Preuves par les Juifs I – Papier original : RO 297 r° / v° et RO 341
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 48 p. 233-233 v° / C2 : p. 447 à 449
Éditions de Port-Royal : Chap. VIII - Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu... : 1669 et janvier 1670 p. 67-70 / 1678 n° 1 p. 68-71
Éditions savantes : Faugère II, 186, III / Havet XIV.4 / Michaut 584 / Brunschvicg 620 / Tourneur p. 316 / Le Guern 421 / Lafuma 451 (série VI) / Sellier 691
Dans l’édition de Port-Royal
Chap. VIII - Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu par le seul raisonnement, et qui commence à lire l’Écriture : 1669 et janvier 1670 p. 67-70 / 1678 n° 1 p. 68-71 |
Différences constatées par rapport au manuscrit original
Ed. janvier 1670 1 |
Transcription du manuscrit |
[Commencement 2 - Laf. 151, Sel. 184] 3 [Transition 3 - Laf. 198, Sel. 229] 4 [Preuves par discours II - Laf. 429, Sel. 682] 5 [Preuves par les Juifs IV - Laf. 454, Sel. 694] 6 par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent. C’est un peuple tout composé de frères ; et au lieu que tous les autres sont formés de l’assemblage d’une infinité de familles, celui-ci, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d’un seul homme ; et étant ainsi une même chair et membres les uns des autres, ils composent une puissance extrême d’une seule famille. Cela est unique. Ce peuple est le plus ancien qui soit dans la connaissance des hommes ; ce qui me semble lui devoir attirer une vénération particulière, et principalement dans la recherche que nous faisons ; puisque si Dieu s’est de tout temps communiqué aux hommes, c’est à ceux-ci qu’il faut recourir pour en savoir la tradition. Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité, mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant ; car au lieu que les peuples de Grèce, d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si longtemps après ont fini il y a longtemps, ceux-ci subsistent toujours ; et malgré les entreprises de tant de puissants Rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme les historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses, pendant un si long espace d’années ils se sont toujours conservés ; et s’étendant depuis les premiers temps jusqu’aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires.
La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un Etat. C’est ce que Philon Juif montre en divers lieux, et Josèphe admirablement contre Appion, où il fait voir qu’elle est si ancienne, que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après ; en sorte qu’Homère qui a parlé de tant de peuples ne s’en est jamais servi. Et il est aisé de juger de la perfection de cette loi par sa simple lecture, où l’on voit qu’on y a pourvu à toutes choses avec tant de sagesse, tant d’équité, tant de jugement, que les plus anciens Législateurs Grecs et Romains en ayant quelque lumière en ont emprunté leurs principales lois ; ce qui paraît par celles qu’ils appellent des Douze Tables, et par les autres preuves que Josèphe en donne. Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes, obligeant ce peuple pour le retenir dans son devoir à mille observations particulières et pénibles sur peine de la vie. De sorte que c’est une chose étonnante qu’elle se soit toujours conservée durant tant de siècles parmi un peuple rebelle et impatient comme celui-ci ; pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois, quoique tout autrement faciles à observer.
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Avantages du peuple juif.
Dans cette recherche le peuple juif attire d’abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent. Je vois d’abord que c’est un peuple tout composé de frères, et au lieu que tous les autres sont formés de l’assemblage d’une infinité de familles, celui‑ci, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d’un seul homme, et étant ainsi tous une même chair et membres les uns des autres, composent un puissant État d’une seule famille. Cela est unique. Cette famille ou ce peuple est le plus ancien qui soit en la connaissance des hommes, ce qui me semble lui attirer une vénération particulière, et principalement dans la recherche que nous faisons, puisque si Dieu s’est de tout temps communiqué aux hommes, c’est à ceux‑ci qu’il faut recourir pour en savoir la tradition. Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité, mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant. Car au lieu que les peuples de Grèce et d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si longtemps après, soient péris il y a si longtemps, ceux‑ci subsistent toujours, et, malgré les entreprises de tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme leurs historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses pendant un si long espace d’années, ils ont toujours été conservés néanmoins et cette conservation a été prédite ; et, s’étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires. La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. C’est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion et Philon Juif, en divers lieux où ils font voir qu’elle est si ancienne que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après, en sorte qu’Homère, qui a écrit de l’histoire de tant d’États, ne s’en est jamais servi. Et il est aisé de juger de sa perfection par la simple lecture où l’on voit qu’on a pourvu à toutes choses avec tant de sagesse, tant d’équité et tant de jugement, que les plus anciens législateurs grecs et romains, en ayant eu quelque lumière, en ont emprunté leurs principales lois, ce qui paraît par celle qu’ils appellent des Douze Tables et par les autres preuves que Josèphe en donne. Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion, obligeant ce peuple, pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles sur peine de la vie, de sorte que c’est une chose bien étonnante qu’elle se soit toujours conservée constamment durant tant de siècles par un peuple rebelle et impatient comme celui‑ci, pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois quoique tout autrement faciles. Le livre qui contient cette loi, la première de toutes, est lui‑même le plus ancien livre du monde, ceux d’Homère, d’Hésiode et les autres n’étant que six ou sept cents ans depuis.
