Pensées diverses III – Fragment n° 24 / 85 – Papier original : RO 423-7

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 123 p. 371 / C2 : p. 327 v°

Éditions savantes : Faugère I, 204, LXXIX / Havet VI.56 / Brunschvicg 44 / Tourneur p. 100-2 / Le Guern 565 / Lafuma 671 (série XXV) / Sellier 550

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Bibliographie

 

 

STIKER-MÉTRAL Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris, Champion, 2007.

 

 

Éclaircissements

 

Voulez‑vous qu’on croie du bien de vous, n’en dites pas.

 

Les maximes sont en morale des règles de pensée et d’action sur lesquelles un accord général s’est établi. Un écho de cette conception se retrouve dans La Bruyère, Préface des Caractères, éd. Garapon, Garnier, p. 64 : les maximes « sont comme des lois dans la morale ».

Le présent fragment est un exemple de maxime visant à régler sagement ou prudemment la conduite des hommes, et non un principe de pensée, au sens où Pascal emploie le mot dans les Expériences nouvelles touchant le vide.

Pascal raille souvent le désir de réputation et de gloire qui se trouve chez les hommes. Il note que ce désir se contente parfois de fort peu :

Laf. 628, Sel. 521. Du désir d’être estimé de ceux avec qui on est.

Contrariétés 2 (Laf. 120, Sel. 152). Nous sommes si présomptueux que nous voudrions être connus de toute la terre et même des gens qui viendront quand nous ne serons plus. Et nous sommes si vains que l’estime de cinq ou six personnes qui nous environnent nous amuse et nous contente.

Dans d’autres passages, Pascal insiste sur l’universalité de ce désir, présent jusque dans les plus basses conditions de la société :

Laf. 627, Sel. 520. La vanité est si ancrée dans le cœur de l’homme qu’un soldat, un goujat, un cuisinier, un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs et les philosophes mêmes en veulent, et ceux qui écrivent contre veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit, et ceux qui les lisent veulent avoir la gloire de les avoir lus, et moi qui écris ceci ai peut-être cette envie, et peut-être que ceux qui le liront...

Il se trouve même chez les philosophes, qui devraient être indifférents à l’opinion du peuple :

Philosophes 4 (Laf. 142, Sel. 175)Philosophes. Ils croient que Dieu est seul digne d’être aimé et d’être admiré, et ont désiré d’être aimés et admirés des hommes, et ils ne connaissent pas leur corruption. S’ils se sentent pleins de sentiments pour l’aimer et l’adorer, et qu’ils y trouvent leur joie principale, qu’ils s’estiment bons, à la bonne heure ! Mais s’ils s’y trouvent répugnants s’ils n’ont aucune pente qu’à se vouloir établir dans l’estime des hommes, et que, pour toute perfection, ils fassent seulement que, sans forcer les hommes, ils leur fassent trouver leur bonheur à les aimer, je dirai que cette perfection est horrible. Quoi, ils ont connu Dieu et n’ont pas désiré uniquement que les hommes l’aimassent, que les hommes s’arrêtassent à eux. Ils ont voulu être l’objet du bonheur volontaire des hommes.

Mais Pascal remarque aussi que ce désir est très facilement frustré, et le plus souvent par la faute même de ceux qui ambitionnent de plaire et de s’assurer l’estime d’autrui. Voir par exemple le fragment Laf. 650, Sel. 535. N’avez‑vous jamais vu des gens qui pour se plaindre du peu d’état que vous faites d’eux vous étalent l’exemple de gens de condition qui les estiment ? Je leur répondrais à cela : Montrez‑moi le mérite par où vous avez charmé ces personnes et je vous estimerai de même.

Ce thème de la recherche d’une réputation flatteuse trouve indirectement place dans les thèmes de l’apologie, comme le montre le fragment Preuves par les Juifs VI (Laf. 470, Sel. 707). La plus grande bassesse de l’homme est la recherche de la gloire, mais c’est cela même qui est la plus grande marque de son excellence ; car, quelque possession qu’il ait sur la terre, quelque santé et commodité essentielle qu’il ait, il n’est pas satisfait, s’il n’est dans l’estime des hommes. Il estime si grande la raison de l’homme, que, quelque avantage qu’il ait sur la terre, s’il n’est placé avantageusement aussi dans la raison de l’homme, il n’est pas content. C’est la plus belle place du monde, rien ne le peut détourner de ce désir, et c’est la qualité la plus ineffaçable du cœur de l’homme. Et ceux qui méprisent le plus les hommes, et les égalent aux bêtes, encore veulent-ils en être admirés et crus, et se contredisent à eux-mêmes par leur propre sentiment ; leur nature, qui est plus forte que tout, les convainquant de la grandeur de l’homme plus fortement que la raison ne les convainc de leur bassesse.

Dossier de travail (Laf. 411, Sel. 30). Grandeur de l’homme. Nous avons une si grande idée de l’âme de l’homme que nous ne pouvons souffrir d’en être méprisé, et de n’être pas dans l’estime d’une âme. Et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime.

Les personnes qui se répandent en éloges sur elles-mêmes froissent nécessairement l’amour propre de leurs interlocuteurs. D’où il découle que le meilleur moyen d’acquérir une bonne réputation est de se taire sur soi-même en honnête homme.

Ces réflexions trouvent un écho dans le grand texte Amour propre (Laf. 978, Sel.743).

On se reportera sur ce sujet au livre de Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715).

Noter la rupture de rythme entre les deux parties, qui donne à la maxime un caractère naturel et apparemment oral.