Qu’est-ce que tout cela ? C’est l’esprit de Dieu qui est répandu sur la terre.

 

Tout cela est la même chose.

 

C’est une habitude chez Pascal de réduire certains problèmes les uns aux autres, et de présenter différents énoncés comme différentes manières de dire la même chose. Par exemple, dans les Lettres de A. Dettonville, la mesure de la roulette est réduite à celle du cercle, qui conduit à sommer des lignes mixtes. De même, dans les Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air, la clause selon laquelle les propositions démontrées valent pour toutes sortes de liqueurs permet de considérer que les liquides et les gaz, les liquides compressibles et mes incompressibles, sont bien « la même chose ».

Comment peut-on dire que c’est la même chose ? Tous ces passages marquent des caractères essentiels de la prophétie : son caractère intérieur et immédiat, son origine dans le sentiment de Dieu par le cœur, et le fait que la prophétie est possible à tous.

 Pascal revient là-dessus dans la dernière liasse des papiers classés, dans une perspective moderne :

Conclusion 6 (Laf. 382, Sel. 414). Ceux que nous voyons chrétiens sans la connaissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d’en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent par le cœur comme les autres en jugent par l’esprit. C’est Dieu lui-même qui les incline à croire et ainsi ils sont très efficacement persuadés. J’avoue bien qu’un de ces chrétiens qui croient sans preuves n’aura peut-être pas de quoi convaincre un infidèle, qui en dira autant de soi, mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce fidèle est véritablement inspiré de Dieu, quoiqu’il ne peut le prouver lui-même. Car Dieu ayant dit dans ses prophètes, (qui sont indubitablement prophètes) que dans le règne de J.-C. il répandrait son esprit sur les nations et que les fils, les filles et les enfants de l’Église prophétiseraient, il est sans doute que l’esprit de Dieu est sur ceux-là et qu’il n’est point sur les autres.

 

Prophétiser c’est parler de Dieu, non par preuves du dehors, mais par sentiment intérieur et immédiat.

 

Parler de Dieu : on aurait pu attendre d’autres expressions. Parler à Dieu ne conviendrait pas, dans la mesure où c’est plutôt la définition de la prière. Mais on pourrait dire parler pour Dieu, ou au nom de Dieu. Pascal préfère parler de Dieu, ce qui est assez différent. Il faut entendre parler de Dieu conformément au sens de Dieu même.

Pascal donne ici une définition de la prophétie originale. Il ne réduit pas la prophétie à la prédiction de l’avenir, et ne fait pas expressément figurer ce caractère dans sa définition. Il s’accorde en l’occurrence avec saint Thomas, pour qui la connaissance prophétique ne se borne pas à l’avenir, mais s’étend « à toutes les réalités, divines et humaines, spirituelles et corporelles » (q. 171, art. 3).

En tout cas, cette définition présente l’intérêt de ne négliger aucun des aspects de la prophétie : d’une part qu’elle comporte un rapport immédiat avec Dieu, qui semble être de l’ordre du cœur, et relève parfois de la mystique ; d’autre part l’aspect de proclamation extérieure de la parole de Dieu. La définition est très synthétique, mais elle est très complète. Enfin, elle appartient à tous les fidèles, et non pas seulement à des prêtres ou à des personnes désignées ou accréditées.

Sur la nature de la prophétie, voir les Généralités sur la liasse Prophéties. Saint Thomas a consacré des pages importantes à la nature de la prophétie. Voir Thomas d’Aquin, Questions disputées sur la vérité, Question XII, La prophétie (De prophetia), éd. S. T. Bonino et J.-P. Torell, Paris, Vrin, 2006.

Boulenger Abbé A., Manuel d’apologétique. Introduction à la doctrine catholique, Paris-Lyon, Vitte, 1923, IIe partie, section II, chap. III, Réalisation en Jésus des prophéties messianiques, p. 235 sq., sur le mode de la révélation prophétique.

Sentiment : Preuve s’oppose à sentiment. La preuve apporte une certitude médiate, par les étapes successives du raisonnement. Le cœur donne la certitude du sentiment par intuition immédiate.

Expression à relier à ce que Pascal écrit dans Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142) : Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point Quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent.

Car la connaissance des premiers principes : comme qu’il y aespace, temps, mouvement, nombres, aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes. Pour vouloir y consentir qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir.

Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison - qui voudrait juger de tout - mais non pas à combattre notre certitude. Comme s’il n’y avait que la raison capable de nous instruire, plût à Dieu que nous n’en eussions au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment, mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement.

Et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l’ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment du cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut.

