Fragment Vanité n° 11 / 38 Papier original : RO 81-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 28 p. 5 v° / C2 : p. 19

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 267 / 1678 n° 60 p. 259.

Éditions savantes : Faugère I, 198, LX / Havet VI.41 / Brunschvicg 67 / Tourneur p. 170-1 / Le Guern 21 / Maeda I p. 105 / Lafuma 23 / Sellier 57

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Bibliographie

 

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 74.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES, 1993.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 180.

 

 

Éclaircissements

Vanité des sciences.

 

La vanité des sciences est un thème sur lequel Pascal exploite Montaigne, dans la ligne de l’Entretien avec M. de Sacy.

François Sanchez a composé un livre intitulé De multum nobili, prima et universali scientia : Quod nihil scitur, Lyon, Gryphius, 1581, dont le P. Mersenne s’est servi pour ses écrits apologétiques, et que Pascal connaît peut-être.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES, 1993, p. 108. La science apparaît complètement extérieure à la sensibilité humaine et aux besoins intérieurs de l’homme.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 74-75, associe ce fragment à d’autres, qui dénoncent aussi la vanité de certaines activités sociales, Vanité 23 (Laf. 36, Sel. 70), pour la vanité de la vie mondaine, et Vanité 27 (Laf. 40, Sel. 74), pour la vanité de la peinture. Il y ajoute Vanité 26 (Laf. 39, Sel. 73) : ces quatre fragments lui paraissent liés entre eux par le thème du divertissement.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 180. Interprétation de ce fragment comme une critique des présocratiques, commune à Pascal et à saint Augustin : leur recherche est inutile, étant étrangère à la vie de l’homme.

 

La science des choses extérieures ne me consolera pas de l’ignorance de la morale au temps d’affliction, mais la science des mœurs me consolera toujours de l’ignorance des sciences extérieures.

 

Science des choses extérieures, sciences extérieures : ces deux expressions doivent-elles être considérées comme équivalentes ?

Faut-il entendre par science des mœurs le contraire de l’ignorance de la morale, c’est-à-dire la science de la morale ? D’après Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168), il faut sans doute entendre « l’étude de l’homme ».

Voir aussi le fragment Laf. 687, Sel. 566. J’avais passé longtemps dans l’étude des sciences abstraites et le peu de communication qu’on en peut avoir m’en avait dégoûté. Quand j’ai commencé l’étude de l’homme, j’ai vu que ces sciences abstraites ne sont pas propres à l’homme, et que je m’égarais plus de ma condition en y pénétrant que les autres en l’ignorant. J’ai pardonné aux autres d’y peu savoir, mais j’ai cru trouver au moins bien des compagnons en l’étude de l’homme et que c’est la vraie étude qui lui est propre. J’ai été trompé. Il y en a encore moins qui l’étudient que la géométrie. Ce n’est que manque de savoir étudier cela qu’on cherche le reste. Mais n’est-ce pas que ce n’est pas encore là la science que l’homme doit avoir, et qu’il lui est meilleur de s’ignorer pour être heureux.

La remarque indique une hiérarchie plutôt que du mépris ou la volonté d’abandon.

Le texte esquisse le raisonnement par la raison des effets : on se plaint de la vanité de la science humaine, mais à bien regarder la condition de l’homme, on s’aperçoit « qu’il lui est meilleur de s’ignorer pour être heureux ».

 

Au temps d’affliction

 

Vie de Pascal, 2e version, § 50, OC I, éd. J. Mesnard, p. 621 : « la part que nous pouvons prendre aux choses étant de deux sortes (car ou elles nous affligent, ou elles nous consolent) […] »

D’après Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168), il n’y a pourtant pas trop à attendre de la connaissance des mœurs : quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai voulu en découvrir les raisons, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près.

 

Pour approfondir…

 

 Affliction

 

La notion d’affliction apparaît dans les textes sur le divertissement, dont la fonction est de les faire oublier : voir Divertissement 1 (Laf. 132, Sel. 165). Divertissement - Si l’homme était heureux il le serait d’autant plus qu’il serait moins diverti, comme les saints et Dieu. Oui ; mais n’est-ce pas être heureux que de pouvoir être réjoui par le divertissement ? Non ; car il vient d’ailleurs et de dehors ; et ainsi il est dépendant, et partout, sujet à être troublé par mille accidents, qui font les afflictions inévitables.

Il existe un bon usage des afflictions. Voir la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, IX. « Oui, Seigneur, jusqu’ici j’ai toujours été sourd à vos inspirations : j’ai méprisé vos oracles ; j’ai jugé au contraire de ce que vous jugez ; j’ai contredit aux saintes maximes que vous avez apportées au monde du sein de votre Père éternel, et suivant lesquelles vous jugerez le monde. Vous dites : « Bienheureux sont ceux qui pleurent, et malheur à ceux qui sont consolés. » Et moi j’ai dit : « Malheureux ceux qui gémissent, et très heureux ceux qui sont consolés. » J’ai dit : « Heureux ceux qui jouissent d’une fortune avantageuse, d’une réputation glorieuse et d’une santé robuste. » Et pourquoi les ai-je réputés heureux, sinon parce que tous ces avantages leur fournissaient une facilité très ample de jouir des créatures, c’est-à-dire de vous offenser ? Oui, Seigneur, je confesse que j’ai estimé la santé un bien, non pas parce qu’elle est un moyen facile pour vous servir avec utilité, pour consommer plus de soins et de veilles à votre service, et pour l’assistance du prochain ; mais parce qu’à sa faveur je pouvais m’abandonner avec moins de retenue dans l’abondance des délices de la vie, et en mieux goûter les funestes plaisirs. Faites-moi la grâce, Seigneur, de réformer ma raison corrompue, et de conformer mes sentiments aux vôtres. Que je m’estime heureux dans l’affliction, et que, dans l’impuissance d’agir au-dehors, vous purifiiez tellement mes sentiments qu’ils ne répugnent plus aux vôtres ; et qu’ainsi je vous trouve au-dedans de moi-même, puisque je ne puis vous chercher au-dehors à cause de ma faiblesse. Car, Seigneur, votre Royaume est dans vos fidèles ; et je le trouverai dans moi-même, si j’y trouve votre Esprit et vos sentiments. »