Pensées diverses III – Fragment n° 52 / 85 – Papier original : RO 431-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 136 p. 377 v° / C2 : p. 337
Éditions savantes : Faugère I, 274, XXIX / Havet Prov. n° 469 p. 289 / Brunschvicg 934 / Tourneur p. 105-1 / Le Guern 593 / Lafuma 700 (série XXV) / Sellier 578
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Bibliographie ✍
BOTTEREAU G., “Notes de lecture de Blaise Pascal sur les jésuites”, Archivium historicum societatis Jesu, XLIII, 1974, p. 147-148. CARIOU Pierre, Pascal et la casuistique, Paris, Presses Universitaires de France, 1993. DESCOTES Dominique, “Jésuites violents et poissons violents”, in Courrier du Centre International Blaise Pascal, 34, 2012, p. 28-36. FRANKLIN James, The science of conjecture. Evidence and probability before Pascal, Baltimore and London, Johns Hopkins Press, 2001. JOUSLIN Olivier, Rien ne nous plaît que le combat. La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, Clermont, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007. MAYNARD Abbé, Les Provinciales et leur réfutation, Paris, Didot, 1851. SHIOKAWA Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012, p. 177-189. |
✧ Éclaircissements
Généraux.
Dans la Compagnie de Jésus on appelle supérieur général (Praepositus generalis) ou par abréviation général, le religieux qui se trouve à sa tête.
Il ne leur suffit pas d’introduire dans nos temples de telles mœurs, templis inducere mores. Non seulement ils veulent être soufferts dans l’Église, mais comme s’ils étaient devenus les plus forts, ils en veulent chasser ceux qui n’en sont pas...
Nos temples : le fragment est vraisemblablement une esquisse pour un écrit qu’auraient signé les curés de Paris ou d’une autre ville. Nos temples désigne les églises des paroisses.
De telles mœurs : les mœurs définies dans les maximes des casuistes corrompus.
Voir ci-dessous la mention des établissements violents des jésuites partout.
Sur l’emploi de la violence par les jésuites contre les ecclésiastiques qui ne sont pas de leur ordre, voir l’épisode de leur tentative contre l’abbaye de Voltigerod en Basse-Saxe, brièvement mentionné par Pascal dans le fragment Miracles III (Laf. 909, Sel. 451). Voir Descotes Dominique, “Jésuites violents et poissons violents”, p. 28-36, qui cite le texte de Pontchâteau de La morale pratique des jésuites, 1669, p. 162-170, sur cet épisode.
Mohatra, ce n’est pas être théologien de s’en étonner.
Provinciale VIII, éd. Cognet, Garnier, p. 139-141. « Voilà de subtiles méthodes ; mais une des meilleures à mon sens, car nous en avons à choisir, c’est celle du contrat Mohatra. Le contrat Mohatra, mon Père ! Je vois bien, dit-il, que vous ne savez ce que c’est. Il n’y a que le nom d’étrange. Escobar vous l’expliquera au tr. 3. ex. 3. n. 36. Le contrat Mohatra est celui par lequel on achète des étoffes chèrement et à crédit, pour les revendre au même instant à la même personne argent comptant et à bon marché. Voilà ce que c’est que le contrat Mohatra, par où vous voyez qu’on reçoit une certaine somme comptant, en demeurant obligé pour davantage. Mais, mon Père, je crois qu’il n’y a jamais eu qu’Escobar qui se soit servi de ce mot-là : y a-t-il d’autres livres qui en parlent ? Que vous savez peu les choses, me dit le Père. Le dernier livre de Théologie Morale, qui a été imprimé cette année même à Paris, parle du Mohatra, et doctement. Il est intitulé Epilogus Summarum. C’est un abrégé de toutes les Sommes de Théologie, pris de nos Pères Suarez, Sanchez, Lessius, Fagundez, Hurtado, et d’autres casuistes célèbres, comme le titre le dit. Vous y verrez donc en la page 54. Le Mohatra est quand un homme qui a affaire de vingt pistoles, achète d’un Marchand des étoffes pour trente pistoles, payables dans un an, et les lui revend à l’heure même pour vingt pistoles comptant. Vous voyez bien par là que le Mohatra n’est pas un mot inouï. Et bien, mon Père, ce contrat-là est-il permis ? Escobar, répondit le Père, dit au même lieu, qu’il y a des lois qui le défendent sous des peines très rigoureuses. Il est donc inutile, mon Père ? Point du tout, dit-il : car Escobar en ce même endroit donne des expédients de le rendre permis, encore même, dit-il, que celui qui vend et rachète ait pour intention principale le dessein de profiter, pourvu seulement qu’en vendant il n’excède pas le plus haut prix des étoffes de cette sorte, et qu’en rachetant, il n’en passe pas le moindre ; et qu’on n’en convienne pas auparavant en termes exprès ni autrement. Mais Lessius, de just. l. 2. c. 21. d. 16. dit qu’encore même qu’on en fût convenu, on n’est jamais obligé à rendre ce profit, si ce n’est peut-être par charité, au cas que celui de qui on l’exige fût dans l’indigence ; et encore pourvu qu’on le pût rendre sans s’incommoder ; si commode potest. Voilà tout ce qui se peut dire. En effet, mon Père, je crois qu’une plus grande indulgence serait vicieuse. Nos Pères, dit-il, savent si bien s’arrêter où il faut. Vous voyez assez par là l’utilité du Mohatra. »
