Fragment Vanité n° 5 / 38 – Papier original : RO 79-10

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 19 p. 5 / C2 : p. 17

Éditions savantes : Faugère II, 335, XLIII / Havet XXV.102 / Brunschvicg 113 / Tourneur p. 169-2 / Le Guern 15 / Maeda I p. 85 / Lafuma 17 / Sellier 51

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Bibliographie

 

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 197 sq.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 33 sq.

 

 

Éclaircissements

 

Inconstance et bizarrerie.

 

Inconstance

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 197 sq. Définition : l’inconstance n’est que la diversité saisie dans le temps : p. 197. Si l’homme pouvait trouver satisfaction dans quelque objet, il s’y tiendrait sans plus en chercher d’autres ; mais comme tout le déçoit, il passe sans cesse d’objet en objet, dans l’illusion de pouvoir en trouver un qui le satisfasse.

Sur l’inconstance voir les fragments

Vanité 12 (Laf. 24, Sel. 58). Condition de l’homme. Inconstance, ennui, inquiétude.

Misère 2 (Laf. 54, Sel. 87). Inconstance. Les choses ont diverses qualités et l’âme diverses inclinations.

Misère 3 (Laf. 55, Sel. 88). Inconstance. On croit toucher des orgues ordinaires en touchant l’homme.

Misère 22 (Laf. 73, Sel. 107). Le sentiment de la fausseté des plaisirs présents et l’ignorance de la vanité des plaisirs absents cause l’inconstance.

Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), sur l’inconstance des apparences.

Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Mais en considérant aussi cette inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances dans les divers temps...

Laf. 801, Sel. 653. Le temps guérit les douleurs et les querelles parce qu’on change. On n’est plus la même personne ; ni l’offensant, ni l’offensé ne sont plus eux-mêmes. C’est comme un peuple qu’on a irrité et qu’on reverrait après deux générations. Ce sont encore les Français mais non les mêmes.

[...]

Si nous rêvions toutes les nuits la même chose elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours. Et si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits douze heures durant qu’(il) est roi, je crois qu’il serait presque aussi heureux qu’un roi qui rêverait toutes les nuits douze heures durant qu’il serait artisan.

Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des ennemis et agités par ces fantômes pénibles, et qu’on passât tous les jours en diverses occupations comme quand on fait voyage on souffrirait presque autant que si cela était véritable et on appréhenderait le dormir comme on appréhende le réveil, quand on craint d’entrer dans de tels malheurs en effet. Et en effet il ferait à peu près les mêmes maux que la réalité.

Mais parce que les songes sont tous différents et que l’un même se diversifie, ce qu’on y voit affecte bien moins que ce qu’on voit en veillant, à cause de la continuité qui n’est pourtant pas si continue et égale qu’elle ne change aussi, mais moins brusquement, si ce n’est rarement comme quand on voyage et alors on dit : il me semble que je rêve ; car la vie est un songe un peu moins inconstant.

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 33 sq. Inconstance.

Sur l’inconstance des phénomènes physiques, voir Vanité 15 (Laf. 27, Sel. 61). Le froid et le chaud. Inconstance des qualités dans le cas de la fièvre. Le fragment du Traité du vide, dans sa partie météorologique, montre comment Pascal tente de maîtriser des phénomènes dont il souligne l’inconstance et l’irrégularité.

La Rochefoucauld, Maximes, 175, éd. Truchet, p. 175. Constance et inconstance.

La Rochefoucauld, Réflexions diverses, XVIII, De l’inconstance, éd. Truchet, p. 222-223.

Érasme, De la double abondance des mots et des idées, in Œuvres choisies, éd. J. Chomarat, Livre de Poche, 1991, p. 250 sq. Variation sur l’idée d’inconstance humaine.

Voir a contrario, la définition de la constance, chez les stoïciens, et chez Descartes, dans sa définition de la générosité, Traité des passions, art. 153. « En quoi consiste la générosité. Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait qu’un homme s’estime au plus haut point qu’il se peut légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu’il connaît qu’il n’y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu’il en use bien ou mal, et partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante résolution d’en bien user, c’est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures. Ce qui est suivre parfaitement la vertu. »

 

Bizarrerie

 

Bizarre : fantasque, extravagant, capricieux ; signifie aussi figurément extraordinaire, hors de l’usage commun (Dictionnaire de l’Académie).

Bizarrerie : voir Laf. 801, Sel. 653. En sachant la passion dominante de chacun on est sûr de lui plaire, et néanmoins chacun a ses fantaisies contraires à son propre bien dans l’idée même qu’il a du bien, et c’est une bizarrerie qui met hors de gamme.

Voir aussi la Provinciale II, sur la doctrine des nouveaux thomistes, qui est qualifiée de bizarre.

Voir Alceste ou Arnolphe chez Molière : on dit bizarre de quelqu’un dont les sautes d’humeur confinent à la folie. Le mot désigne un dérèglement d’humeur.

 

Y a-t-il une différence entre inconstance et bizarrerie ? Bizarrerie renvoie à la perception qu’on a de la chose. Pour mesurer la bizarrerie, il faut une norme. L’inconstance est inhérente à la chose. Dans les deux cas, il y a ici une dimension comique.

 

Ne vivre que de son travail, et régner sur le plus puissant État du monde sont choses très opposées. Elles sont unies dans la personne du Grand Seigneur des Turcs.

 

Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le grand seigneur environné dans son superbe sérail de quarante mille janissaires.

Note de Havet : « Je ne sais où Pascal a pris cette tradition : si elle est dans Montaigne, je ne m’en souviens pas, Rousseau la rappelle et la commente dans l’Émile, vers la fin du livre III. Mais déjà, en 1556, Guillaume Postel, dans son livre de la République des Turcs, troisième partie, avertissait ses lecteurs de n’en rien croire : « n’est pas ainsi que disent quelques-uns, qu’ils labourent, puis envoie une poire ou autre fruit à un vaschia, et lui mande qu’il lui donne mille écus : ce sont folies, etc…» ». Le livre de Postel date de 1560.

Le Guern renvoie à Tavernier, Nouvelle relation de l’intérieur du Sérail du grand Seigneur, Paris, 1675, p. 239-242. Référence tardive sans grande utilité.