Preuves par les Juifs I – Papier original : RO 297 r° / v° et RO 341

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 48 p. 233-233 v° / C2 : p. 447 à 449

Éditions de Port-Royal : Chap. VIII - Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu... : 1669 et janvier 1670 p. 67-70  / 1678 n° 1 p. 68-71

Éditions savantes : Faugère II, 186, III  / Havet XIV.4 / Michaut 584 / Brunschvicg 620 / Tourneur p. 316 / Le Guern 421 / Lafuma 451 (série VI) / Sellier 691

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Bibliographie

 

 

CHÉDOZEAU Bernard, Ancien Testament et Nouveau Testament dans les Préfaces de la Bible de Port-Royal (1672-1708). Le statut des Juifs, Chroniques de Port-Royal 53, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004, p. 47-66.

CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les Préfaces de l’Ancien Testament, Paris, Champion, 2013.

COHN Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, Reprint of Bar Ilan, volume in Humanities and social sciences, Jérusalem, 1969.

COHN Lionel, Pascal et le judaïsme, in Pascal. Textes du tricentenaire, Chroniques de Port-Royal, 11-14, Fayard, 1963-1965, p. 206-224.

MANENT Pierre, L’Israël de Pascal, Port-Royal et le royaume d’Israël, Chroniques de Port-Royal, 53, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004, p. 129-136.

MICHON Hélène, “Les traces de la pensée de Philon le Juif dans l’apologétique pascalienne”, Chroniques de Port-Royal, 53, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004, p. 107-127.

Port-Royal et le royaume d’Israël, Chroniques de Port-Royal, 53, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004.

RUSSIER Jeanne, La foi selon Pascal, I, Dieu sensible au cœur, II, Tradition et originalité dans la théologie pascalienne de la foi, Paris, P. U. F., 1949, 2 vol.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Paris, Champion, 2010.

SELLIER Philippe, Israël : La rencontre de ce peuple m’étonne, in Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., Paris, Champion, 2012, p. 233-251.

 

 

Éclaircissements

 

Avantages du peuple juif.

 

Voir le dossier thématique sur le peuple juif.

Avantage : ce qui fait préférer quelque chose à une autre, ce qui la met au dessus ? Il y a des avantages naturels, d’autres qui sont acquis : la beauté, la force du corps, sont des avantages naturels. En droit, on appelle avantage ce qu’on donne à quelqu’un de plus qu’à un autre, en succession ou autrement.

Ce titre indique que Pascal présente, dans ce texte, l’un des aspects de sa conception de la nature du peuple juif. Comme l’écrit Lionel Cohn dans son étude sur “Pascal et le judaïsme”, la perspective de l’apologiste sur Israël comporte, comme sa description de la nature humaine, deux aspects apparemment contraires : « grandeur du judaïsme d’une part en tant que précurseur du christianisme, misère d’autre part, du peuple juif qui a refusé de reconnaître le Messie en Jésus-Christ » (p. 207). Dans Preuves par les Juifs I, Pascal donne toute son importance au premier aspect, aux avantages du peuple juif.

Les traits principaux de ces avantages sont, toujours d’après L. Cohn, l’ancienneté du peuple juif, sa sincérité, sa spécificité, et la grandeur et la perfection de sa loi.

Avantage suppose comparaison. Pascal cherche à mettre en valeur ce qui fait la singularité du peuple juif, dans sa nature et dans son destin. Le modèle argumentatif qu’il y emploie est celui de la diversité et du discernement. Il consiste à envisager dans toute son ampleur le tableau de l’Histoire, et d’y dévoiler la multiplicité confuse des peuples et de religions :

Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je vois donc des faiseurs de religions en plusieurs endroits du monde et dans tous les temps, mais ils n’ont ni la morale qui peut me plaire, ni les preuves qui peuvent m’arrêter. Cependant, en considérant ainsi cette inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances dans les divers temps je trouve en un coin du monde, un peuple particulier séparé de tous les autres peuples de la terre, le plus ancien de tous et dont les histoires, précèdent de plusieurs siècles les plus anciennes que nous ayons. Dans cette confusion, la raison ne peut pencher plutôt vers l’une que vers l’autre, car l’une [n’a] point plus de marques de vérité que l’autre .

Pourtant, en rapprochant le point de vue, on discerne dans cette foule un peuple particulier séparé de tous les autres peuples du monde qui s’appelle le peuple juif, et une religion dont les caractères spécifiques sont des avantages qui permettent de reconnaître en elle la vraie dans cette confusion (Fondement 13 - Laf. 236, Sel. 268). Dans le présent fragment, Pascal souligne essentiellement l’ancienneté d’Israël : Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité mais il est encore singulier en sa durée.

 

Dans cette recherche le peuple juif attire d’abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent.

 

Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, où voici ce que je trouve d’effectif [...]. La rencontre de ce peuple m’étonne, et me semble digne de l’attention.

Sur le caractère étonnant du rôle historique des Juifs, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 474, n. 36.

Problème rhétorique : qui est censé dire je dans ce texte ? Ce n’est pas Pascal lui-même, mais on ne peut pas dire que ce soit non plus l’incrédule tel qu’il l’a représenté. Il faut imaginer qu’il s’agit, dans son esprit, d’un incrédule qui a commencé à s’informer de la religion chrétienne, et qui en découvre les caractères surprenants.

La Préface de l’édition de Port-Royal, Pensées, III, Documents, éd. L. Lafuma, Paris, Éd. du Luxembourg, 1951, p. 134-138, indique que Pascal a « supposé » un « homme qui, ayant toujours vécu dans une ignorance générale, et dans l’indifférence à l’égard de toutes choses, et surtout à l’égard de soi-même », après s’être reconnu dans le portrait que Pascal a tracé de la nature humaine, se trouve « dans cette disposition de chercher à s’instruire sur un doute si important : Il lui fait jeter les yeux sur le peuple juif, et il lui en fait observer des circonstances si extraordinaires qu’il attire facilement son attention. Après lui avoir présenté tout ce que ce peuple a de singulier, il s’arrête particulièrement à lui faire remarquer un livre unique par lequel il se gouverne, et qui comprend tout ensemble son histoire, sa loi et sa religion. ». On notera que, selon la Préface, c’est une fois cette découverte accomplie, que Pascal propose à son personnage la doctrine du péché originel et de la corruption. Après quoi « M. Pascal entreprit ensuite de prouver la vérité de la religion par les prophéties ; et ce fut sur ce sujet qu’il s’étendit beaucoup plus que sur les autres », parcourant les livres de l’Ancien Testament et les prophéties messianiques de Jésus-Christ.