Intérieur : voir dans les citations précédentes l’idée que, dans la loi ancienne, les Écritures mettaient leurs devoirs sous les yeux des Juifs, mais de manière extérieure, et sans qu’ils soient engagés à leur obéir par l’amour. La grâce de conversion et de prophétie, au contraire, exerce une action intérieure dans le cœur. Cette définition est donc liée à la doctrine de la grâce efficace et intérieur, telle que Pascal l’expose dans les Écrits sur la grâce.

De dehors s’oppose à intérieur. La prophétie, à l’époque de la loi nouvelle, est intérieure parce qu’elle touche le cœur par sentiment. C’est aussi le cas des prophètes de la loi ancienne ; mais à l’égard du peuple, cette prophétie demeure extérieure, dans la mesure où ce que les prophètes disent de la loi divine n’est reçu par le peuple que comme une loi connue et reçue de manière externe, sans que l’obéissance y soit inspirée par l’amour. Voir ci-dessus les commentaires de la Bible de Port-Royal sur ce point.

Immédiat : voir Lalande André, Vocabulaire…, p. 478 sq. Immédiat : opposé à médiat ; qui suit un autre sans aucune interposition. Se dit de toute relation ou de toute action dans laquelle les deux termes en présence sont en rapport sans qu’il y ait de troisième terme intermédiaire. La connaissance est dite immédiate quand il n’y a pas de moyen terme entre le sujet connaissant et l’objet connu, et quand il n’y a pas d’intermédiaire entre deux objets de pensée dont l’esprit saisit la liaison. Une inférence immédiate n’exige pas de moyen terme (conversion, subalternation, contraposition).

Cette définition pose visiblement un problème analogue à celui que posent les miracles, savoir la discernement des vrais et des faux prophètes. Si la prophétie était appuyée sur le raisonnement, il serait possible d’en vérifier la vérité comme on vérifie un raisonnement de mathématique. Mais alors elle ne serait pas d’origine surnaturelle, et ne serait pas l’effet d’une inspiration divine.

Cazelles Henri, Introduction critique à l’ancien testament, Paris, Desclée, 1973, p. 349 sq. Les deux critères de l’inspiration : la réalisation des événements prédits et la conformité à la doctrine traditionnelle. Ces deux critères donnés par Jérémie se trouvent déjà dans le Deutéronome : p. 350.

Fries H. (dir.), Encyclopédie de la foi, III, article Prophète, Paris, Cerf, 1966, p. 517 sq. Question des critères qui permettent de discerner les faux prophètes des vrais. Le critère par excellence dans l’Ancien Testament, est chez le prophète la conscience d’être chargé d’une mission et l’impulsion irrésistible qui le force à parler au nom de Dieu. Il y a aussi des marques objectives de discernement : la réalisation de ce qui est prédit ; en revanche, le miracle ne joue aucun rôle essentiel comme critère du prophétisme : p. 517. Autre critère : l’enseignement et la vie du prophète ; la prédication du vrai prophète est en accord avec celle de ses prédécesseurs légitimes : p. 518. Critère moral : celui dont la vie n’est pas confirme aux prescription de Dieu n’est pas envoyé par lui. Critère important : le faux prophète a toujours une réponse prête à tout, tandis que le vrai prophète reste parfois muet, parce qu’il ne dispose pas librement de la parole de Dieu, et qu’il doit attendre l’heure à laquelle elle lui sera révélée.

Pascal a réfléchi à ce problème que comporte sa définition du prophétisme, dans ses recherches sur les miracles. Voir Miracles II (Laf. 832, Sel. 421). Commencement. Les miracles discernent la doctrine et la doctrine discerne les miracles. Il y a de faux et de vrais. Il faut une marque pour les connaître, autrement ils seraient inutiles. [...] Moïse en a donné deux : que la prédiction n’arrive pas, Deut.18. et qu’ils ne mènent point à l’idolâtrie, Deut. 13,et J.-C. une.