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1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.
2 « En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, et ces contrariétés étonnantes qui se découvrent dans sa nature, et regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant ; j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans avoir aucun moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire comment on n’entre pas en désespoir d’un si misérable état. Je vois d’autres personnes auprès de moi de semblable nature. Je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi, et ils me disent que non. Et sur cela ces misérables égarés ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants s’y sont donnés, et s’y sont attachés. Pour moi je n’ai pu m’y arrêter, »
3 « ni me reposer dans la société de ces personnes semblables à moi, misérables comme moi, impuissantes comme moi. Je vois qu’ils ne m’aideraient pas à mourir : je mourrai seul : il faut donc faire comme si j’étais seul : or si j’étais seul, je ne bâtirais pas des maisons, je ne m’embarrasserais point dans des occupations tumultuaires, je ne chercherais l’estime de personne, mais je tâcherais seulement de découvrir la vérité. »
4 « Ainsi considérant combien il y a d’apparence qu’il y a autre chose que ce que je vois, j’ai recherché si ce Dieu dont tout le monde parle n’aurait point laissé quelques marques de lui. »
5 « Je regarde de toutes parts, et ne vois partout qu’obscurité. La nature ne m’offre rien qui ne soit matière de doute et d’inquiétude. Si je n’y voyais rien qui marquât une divinité, je me déterminerais à n’en rien croire. Si je voyais partout les marques d’un Créateur, je reposerais en paix dans la foi. Mais voyant trop pour nier, et trop peu pour m’assurer, je suis dans un état à plaindre, et où j’ai souhaité cent fois que si un Dieu soutient la nature, elle le marquât sans équivoque, et que si les marques qu’elle en donne sont trompeuses elle les supprimât tout à fait ; qu’elle dît tout, ou rien ; afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu’en l’état où je suis, ignorant ce que je suis, et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition, ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connaître où est le vrai bien pour le suivre. Rien ne me serait trop cher pour cela. ».
6 « Je vois des multitudes de Religions en plusieurs endroits du monde, et dans tous les temps. Mais elles n’ont ni morale qui me puisse plaire, ni preuves capables de m’arrêter. Et ainsi j’aurais refusé également la Religion de Mahomet, et celle de la Chine, et celle des anciens Romains, et celle des Egyptiens, par cette seule raison, que l’une n’ayant pas plus de marques de vérité que l’autre, ni rien qui détermine, la raison ne peut pencher plutôt vers l’une que vers l’autre.
Mais en considérant ainsi cette inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances dans les divers temps, je trouve en une petite partie du monde un peuple particulier séparé de tous les autres peuples de la terre, et dont les histoires précèdent de plusieurs siècles les plus anciennes que nous ayons. Je trouve donc ce peuple grand et nombreux, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu’ils disent tenir de sa main. Ils soutiennent qu’ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères ; que tous les hommes sont corrompus et dans la disgrâce de Dieu ; qu’ils sont tous abandonnés à leur sens et à leur propre esprit ; et que de là viennent les étranges égarements, et les changements continuels qui arrivent entre eux, et de Religion, et de coutume ; au lieu qu’eux demeurent inébranlables dans leur conduite : mais que Dieu ne laissera pas éternellement les autres peuples dans ces ténèbres ; qu’il viendra un libérateur pour tous ; qu’ils sont au monde pour l’annoncer ; qu’ils sont formés exprès pour être les hérauts de ce grand avènement, et pour appeler tous les peuples à s’unir à eux dans l’attente de ce libérateur.
La rencontre de ce peuple m’étonne, et me semble digne d’une extrême attention ».
Commentaire
Il peut paraître surprenant que l’édition de Port-Royal associe directement des textes qui expriment l’angoisse qui saisit le locuteur devant l’aveuglement de ses semblables, et la première présentation du peuple juif. On y relève cependant un point commun, qui est l’idée de l’étonnement : étonnement devant l’aveuglement des hommes d’une part, admiration devant la singularité du peuple juif d’autre part.
En dehors de la suppression de la dernière phrase du manuscrit, et peut-être la substitution de peuples à États, les modifications sont peu importantes.