Filleau de la Chaise, dans son Discours sur les Pensées de M. Pascal, Pensées, III, Documents, éd. L. Lafuma, Paris, Éd. du Luxembourg, 1951, p. 92, avait déjà soutenu que Pascal voulait que le lecteur se mette « à la place d’un homme » qu’il « supposait avoir du sens, et qu’il se proposait en idée de pousser à bout, et d’atterrer, pour le mener ensuite pied à pied à la connaissance de la vérité ».

 

Je vois d’abord que c’est un peuple tout composé de frères, et au lieu que tous les autres sont formés de l’assemblage d’une infinité de familles, celui‑ci, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d’un seul homme, et étant ainsi tous une même chair et membres les uns des autres, composent un puissant État d’une seule famille. Cela est unique.

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 470 sq. Voir p. 475 sq., sur le peuple de frères. Cette remarque vient sans doute d’une réflexion sur le Deutéronome, mais elle s’écarte de saint Augustin. Les sentiments de solidarité, la cohésion et l’unité qui caractérisent le peuple juif, et qui en font une seule famille, ont frappé Pascal : p. 476.

Lods Adolphe, Israël, p. 309. Le sentiment national juif est étroitement lié à la foi en Yahvé. Moïse est un patriote ardent atteint par les humiliations infligées à ses frères. Voir Exode, II, 11 et suivants. « Lorsque Moïse fut devenu grand, il sortit pour aller voir ses frères. Il vit l’affliction où ils étaient, et il trouva que l’un d’eux, hébreu comme lui, était outragé par un Égyptien ».

 

Cette famille ou ce peuple est le plus ancien qui soit en la connaissance des hommes, ce qui me semble lui attirer une vénération particulière,

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 470 sq. Le peuple le plus ancien qui soit en la connaissance des hommes : Pascal ne veut pas dire que les Hébreux, dans l’état des connaissances historiques de son temps, passent pour le plus ancien peuple qui ait existé ; saint Augustin dit le contraire, Cité de Dieu, XVI, 1-12. Le peuple juif est le plus ancien des peuples existants et en ce qui concerne les peuples antérieurs à lui, nous ne savons plus rien. À l’origine de la période historique se trouve le peuple juif. C’est la nation qui possède le plus ancien livre du monde.

Vénération : profond respect qu’on rend aux choses qui en méritent (Furetière). Il faut rapprocher ce mot du fragment Ordre 10 (Laf. 12, Sel. 46). Ordre. Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison. Vénérable, en donner respect. La rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie et puis montrer qu’elle est vraie. Vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme. Aimable parce qu’elle promet le vrai bien.

Prophéties 11 (Laf. 332, Sel. 364). C’est une suite d’hommes durant quatre mille ans qui constamment et sans variations viennent l’un ensuite de l’autre prédire ce même avènement. C’est un peuple tout entier qui l’annonce et qui subsiste depuis quatre mille années pour rendre en corps témoignage des assurances qu’ils en ont, et dont ils ne peuvent être divertis par quelques menaces et persécutions qu’on leur fasse. Ceci est tout autrement considérable.

Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696). Ceci est effectif : pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde, déclarent que tout le monde est dans l’erreur, que Dieu leur a révélé la vérité, qu’elle sera toujours sur la terre. En effet toutes les autres sectes cessent ; celle-là dure toujours et depuis quatre mille ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu, mais qu’il a promis de les racheter, que cette doctrine serait toujours sur la terre, que leur loi a double sens.

Que durant mille six cents ans ils ont eu des gens qu’ils ont cru prophètes qui ont prédit le temps et la manière.

Que quatre cents ans après ils ont été épars partout, parce que J.-C. devait être annoncé partout.

Que Jésus-Christ est venu en la manière et au temps prédit.

Que depuis les juifs sont épars partout en malédiction, et subsistants néanmoins.

Laf. 793, Sel. 646. Je trouve d’effectif que depuis que la mémoire des hommes dure, voici un peuple qui subsiste plus ancien que tout autre peuple. Il est annoncé constamment aux hommes qu’ils sont dans une corruption universelle, mais qu’il viendra un Réparateur. Que ce n’est pas un homme qui le dit, mais une infinité d’hommes, et un peuple entier, prophétisant et fait exprès durant quatre mille ans ; leurs livres dispersés durant quatre cents ans.

Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je considère cette loi qu’ils se vantent de tenir de Dieu et je la trouve admirable. C’est la première loi de toutes et de telle sorte qu’avant même que le mot de loi fût en usage parmi les Grecs, il y avait près de mille ans qu’ils l’avaient reçue et observée sans interruption. Ainsi je trouve étrange que la première loi du monde se rencontre aussi la plus parfaite, en sorte que les plus grands législateurs en ont emprunté les leurs comme il paraît par la loi des Douze Tables d’Athènes qui fut ensuite prise par les Romains et comme il serait aisé de le montrer, si Josèphe et d’autres n’avaient assez traité cette matière.

Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, I, IV, éd. Gustave Bardy, Sources chrétiennes, Paris, Cerf, 2001, p. 19 sq. « Le peuple des Hébreux n’est pas nouveau, mais il est honoré chez tous les hommes par son antiquité et tous le connaissent. Chez lui des traditions et des livres rapportent que, autrefois, des hommes, rares sans doute et peu nombreux, mais cependant éminents par la piété, la justice et toutes les autres vertus, ont vécu les uns avant le déluge, d’autres après, par exemple les enfants et les descendants de Noé, et Abraham, que les enfants des Hébreux se vantent d’avoir pour chef et pour ancêtre... »

Sabrié J. B., De l'humanisme au rationalisme, Pierre Charron (1541-1603), Paris, Alcan, 1913, p. 197 sq., sur Charron Pierre, Trois vérités. Il faut toujours, selon Charron, s’incliner devant la tradition la plus ancienne. « Or sus donc, puisque l’Église romaine est telle : la plus ancienne, plus grande, plus illustre et en toutes façons catholique et universelle de nom et de fait : aussi plus une et uniforme, plus puissante, toujours victorieuse, juge et maîtresse de toutes les autres parts, toujours régnant par une si belle et si longue succession de personnes avec suite de même doctrine, créance, police, sans jamais rompre ou manquer, et sans que jamais elle ait pu être ébranlée par les puissances infernales, qui l’ont cruellement assaillie en tous siècles, puis l’ascension de notre Seigneur, n’y a-t-il pas très grande raison d’en être ? N’est-il pas plus sûr et plus équitable de se mettre et ranger de ce côté-là que d’aucun des autres » : p. 197. Il y a un aspect juridique de l’argument : Charron note « qui plus est ancien en possession a toujours le droit de son côté plus apparent et favorable, qui prior est tempore prior est jure » : p. 213-214.