Deutéronome XVIII, 21-22. « Quod si tacita cogitatione responderis, quomodo possum intellegere verbum quod non est locutus Dominus, 22. hoc habebis signum, quod in nomine Domini propheta ille praedixerit et non evenerit hoc Dominus non locutus est sed per tumorem animi sui propheta confinxit et idcirco non timebis eum » ; « Que si vous dites en vous-mêmes : Comment pourrai-je discerner si la parole qu’on m’annonce n’est point du Seigneur ? Voici le signe que vous aurez : si ce que ce prophète a prédit au nom du Seigneur n’arrive pas, c’est une marque que ce n’était point le Seigneur qui l’avait dit : mais ce prophète l’avait inventé par l’orgueil et la présomption de son esprit. C’est pourquoi vous n’aurez aucun respect pour ce prophète ». Commentaire de la Bible de Port-Royal : « L’on comprend facilement que c’est la marque d’un faux prophète d’annoncer au nom du Seigneur des choses qui n’arrivent point. Mais comme les miracles mêmes peuvent être un signe équivoque de sainteté de ceux qui les font, puisque les magiciens de Pharaon imitaient Moïse presque en tous ceux qu’il faisait, la prophétie qui se vérifie par l’effet ne peut pas passer non plus pour être la marque assurée d’un vrai prophète, puisqu’il n’est pas impossible comme on l’a fait voir auparavant, que de faux prophètes prédisent des choses qui arriveront (Sap. 13) ; et que Dieu même par un jugement secret, permet quelquefois au démon de tromper ainsi les hommes par ces sortes de prédictions qui se trouvent véritables. Comment donc doit-on entendre ce que Dieu dit, que le signe qu’on aura pour connaître le faux prophète, est si ce qu’il a prédit au nom du Seigneur n’arrive point, puisque lors même qu’il arrivera, ce ne sera pas un signe certain qu’il ne soit point faux prophète ? Il semble selon la pensée d’un interprète (Jansen. in cap. 13. 1 Deuter.) que ce passage ne signifie autre chose, sinon que c’est la marque infaillible d’un faux prophète, lorsque ce qu’il dit n’arrive point, et que c’est ce que l’on voit le plus ordinairement. Que si Dieu permet pour des raisons que lui seul connaît qu’on voie arriver ce qu’a dit un faux prophète, il faut alors se souvenir de ce que l’on a marqué auparavant sur le treizième chapitre, que quand un ange du ciel, selon que parle saint Paul, nous annoncerait des choses contraires à la vérité, ni tous les miracles, ni toutes les prophéties de ceux qui nous les annonceraient ne devraient point faire aucune impression sur notre esprit pour nous éloigner de Dieu, qui se sert, ainsi qu’il le dit lui-même, et de ces prédictions et de ces prodiges pour nous tenter (ibid.), c’est-à-dire, pour éprouver la fidélité et la fermeté de notre amour ».

Et qu’ils ne mènent point à l’idolâtrie : voir Deutéronome, XIII. « 1. Si surrexerit in medio tui prophetes, aut qui somnium vidisse se dicat, et praedixerit signum atque portentum, 2. et evenerit quod locutus est, et dixerit tibi eamus et sequamur deos alienos quos ignoras, et serviamus eis ; 3. non audies verba prophetae illius aut somniatoris, quia temptat vos Dominus Deus vester, ut palam fiat utrum diligatis eum an non, in toto corde, et in tota anima vestra. 4. Dominum Deum vestrum sequimini, et ipsum timete, et mandata illius custodite, et audite vocem ejus, ipsi servietis, et ipsi adhaerebitis. 5. Propheta autem ille aut fictor somniorum interficietur, quia locutus est ut vos averteret a Domino Deo vestro, qui eduxit vos de terra Aegypti, et redemit vos de domo servitutis, ut errare te faceret de via, quam tibi praecepit Dominus Deus tuus ; et auferes malum de medio tui. 6. Si tibi voluerit persuadere frater tuus filius matris tuae, aut filius tuus, vel filia, sive uxor quae est in sinu tuo, aut amicus, quem diligis ut animam tuam, clam dicens : Eamus, et serviamus diis alienis quos ignoras tu et patres tui, 7. cunctarum in circuitu gentium, quae iuxta vel procul sunt, ab initio usque ad finem terrae ; 8. non acquiescas ei, nec audias neque parcat ei oculus tuus ut miserearis et occultes eum, 9. sed statim interficies. » Traduction de la Bible de Port-Royal : « 1. S’il s’élève au milieu de vous un prophète qui dise qu’il a eu une vision en songe, ou qui prédise quelque signe ou quelque prodige, 2. et que ce qu’il avait prédit soit arrivé ; et qu’il vous dise en même temps : Allons, honorons des dieux étrangers qui nous étaient inconnus, et servons-les ; 3. vous n’écouterez point les paroles de ce prophète et de cet inventeur de visions et de songes, parce que le Seigneur votre Dieu vous tente, afin qu’il paraisse clairement si vous l’aimez de tout votre cœur et de toute votre âme, ou si vous ne l’aimez pas de cette sorte. 4. Suivez le Seigneur votre Dieu, craignez-le, gardez ses commandements, écoutez sa voix, servez-le seul, et attachez-vous à lui seul. 5. Mais que ce prophète et que cet inventeur de songes soit puni de mort, parce qu’il vous a parlé pour vous détourner du Seigneur votre Dieu qui vous a tirés de l’Égypte, et qui vous a rachetés de la maison de servitude, pour vous faire égarer de la voie que le Seigneur votre Dieu vous a prescrite ; et vous ôterez ainsi le mal du milieu de vous. 6. Si votre frère et le fils de votre mère, si votre fils, ou votre fille, ou votre femme qui est si chère, si votre ami que vous aimez comme votre âme, vous veut persuader et vous vient dire en secret : Allons, adorons les dieux étrangers qui nous sont inconnus, comme ils m’ont été à nos pères, 7. les dieux de toutes les nations qui nous environnent, ou près de nous, ou loin de nous, depuis un bout de la terre jusqu’à l’autre ; 8. ne vous rendez point à ses persuasions, et ne l’écoutez point ; ne soyez touché d’aucune compassion sur son sujet ; ne l’épargnez point ; ne tenez point secret ce qu’il aura dit, 9. mais tuez-le sur le champ ». Commentaire de Sacy : « Moïse parle en ce lieu non pas seulement des faux prophètes, c’est-à-dire des prophètes des faux dieux qui peuvent prédire des choses vraies, comme saint Augustin dit que cela arrive souvent par un jugement secret de Dieu [August. de Civ. Dei. l. 2. cap. 23], qui livre ainsi les méchants à l’illusion des anges prévaricateurs en punition de leurs secrètes cupidités ; mais encore des prophètes du vrai Dieu. Et il demande à son peuple une telle fermeté dans le culte véritable du Seigneur, qu’il ne veut pas qu’il écoute même les prophètes du Très-Haut, s’ils leur enseignaient une doctrine contraire à la piété, et différente de celle qu’ils recevaient par sa bouche. C’est la même chose que saint Paul a dite depuis aux chrétiens, lorsque s’étant introduit parmi eux certaines gens qui les troublaient, et qui voulaient renverser l’Évangile de Jésus-Christ, il s’écrie : Quand nous vous annoncerions nous-mêmes ou quand un ange du ciel vous annoncerait un Évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème [Galat. I, 8]. Que si l’on ne doit pas écouter un prophète du Dieu vivant, ni un ange même, s’il était possible qu’il nous voulût détourner du culte de son divin maître, en nous enseignant une doctrine visiblement opposée à l’Évangile ; combien doit-on s’éloigner plutôt des faux prophètes, quand même il arriverait par l’ordre de Dieu qu’ils prédissent des prodiges, et qu’ils fissent des miracles ?