Sur les garanties que Pascal apporte en faveur de l’authenticité des histoires que l’Ancien Testament contient sur l’ancienneté des origines du peuple juif, voir Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688) : Antiquité des Juifs. [...] Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

La permanence du peuple juif contraste avec les innombrables variations des autres peuples. Voir Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696). Ceci est effectif : Pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde [...]. En effet toutes les autres sectes cessent ; celle-là dure toujours et depuis quatre mille ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu, mais qu’il a promis de les racheter que cette doctrine serait toujours sur la terre, que leur loi a double sens.

Antiquité semble répondre à Perpétuité. Les Juifs ont en commun avec les chrétiens l’antiquité. Celle-ci consiste dans une longue durée de temps passé ; c’est le propre de la religion juive. Mais comme la religion des Juifs perd sa valeur avec la venue du Christ, il lui manque la pérennité, ce qui implique que cette religion n’a pas la perpétuité. Perpétuité implique une continuité à travers les temps qui fait des fidèles un corps vivant dans la durée : c’est le propre de la religion chrétienne, dont l’esprit est présent dès les origines de la religion juive et s’étend jusqu’aux temps modernes. Peut-être faut-il corriger sur ce point l’étude de L. Cohn, qui semble identifier perpétuité et antiquité (p. 208).      

Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, éd. Pléiade. Différence entre l’argument de perpétuité et l’argument d’antiquité : p. 765. L’antiquité n’affecte que la durée ; la perpétuité consiste en ce que la religion a subsisté sur les mêmes fondements depuis le commencement du monde. Argument connexe : cela sans que tout ce qui devait détruire la religion (hérésies, tyrannies, etc.) puisse y arriver.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 600-601. Dès les origines du monde, Dieu s’est fait connaître à certains hommes, qui croyaient déjà en la Trinité et en la rédemption du péché par le Christ. La Bible mentionne Énoch, Lamech, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, David, Isaïe. La perpétuité est la trace de la stabilité divine dans le monde changeant.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, ch. III, § 147, p. 200 sq. La perpétuité et l’immutabilité de l’Église. Perpetuitas, perennitas.

 

et principalement dans la recherche que nous faisons, puisque si Dieu s’est de tout temps communiqué aux hommes, c’est à ceux‑ci qu’il faut recourir pour en savoir la tradition.

 

Miracles III (Laf. 860, Sel. 439). Toujours ou les hommes ont parlé du vrai Dieu, ou le vrai Dieu a parlé aux hommes.

 

Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité, mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant. Car au lieu que les peuples de Grèce et d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si longtemps après, soient péris il y a si longtemps,

 

L’histoire d’Israël contraste avec l’instabilité et les tribulations des autres peuples.

Perpétuité 2 (Laf. 280, Sel. 312). Les États périraient si on ne faisait ployer souvent les lois à la nécessité, mais jamais la religion n’a souffert cela et n’en a usé. Aussi il faut ces accommodements ou des miracles. Il n’est pas étrange qu’on se conserve en ployant, et ce n’est pas proprement se maintenir, et encore périssent-ils enfin entièrement. Il n’y en a point qui ait duré mille ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible, cela est divin.

 

ceux‑ci subsistent toujours, et malgré les entreprises de tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme leurs historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses pendant un si long espace d’années, ils ont toujours été conservés néanmoins,

 

Cohn Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, p. 208.

Menaces et persécutions : le fait que jamais les dominations païennes ne sont parvenues à détourner les Juifs de leur Dieu, ce qui paraît aller contre toutes les lois ordinaires de l’histoire, est souligné dans le fragment Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Perpétuité. [...] Ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c’est que cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. Et ce qui est étonnant est qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans, car il n’est pas étrange qu’un État subsiste lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité.

 

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et cette conservation a été prédite ;

 

Cette proposition se trouve dans un phylactère en marge de gauche. Elle s’inscrit en effet assez mal à ce point du fil de l’argumentation, où la question de la prophétie n’est pas encore envisagée.

Prophéties 11 (Laf. 332, Sel. 364). Quand un seul homme aurait fait un livre des prédictions de Jésus-Christ pour le temps et pour la manière, et que Jésus-Christ serait venu conformément à ces prophéties, ce serait une force infinie. Mais il y a bien plus ici. C’est une suite d’hommes durant quatre mille ans qui constamment et sans variations viennent l’un ensuite de l’autre prédire ce même avènement. C’est un peuple tout entier qui l’annonce et qui subsiste depuis quatre mille années pour rendre en corps témoignage des assurances qu’ils en ont, et dont ils ne peuvent être divertis par quelques menaces et persécutions qu’on leur fasse. Ceci est tout autrement considérable. La prophétie est en fait née avec le commencement du monde, et dans des conditions qui auraient normalement dû l’étouffer très rapidement. Pascal oppose ainsi la persistance d’Israël sur plusieurs milliers d’années à l’instabilité universelle des états et des religions. Ceci est tout autrement considérable, car l’idée de l’antiquité du peuple juif soutient l’argument du miracle subsistant de la prophétie.

 

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et s’étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires qu’elles devancent de bien longtemps.

 

Partie barrée : qu’elles devancent de bien longtemps.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, p. 128. Sens de la formule et rapprochement avec le Discours sur l’histoire universelle de Bossuet.

Dans son édition de 1866, I, p. 203, Havet proteste contre cette « phrase magnifique, et qui fait une espèce d’illusion », mais fondée « uniquement sur une tradition sacrée » qui n’a rien de commun avec une « histoire ».

 

La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde,

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 470 sq. C’est par là qu’on justifie le fragment [Laf.] 451, selon lequel Dieu s’est de tout temps communiqué aux hommes ; voir aussi Miracles III (Laf. 860, Sel. 439). Toujours ou les hommes ont parlé du vrai Dieu, ou le vrai Dieu a parlé aux hommes. Voir p. 472 : saint Augustin, Cité de Dieu, XVIII, 3-7 ; ces livres et cette sagesse sont les plus vieux du monde. Pascal insiste sur la conservation des textes (n. 36).

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 420.

Fides ex duratione religionis : Grotius note que les épreuves et l’aspect pesant de leurs rites n’ont pas entamé la foi des Juifs ; voir De veritate religionis christianae, I, § XIV. Le § XV traite de « Mosis veracitate et antiquitate ».

 

la plus parfaite,

 

Russier Jeanne, La foi selon Pascal, II, p. 394. Pascal reprend les principes essentiels de l’interprétation janséniste du fait juif, mais en le faisant servir à la démonstration de la foi, ce qui est son originalité. Il pose deux principes : 1. l’excellence de la loi donnée par Dieu aux Juifs ; 2. l’inefficacité de l’alliance comme moyen de salut. L’idée de l’identité entre ce que Dieu prescrit aux Juifs et ce qu’il commande aux chrétiens est un thème courant à Port-Royal : p. 395. Originalité de l’usage apologétique des deux principes : p. 400. La preuve par la perpétuité, qui suppose l’identité des lois juives et chrétiennes, et le fait que les prophètes adoraient le Messie en regardant les dons éternels qu’il préparait, montrent qu’ils avaient donc conscience de parler par figures, et font donc partie des vrais Juifs : p. 401.

Laf. 793, Sel. 646. Cette religion m’est aimable et je la trouve déjà assez autorisée par une si divine morale.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 474 sq. Pascal va jusqu’à célébrer la grandeur de la loi juive entendue au sens littéral, contrairement à saint Augustin.

Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, in Œuvres, éd. Pléiade, p. 792 sq. L’éloge de détail est exposé p. 794 : « le législateur y avait si bien réfléchi sur toutes choses, que jamais on n’a eu besoin d’y rien changer » ; Moïse avait tout prévu.

Lemaître de Sacy, tr. de L’Exode et le Lévitique, Préface, § IV, p. XIX sq. Voir dans Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, p. 347-378, les passages de cette Préface qui traitent de la Loi de Moïse.

Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, I, § XI. Judaica religio nihil quidem habuit illicitum aut inhonestum. Elle est pourtant inférieure à la chrétienne. Voir Pars V, § VI : « Ostenditur lege Mosis perfectiorem aliam dari potuisse. » Pas d’objection à tirer de l’immutabilité de Dieu contre le changement de la loi : « non enim de intrinseca Dei natura, sed de operibus agitur ». « Etiam praemia lege Mosis aperte proposita ad hanc vitam mortalem spectant omnia : unde fatendum est, legem aliquam illa lege meliorem dari potuisse, quae aeterna praemia, non sub umbris, sed aperte proponeret, quel lege Christi factum videmus ».

Voir contra Voltaire, Traité de métaphysique, ch. V, in Mélanges, éd. Van des Heuvel, Pléiade, p. 182-183, un pastiche cruel de ce passage de Pascal.

 

et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État.

 

Sur le fait que les Juifs observent la même loi que sous Moïse, voir Cohn Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, qui rapporte les développements des Perouchey Agadoth, de R. Adereth. Voir sur le même sujet, Cohn Lionel, Pascal et le judaïsme, p. 206-224, notamment p. 213-214.

Fides ex duratione religionis : voir Grotius, I, § XIV, qui note que les épreuves et l’aspect pesant des rites des Juifs n’ont pas entamé leur foi.

Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Le zèle des Juifs pour leur loi et leur temple. Josèphe et Philon juif, ad Caium. Quel autre peuple a un tel zèle, il fallait qu’ils l’eussent.

Perpétuité 2 (Laf. 280, Sel. 312). Les États périraient si on ne faisait ployer souvent les lois à la nécessité, mais jamais la religion n’a souffert cela et n’en a usé. Aussi il faut ces accommodements ou des miracles. Il n’est pas étrange qu’on se conserve en ployant, et ce n’est pas proprement se maintenir, et encore périssent-ils enfin entièrement. Il n’y en a point qui ait duré mille ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible, cela est divin.

 

C’est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion

 

Flavius Josèphe : historien juif, né vers 38, mort vers 100 après Jésus-Christ. De famille aristocratique, il prit part aux guerres contre Rome, et dut se rendre à Vespasien, qui devint son protecteur. À la demande de l’empereur, il composa l’histoire de la guerre des Juifs et des Antiquités juives. Il composa aussi une Autobiographie et un Contre Apion. Ses œuvres ont été traduites par Arnauld d’Andilly (voir l’édition Lidis-Brepols, 1968-1981). Voir Hadas-Lebel Mireille, Flavius Josèphe. Le Juif de Rome, Paris, Fayard, 1989 ; Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, article Flavius Josèphe, Paris, Cerf, 1993, p. 583-584 ; Poznanski Lucien, La chute du temple de Jérusalem, Paris, Complexe, 1991, p. 111 sq., sur la vie, la personnalité et l’œuvre de Flavius Josèphe.

Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Le zèle des Juifs pour leur loi et leur temple. Josèphe et Philon juif, ad Caium.

Flavius Josèphe, Histoire de la Guerre des Juifs contre les Romains, Réponse à Apion, Martyre des Maccabées, par Flavius Josèphe et sa vie écrite par lui-même. Avec ce que Philon a écrit de son ambassade vers l’empereur Caïus Caligula. Traduit du grec par Monsieur Arnauld d’Andilly. Troisième édition. Paris, chez Pierre Le Petit, MDCLXX. Dans Œuvres, p. 467-520, on trouve la Relation faite par Philon de l’ambassade dont il était le chef envoyée par les Juifs d’Alexandrie vers l’empereur Caïus Caligula.

Flavius Josèphe, Réponse à ce qu’Apion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, in Œuvres, I, p. 397 sq. Livre premier, p. 397. Avant propos, p. 397. Chapitre I, « Que les histoires grecques sont celles à qui on doit ajouter le moins de foi touchant la connaissance de l’Antiquité : et que les Grecs n’ont été instruits que tard dans les lettres et les sciences » : p. 398. Critique des écrivains grecs, qui n’ont eu aucun souci de la vérité historique.

Chapitre II, « Que les Égyptiens et les Babyloniens ont de tout temps été très soigneux d’écrire l’histoire. Et que nuls autres ne l’ont fait si exactement et si véridiquement que les Juifs » : p. 400. Scrupule des Juifs dans leurs récits. Ils n’ont que 22 livres, « qui comprennent tout ce qui s’est passé qui nous regarde depuis le commencement du monde jusques à cette heure, et auxquels on est obligé d’ajouter foi » : p. 401. « Nous les considérons comme divins [...] : nous faisons profession de les observer inviolablement, et de mourir avec joie s’il en est besoin pour les maintenir. C’est ce qui a fait souffrir à un si grand nombre de captifs dans notre nation en des spectacles donnés au peuple tant de tourments et de différentes morts, sans que l’on ait jamais pu arracher de leur bouche une seule parole contre le respect dû à nos lois et aux traditions de nos pères » : p. 401.