v. 3. En les détournant d’ajouter foi à l’impiété de ces prophètes, il leur marque la raison pour laquelle il plaît à Dieu de permettre à ces impies de prédire des choses vraies, en même temps qu’ils combattent la vérité de sa sainte religion : parce, leur dit-il, que le Seigneur votre Dieu nous tente, afin qu’il paraisse clairement si vous l’aimez. Car rien en effet ne nous est plus inconnu que le fond de notre cœur ; et il est aisé de s’imaginer qu’on aime Dieu, lorsqu’on n’aime que soi-même. C’est pourquoi celui aux yeux duquel rien n’es caché permet ces scandales, ou, comme il les nomme, ces tentations, afin de nos faire connaître si nous l’aimons plus que toutes choses, et si nous sommes inviolablement attachés à son service. « C’est une chose redoutable, dit saint Jérôme, qu’un soldant de Jésus-Christ veuille demeurer toujours dans la paix. C’est être en quelque façon misérable, de n’éprouver en cette vie aucune misère, et de n’avoir à combattre aucun ennemi. Car comme les coups différents qui nous frappent en ce monde partent tous d’une même main, qui est celle de Dieu même, et sont des effets favorables de sa bonté envers nous, on a grand sujet de craindre de n’avoir aucune part à son amour, lorsqu’on est exempt de tentations, Dieu faisant entendre à toute la terre par la voix de son saint législateur comme par le son d’une trompette céleste qu’il nous tente pour connaître si nous l’aimons de tout notre cœur » [Hieron. Epist. 6. tom. 4. v. 757]. Saint Grégoire le grand expliquant ce même passage dit que lorsque Dieu nous tente, c’est proprement qu’il nous interroge pour savoir de nous, ou plutôt pour nous faire savoir à nous-mêmes si nous lui sommes vraiment fidèles et obéissants. Tentare quippe Dei est magnis nos jussionibus interrogare, et nostram obedientiam nosse nos facere [Gregor. Magn. Moral. l. 28. c 5]. »

Pour la règle donnée par Jésus-Christ, voir Marc, IX, 39 : « Nemo est enim qui faciat virtutem in nomine meo, et possit cito male loqui de me » ; « Il n’y a personne qui ayant fait un miracle en mon nom, puisse aussitôt après parler mal de moi » (tr. de la Bible de Port-Royal).

Le Bible de Port-Royal ajoute au commentaire donné ci-dessus de Joël, que ces paroles ne doivent pas être interprétées dans le sens des protestants, qui pensent que la Bible peut être interprétée librement par toute personne qui se croit inspirée. La Réforme, note Arnauld, dans Le renversement de la morale de Jésus-Christ, p. 30 sq., est une caricature de cet accroissement de l’Esprit. Il n’y a pas eu d’effusion de l’Esprit dans les premiers temps de la Réforme.