Chapitre IV, « Réponse à ce que pour montrer que la nation des Juifs n’est pas ancienne on a dit que les Historiens grecs n’en parlent point » : p. 403 sq. Les Juifs, par leur pays et leurs mœurs, n’ont pas eu de « communication avec les Grecs, comme ont eu les Égyptiens et les Phéniciens » navigateurs et commerçants : p. 403. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils soient peu connus : p. 404.

Chapitre V, « Les témoignages des historiens égyptiens et phéniciens touchant l’antiquité de la nation des Juifs » : p. 404 sq. Le témoignage de Manéthon (contre Hérodote sur l’Égypte), qui mentionne les « pasteurs captifs », « en quoi il est très véritable : car nos ancêtres s’occupant à nourri du bétail on leur donnait le nom de pasteurs » : p. 406. Preuve par Manéthon que les ancêtres sont venus en Égypte, et « qu’ils en sont sortis près de mille ans avant la guerre de Troie » : p. 406-407.

Chapitre VI, « Témoignages des historiens chaldéens touchant l’antiquité de la nation des Juifs » : p. 408 sq. Flavius Josèphe cite Berose : il rapporte, conformément à Moïse, le déluge, les descendants de Noé, la captivité à Babylone : p. 408. L’histoire de Cyrus : p. 409. L’histoire de Nabulazar (Nabuchodonosor) : p. 409. La reconstruction du Temple sous Cyrus : p. 410.

Chapitre VII, « Autres témoignages des historiens phéniciens touchant l’antiquité de la nation des Juifs » : p. 410-411.

Chapitre VIII, témoignages des historiens grecs : p. 411 sq. Le cas de Pythagore, dont il est « certain qu’il avait puisé dans les lois des Juifs une partie de sa philosophie » : p. 411. Le cas de Théophraste et d’Hérodote d’Halicarnasse : p. 411 sq. Les Grecs ont estimé la nation juive : p. 412.

Chapitre IX, « Causes de la haine des Égyptiens contre les Juifs. Preuves pour montrer que Manéthon, historien égyptien, a dit vrai en ce qui regarde l’antiquité de la nation des Juifs, et n’a écrit que des fables dans tout ce qu’il a dit contre eux » : p. 416 sq. La haine des Égyptiens vient de la « diversité des religions », car « il n’y a pas moins de différence entre la pureté toute céleste de l’une et la brutalité toute terrestre de l’autre, qu’entre la nature de Dieu, et celle des animaux irraisonnables. Car c’est une chose ordinaire parmi eux de prendre des bêtes pour leurs dieux, et de les adorer par une folle superstition qu’on leur inspire dès leur enfance » : p. 416.

Chapitre X, « Réfutation de ce que Manéthon a dit de Moïse » : p. 421 sq. Les Égyptiens admettent que c’est un homme admirable et divin ; mais ils s’efforcent de faire croire qu’il était de leur nation, qu’il « était un prêtre d’Héliopolis qui avait été chassé avec les autres à cause de la lèpre » : p. 421.

Livre second, p. 425 sq. Chapitre I, « Commencement de la Réponse à Apion. Réponse à ce qu’il dit que Moïse était égyptien, et à la manière dont il parle de la sortie des Juifs hors de l’Égypte » : p. 425.

Chapitre VI, « Réponse à ce que Lysimaque, Apollonius Molon et quelques autres ont dit contre Moïse. Josèphe fait voir combien cet admirable législateur a surpassé tous les autres, et que nulles lois n’ont jamais été si saintes ni si religieusement observées que celles qu’il a établies » : p. 439 sq. On dit que « Moïse notre législateur n’était qu’un séducteur et un enchanteur, et que les lois qu’il nous a données n’ont rien que de méchant et de dangereux... » : p. 439. Toutes les critiques contre les Juifs se résument à deux : que leurs lois ne sont pas bonnes et qu’ils ne les observent pas : p. 440. Moïse précède en antiquité Lycurgue, Solon, Zaleucus de Locres, et tous les autres tant anciens que modernes que les Grecs vantent si fort, et que le nom de lois n’était pas autrefois seulement connu parmi eux, comme il paraît par ce qu’Homère n’en a point usé. Les peuples étaient gouvernés par certaines maximes et quelques ordres des rois dont on usait selon les rencontres sans qu’il y en eût rien d’écrit. « Mais notre législateur, que ceux mêmes qui parlent contre nous ne peuvent désavouer être très ancien, a fait voir qu’il était un admirable conducteur de tout un grand peuple, puisqu’après lui avoir donné d’excellentes lois il lui a persuadé de les recevoir et de les observer inviolablement. Voyons par la grandeur de ses actions quel il a été » : p. 440. Il a été le chef du peuple ; il les a « garantis par son extrême prudence d’infinis périls » : p. 440. C’est « un excellent capitaine, un très sage conducteur, et un protecteur remarquable. Quoiqu’il persuadait tout ce qu’il voulait à cette grande multitude, et qu’elle lui fût extrêmement soumise, il ne fut jamais tenté du désir de dominer ; mais dans le temps que les autres affectent la tyrannie, et lâchent la bride au peuple pour vivre dans le désordre ; au lieu d’abuser de son autorité, il ne pensa qu’à marcher dans la crainte de Dieu, qu’à exciter ce peuple à embrasser la pitié et la justice, qu’à l’y fortifier par son exemple, et qu’à affermir son repos. Une conduite si sainte et tant de grandes actions ne donnent-elles pas sujet de croire que Dieu était l’oracle qu’il consultait, et qu’étant persuadé qu’il devait en toutes choses se conformer à sa volonté, il n’y avait rien qu’il ne fît pour inspirer ce même sentiment au peuple dont il avait la conduite » : p. 441. C’est un législateur « semblable à Minos » : car on voit bien que ses lois sont les plus saintes.

« Les diverses nations qui sont dans le monde se conduisent en des manières différentes. Les unes embrassent la monarchie, les autres l’aristocratie, et les autres la démocratie. Mais notre divin législateur n’a établi aucune de ces sortes de gouvernement. Celui qu’il a choisi a été une république à qui l’on peut donner le nom de théocratie, puisqu’il l’a rendue entièrement dépendante de Dieu ; que nous n’y regardons que lui seul comme l’auteur de tous les biens, et qui pourvoit aux besoins généralement de tous les hommes ; que nous n’avons recours qu’à lui dans nos afflictions, et que nous sommes persuadés que non seulement toutes nos actions lui sont connues, mais qu’il pénètre nos pensées » : p. 441. « Notre législateur au contraire [...] n’a rien omis de ce qui peut servir à former les mœurs, mais a pourvu à tout par les lois qu’il a données. Il a réglé jusques aux moindres choses dont il est permis de manger, et avec qui nous les pouvons manger. Il a usé de la même sorte en ce qui regarde les ouvrages, le travail, le repos, afin que vivant sous la loi comme sous un père de famille ou sous un maître, nous ne puissions faillir par ignorance » : p. 442. Il prescrit un jour de repos pour s’appliquer à la lecture de la loi.

Chapitre VII, « sur les sentiments que les Juifs ont de la grandeur de Dieu, et de ce qu’ils ont souffert pour ne point manquer à l’observation de leurs lois » : p. 444. Foi en un seul Dieu, en un seul Temple : p. 444. Ce que les Juifs ont souffert pour leurs lois : p. 449.

 

et Philon Juif,

 

Pascal ne veut pas dire que Flavius Josèphe a écrit contre Apion et contre Philon le Juif, mais que Josèphe, dans son livre Contre Apion, et Philon ont tous deux écrit sur la loi juive.

Dictionnaire des philosophes, article Philon d’Alexandrie, Encyclopaedia universalis, Paris, Albin Michel, 1998, p. 1187 sq.

Le livre II de la Vie de Moïse est presque entièrement consacré à l’éloge de Moïse législateur et de loi qu’il a donnée au peuple juif. Le détail des lois est fourni dans le livre III.

Philon d’Alexandrie, Les Œuvres de Philon Juif, auteur très éloquent et philosophe très grave, contenant l’exposition littérale et morale des livres sacrés de Moïse et des autres prophètes, et de plusieurs divins mystères, pour l’instruction d’un chacun en la piété et aux bonnes mœurs, translatées en français sur l’original grec, revues et corrigées de nouveau, et augmentées d’un 2e tome, dédiées au Roi très chrétien Louis XIII, par Fédéric Morel, Paris, chez Jacques Bessin, au Mont-Saint-Hilaire, à la cour d’Albret, 1619, 2 vol.

Philon d’Alexandrie, Philonis Judaei opera exegetica in libros Mosis, de mundi opificio, historicas et legales. Ab A. Turnebo ac D. Haeschelio edita, Coloniae allobrogum, 1613.

Sur l’usage que Pascal fait de Philon le Juif dans les Pensées, voir Michon Hélène, “Les traces de la pensée de Philon le Juif dans l’apologétique pascalienne”, Chroniques de Port-Royal, 53, p. 107-127. Il trouve principalement dans l’œuvre de Philon l’apologiste des preuves de la grandeur du peuple juif, de son histoire et de sa loi, c’est-à-dire les fondements qu’il juge irrécusables de la religion chrétienne. Il développe dans d’autres fragments le thème important de la constance et de la solidité du témoignage involontaire que le peuple juif apporte au christianisme : la personne de Philon lui-même, qui a été des plus zélés dans la défense de la Loi de Moïse et du Temple sert à Pascal de preuve du Christ, à une époque où la voix des prophètes s’est tue : p. 112. Dans un autre ordre d’idées, H. Michon souligne aussi le fait que la méthode d’exégèse allégorique de Philon a peut-être inspiré Pascal (sur ce point, voir Loi figurative).

 

en divers lieux où ils font voir qu’elle est si ancienne que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après,

 

Voir Preuves par les Juifs IV (Laf. 454-455, Sel. 694-695).

Flavius Josèphe, Réponse à ce qu’Apion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, in Œuvres, II, Chapitre VI, « Réponse à ce que Lysimaque, Apollonius Molon et quelques autres ont dit contre Moïse. Josèphe fait voir combien cet admirable législateur a surpassé tous les autres, et que nulles lois n’ont jamais été si saintes ni si religieusement observées que celles qu’il a établies » : p. 439 sq. On dit que « Moïse notre législateur n’était qu’un séducteur et un enchanteur, et que les lois qu’il nous a données n’ont rien que de méchant et de dangereux... » : p. 439. Toutes les critiques contre les Juifs se résument à deux : que leurs lois ne sont pas bonnes et qu’ils ne les observent pas : p. 440. Moïse précède en antiquité Lycurgue, Solon, Zaleucus de Locres, et tous les autres tant anciens que modernes que les Grecs vantent si fort, et que le nom de lois n’était pas autrefois seulement connu parmi eux, comme il paraît par ce qu’Homère n’en a point usé. Les peuples étaient gouvernés par certaines maximes et quelques ordres des rois dont on usait selon les rencontres sans qu’il y en eût rien d’écrit. « Mais notre législateur, que ceux mêmes qui parlent contre nous ne peuvent désavouer être très ancien, a fait voir qu’il était un admirable conducteur de tout un grand peuple, puisqu’après lui avoir donné d’excellentes lois il lui a persuadé de les recevoir et de les observer inviolablement. Voyons par la grandeur de ses actions quel il a été » : p. 440.

Mersenne, L’impiété des déistes, I, XI, éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2005, p. 180-181. « Que sera-ce si vous jetez l’œil sur toutes les prophéties contenues dedans l’Ancien Testament, lesquelles ont prédit tout ce qui est arrivé à notre Sauveur si clairement qu’Esaïe semble voir les mystères de la vie et de la mort de Jésus-Christ. Vous savez que nous n’avons pas inventé ces prédictions, car nos ennemis jurés, qui ont conservé ces livres jusques à présent, nous garantissent de cela ; et afin qu’on ne puisse dire que nous y avons ajouté, ils ont compté toutes les lettres de leur loi, qu’il disent être, si bien me souvient, huit cent vingt et un mil et quatre vingt une, et puis nous nous servons des mêmes Bibles qu’eux, lesquelles doivent avoir une plus grande autorité, que tous les autres livres du monde, encore que nous ne parlassions que de l’autorité naturelle, puisqu’ils sont les plus anciens, dedans lesquels les plus excellents Philosophes, et les plus savants de toute l’Antiquité ont puisé ce qu’ils ont de meilleur. »

 

en sorte qu’Homère, qui a écrit de l’histoire de tant d’États, ne s’en est jamais servi.

 

Le mot de loi n’a été connu qu’après Homère : voir Flavius Josèphe, Contre Apion, II, ch. VI. Moïse précède en antiquité Lycurgue, Solon, Zaleucus de Locres, et tous les autres tant anciens que modernes que les Grecs vantent ; le nom de lois n’était pas autrefois seulement connu parmi eux, comme le montre le fait ce qu’Homère n’en a point usé. Les peuples étaient gouvernés par des maximes et des ordres des rois, sans qu’il y en eût rien d’écrit. « Mais notre législateur, que ceux mêmes qui parlent contre nous ne peuvent désavouer être très ancien, a fait voir qu’il était un admirable conducteur de tout un grand peuple, puisqu’après lui avoir donné d’excellentes lois il lui a persuadé de les recevoir et de les observer inviolablement. Voyons par la grandeur de ses actions quel il a été » : p. 440.

Le mot nomos ne se trouve pas en effet dans les poèmes homériques ; les plus anciens exemples sont dans Hésiode. Voir GEF XIV, p. 63, n. 12. Homère ne mentionne que des maximes non définies ou les ordres royaux, mais ne parle jamais de lois.

Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 203. Critique de l’expression et de l’idée de Pascal.

Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, § VIII, éd. Ferret et McKenna,  Garnier, p. 170.

« Il est très faux que la loi des Juifs soit la plus ancienne, puisque avant Moïse, leur législateur, ils demeuraient en Égypte, le pays de la terre le plus renommé pour ses sages lois.

Il est très faux que le nom de loi n’ait été connu qu’après Homère ; il parle des lois de Minos ; le mot de loi est dans Hésiode. Et quand le nom de loi ne se trouverait ni dans Hésiode ni dans Homère, cela ne prouverait rien. Il y avait des lois et des juges ; donc il y avait des lois.

Il est encore très faux que les Grecs et les Romains aient pris des lois des Juifs. Ce ne peut être dans les commencements de leurs républiques, car alors ils ne pouvaient connaître les Juifs ; ce ne peut être dans le temps de leur grandeur, car alors ils avaient pour ces barbares un mépris connu de toute la terre ».

Boullier David Renaud, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § VIII, p. 43 sq. Réponse à Voltaire.

Il n’est pas évident que Homère ait « écrit l’histoire de tant d’États ». Voir Havet, éd. des Pensées, I, 1866, p. 203. Port-Royal remplace États par peuples. Havet objecte à Pascal que « un poète ne fait pas un traité, et Homère bien moins qu’un autre poète », ne touche pas au fond du problème, qui est de savoir si le mot loi appartient ou non au lexique de Homère.

 

Et il est aisé de juger de sa perfection par la simple lecture où l’on voit qu’on a pourvu à toutes choses avec tant de sagesse, tant d’équité et tant de jugement,

 

L’idée vient peut-être du Livre III de la Vie de Moïse de Philon d’Alexandrie, qui détaille les prescriptions de la loi mosaïque dans toutes sortes de circonstances. Mais il suffisait à Pascal de lire le Lévitique, le livre des Nombres, et le Deutéronome pour saisir le détail dans lequel entrait cette loi.

Cohn Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, p. 209-210.

 

que les plus anciens législateurs grecs et romains, en ayant eu quelque lumière, en ont emprunté leurs principales lois, ce qui paraît par celle qu’ils appellent des Douze Tables et par les autres preuves que Josèphe en donne.

 

Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je considère cette loi qu’ils se vantent de tenir de Dieu et je la trouve admirable C’est la première loi de toutes et de telle sorte qu’avant même que le mot de loi fût en usage parmi les Grecs, il y avait près de mille ans qu’ils l’avaient reçue et observée sans interruption. Ainsi je trouve étrange que la première loi du monde se rencontre aussi la plus parfaite en sorte que les plus grands législateurs en ont emprunté les leurs comme il paraît par la loi des Douze Tables d’Athènes qui fut ensuite prise par les Romains et comme il serait aisé de le montrer, si Josèphe et d’autres n’avaient assez traité cette matière.

Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, I, § XV, qui traite de « Mosis veracitate et antiquitate », affirme que « antiquissimae leges atticae, unde et romanae postea desumpta sunt, ex legibus Mosis originem ducunt ». Il en donne quelques exemples, par exemple la loi « puellae orbae haereditatem tribuat congatus », qu’il pense provenir d’une loi du dernier chapitre du livre des Nombres.

Les Grecs auraient emprunté leurs lois aux Juifs : voir Saint Augustin, Cité de Dieu, VIII, t. 34, p. 270. Saint Augustin avoue qu’il soutiendrait volontiers cette idée : p. 271. L’idée que les philosophes grecs ont connu la loi de Moïse se trouve souvent chez les apologistes chrétiens ; on la rencontre, pour la première fois semble-t-il, chez Aristobule (vers 150 avant Jésus-Christ).

Saint Augustin, Cité de Dieu, VIII, t. 34, p. 270. Saint Augustin avoue qu’il soutiendrait volontiers cette idée, que Platon aurait eu connaissance de la loi de Moïse : p. 271. Voir aussi De doctrina christiana, II, XXVIII, 43.

Gilson Étienne, Philosophie au Moyen Âge, I, p. 21-22, et Le thomisme. Introduction à la philosophie de saint Thomas d’Aquin, 6e éd., Paris, Vrin, 1997, p. 100. Augustin pense que Platon a dû connaître au moins en partie le livre de l’Exode. Voir Cité de Dieu, VIII, 11.

Sur l’idée que les Romains ont emprunté leurs lois aux Juifs, voir Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). En sorte que les plus grands législateurs en ont emprunté les leurs comme il paraît par la loi des Douze Tables d’Athènes qui fut ensuite prise par les Romains.

Loi des Douze Tables : voir Historiens romains, Pléiade, I, Tite Live, p. 223, et II, César, p. 1151.

Bloch Raymond, Les origines de Rome, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, p. 119. Avant la loi des Douze Tables, le droit romain n’était pas écrit, mais coutumier. La plèbe demanda que le droit fût unifié et publié. Un code fut préparé par une commission décemvirale et gravé sur Douze Tables. Au temps de Cicéron le texte en était appris par cœur par les enfants. Ce fut le fondement du droit romain. Ces lois ont été rédigées par une commission de dix anciens consuls (decemvir) (451-499), posant la volonté du peuple en son entier comme fondement de la loi et établissant l’égalité des citoyens, patriciens et plébéiens. Peintes en lettres noires et rouges sur des planches de bois, elles se trouvaient ainsi publiées. Le texte original ne nous en est pas parvenu. Voir Piganiol André, La conquête romaine, Paris, P. U. F., 1940, p. 90-94. La loi des Douze Tables est demeurée la « source de tout le droit, tant public que privé ». Ce sont des dispositions générales qu’on peut reconstituer par hypothèse, réglant le régime de la famille et de l’autorité paternelle, l’endettement : p. 92 sq.

On trouve aussi chez Grotius l’idée que les Romains ont emprunté leurs lois aux Juifs : voir Grotius Hugo, De veritate…, I, XV. « Accedit in dubitata scriptorum Mosis antiquitas, cui nullum aliud scriptum possit contendere : cujus argumentum et hoc est, quod Graeci, unde omnis ad alias gentes fluxit eruditio, litteras se aliunde accepisse fatentur… : sicut et antiquissimae leges atticae, unde et Romanae postea desumptae sunt, ex legibus Mosis originem ducunt » : p. 9.

Grotius Hugo, Le droit de la guerre et de la paix, éd. Alland et Goyard-Fabre, II, ch. I, XII, 1, Paris, P.  U. F., 1999, p. 172. « Voyons quel est le sens de la loi hébraïque, avec laquelle s’accorde la loi ancienne de Solon, dont Démosthène fait mention dans son discours contre Timocrate, et qui a été la source de la loi des Douze Tables ».

La tradition selon laquelle les Grecs n’ont jamais vraiment rien inventé, ou n’ont inventé que des absurdités, mais qu’ils ont pris à la Bible leurs idées philosophiques les plus solides, remonterait, semble-t-il, au philosophe grec Aristobule (vers 150 avant Jésus-Christ), et se retrouverait chez Tatien, Discours aux Grecs (entre 166 et 171), et, du côté de l’école judéo-alexandrine, à Josèphe, Contre Apion I, XXII (exemple de Pythagore de Samos), et Philon, Allégories, I, 33, ainsi que chez Justin, Clément d’Alexandrie et Origène.

Justin, Première apologie, 59-60, écrit bien que Platon s’est inspiré de Moïse, mais à propos de la genèse du monde, et non pour ce qui touche la loi.

Eusèbe, Praepar. Evang. XI, 6, indique que Platon a appris de Moïse, mais à propos de l’imposition des noms.

Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, § VIII, s’est fortement opposé à la thèse selon laquelle les Romains ont emprunté leurs lois aux Juifs. Voir plus haut.

Boullier, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § VIII, p. 43 sq., ne répond pas directement à l’objection, il se contente de l’écarter.

 

Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion, obligeant ce peuple, pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles sur peine de la vie,

 

En ce qui regarde le culte de leur religion est une addition. Elle précise que c’est sur les obligations religieuses que la loi mosaïque était très contraignante. Ce caractère rigoureux, très précis et contraignant est bien connu. Voir le Lévitique, le livre des Nombres, et le Deutéronome.

Grotius Hugo, De veritate religionis christanae, I, XIV. « Legem tot ritibus onerosam ».

Cohn Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, p. 210. Pascal souligne la rigueur singulière de la loi juive.

 

de sorte que c’est une chose bien étonnante qu’elle se soit toujours conservée constamment durant tant de siècles par un peuple rebelle et impatient comme celui‑ci, pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois quoique tout autrement faciles.

 

Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Le zèle des Juifs pour leur loi et leur temple. Josèphe et Philon juif, ad Caium. Quel autre peuple a un tel zèle, il fallait qu’ils l’eussent.

Sur l’intransigeance, la constance et la persistance des Juifs dans le monothéisme, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 473 sq.

Philon d’Alexandrie, Vie de Moïse, II, in Œuvres, tr. P. Bellier, Paris, Chapellain, 1612, p. 340. « Car si quelqu’un prend garde aux lois des autres, il trouvera qu’elles ont été changées par dix mille occasions, par guerres, par tyrannies, et par autres cas fortuits, qui par le renouvellement et changement de fortune surviennent. Souvent aussi les superflues et excessives richesses ont aboli les lois, ne pouvant la multitude des biens compatir avec les bonnes choses, mais s’en saoulant incontinent, et après être foulées les rejetant fièrement avec un orgueil, qui est l’ennemi de la loi. Au contraire, les seules lois de Moïse sont demeurées depuis le jour qu’elles ont été écrites jusques à cette heure fermes et stables, étant par manière de dire scellées des sceaux de la nature, et si y a espérance qu’elles demeureront, tant que le soleil, la lune et tout le ciel et le monde durera parce que jaçoit que le peuple des hébreux ait essayé les changements de la bonne et mauvaise fortune, toutefois il n’y a pas un petit commandement changé, les ayant tous (comme aussi il devait) honoré, tant sont excellents et divins. »

 

Le livre qui contient cette loi, la première de toutes, est lui‑même le plus ancien livre du monde, ceux d’Homère, d’Hésiode et les autres n’étant que six ou sept cents ans depuis.

 

Origène, Contre Celse, IV, XXXIX, reproche à Celse d’affirmer que Hésiode, entre autres auteurs, est « plus ancien que Moïse », alors que ce dernier a écrit « longtemps avant la guerre de Troie ».

Dans le fragment Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688), Pascal insiste plutôt sur le caractère romanesque des œuvres de Homère. Antiquité des Juifs. Qu’il y a de différence d’un livre à un autre ! Je ne m’étonne pas de ce que les Grecs ont fait l’Iliade, ni les Égyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que voir comment cela est né. Ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman, qu’il donne pour tel et qui est reçu pour tel ; car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n’avaient non plus été que la pomme d’or. Il ne pensait pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement ; il est le seul qui écrit de son temps, la beauté de l’ouvrage fait durer la chose : tout le monde l’apprend et en parle ; il la faut savoir, chacun la sait par cœur. Quatre cents ans après, les témoins des choses ne sont plus vivants ; personne ne sait plus par sa connaissance si c’est une fable ou une histoire : on l’a seulement appris de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai. Toute histoire qui n’est pas contemporaine est suspecte ; ainsi les livres des sibylles et de Trismégiste, et tant d’autres qui ont eu crédit au monde, sont faux et se trouvent faux à la suite des temps. Il n’en est pas ainsi des auteurs contemporains. Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

Le poète grec Hésiode est auteur d’une Théogonie qui, comme la Bible, raconte les origines du monde (VIIIe siècle avant Jésus-Christ).