Escobar Antoine, Liber theologiae moralis, Tract. III, Ex. V, cap. III, n. 36, p. 367 sq. Texte cité dans GEF V, p. 124-125. « Rogo, an contractus ille vulgariter Mohatra, quando quis egens pecunia, emit pecunia credita a mercatore merces pretio summo, et statim ei pecunia numerata pretio infimo revendit : licitus sit ? Notat Rebellus p. 2. lib. 9 ; q. 7. num. 7 in legibus Castellae gravissimis poenis prohiberi. Attamen justus est, hisce servatis : nullum pactum explicitum nec implicitum adhibendum. Pretium, quo venduntur merces, non sit majus summo ; nec cum revenduntur, non sit minus infimo, quia tunc justum pretium tam in venditore, quam in revenditore servatur. At Molina tom. 2. d. 310. requirit ulterius, quod merces non vendantur ex intentione, infimo pretio reemendi. Porro Salas tract. De empt. Et vend. Dub. 37. n. 4. id non obstare asseruit ; quia ubi nihil ultra sortem in pactum deducitur, nec speratur in pretium, aut debitum de justitia, pro mutuo, nulla est usura, etiam si auctarium principaliter intendatur. »
Nouët Jacques, 1657, Impostures contenues dans les lettres que les jansénistes ont publiées contre les jésuites, VIIe Imposture, p. 29 sq. « Il faut pardonner à cet écrivain, si le mot de Mohatra lui paraît nouveau, et s’il croit qu’il n’y a jamais eu qu’Escobar qui s’en soit servi. Lett. 8, p. 3. Impression de Cologne p. 120. Son excuse est son ignorance : il n’y a pas longtemps qu’il faisait des romans, à ce que l’on m’a dit, faut-il s’étonner s’il n’a pas eu le loisir de lire les livres qui perlent des contrats et des usures ? Mais il n’est pas excusable de corrompre ce qu’il sait, et de reprendre ce qu’il ignore. Il blâme le P. Escobar d’avoir donné des expédients de rendre ce contrat permis. Lett. 8, p. 4, impression de Cologne p. 1021 et en cela il est fort ignorant, ou extrêmement présomptueux. Ignorant s’il ne sait pas qu’en reprenant cet auteur, il se déclare à même temps contre Navarre, l’un des plus estimés casuistes de ce temps, contre Sylvestre Maître du sacré Plais, contre Pierre de Navarre excellent théologien, contre Bonacina, dont le nom est illustre dans l’École, et contre plusieurs autres qu’il est inutile de rapporter. Présomptueux, si le sachant il a la témérité de les reprendre, et de les soumettre à sa censure » : p. 30. Après avoir cité les termes de Bonacina dans son traité sur les contrats, le P. Nouët poursuit : « Après tout je souffrirais la présomption de cet esprit vain et ignorant, s’il rapportait fidèlement la doctrine des auteurs, qui lui semblent dignes de blâme : mais sans mentir ses impostures et ses faussetés me semblent insupportables ».
GEF V, p. 124 sq. La traduction est correcte, mais l’ordre des conditions est inversé. La falsification alléguée par Nouët est un pur à-côté du texte ; c’est une formule qui suit le texte de Pascal dans Escobar : « At Molina tom. 2. d. 310. requirit ulterius, quod merces non vendantur ex intentione, infimo pretio reemendi. Porro Salas tract. de empt. et vend. dub. 37. n. 4 id non obstare asseruit ». Le texte d’Escobar se poursuit par une explication de cette opinion que Nouët n’indique pas : GEF V, p. 125.
Provinciales, éd. Cognet, p. 139. Sur l’origine du terme Mohatra ou Moatra. Le terme semble apparaître chez les casuistes dans la deuxième moitié du XVIe siècle ; Wendrock note qu’on parle aussi du contrat Barata. Le contrat Mohatra a été condamné par Innocent XI, voir Denzinger, 1190.
Wendrock, Provinciales, tr. Joncoux, I, p. 430 sq. ; Litterae Provinciales, p. 199 ; voir p. 180 : contractum quemdam Mohatra vel Barata dictum...
Dictionnaire de théologie catholique, article Usure, col. 2358, Mohatra. Au XIVe siècle apparaît en Italie la pratique de la vente à terme avec revente immédiate pour un prix moindre : la différence constitue l’usure. C’est le contractus mohatrae, d’origine arabe, que l’on appelle aussi serocco, barocco, retrangolo, ciavanza, rompicollo. Voir E. Bussi, “Contractus Mohatrae”, Rivista dei storia del diritto italiano, t. V, 1932, p. 492-519. Il donne lieu à critique, mais la condamnation pontificale est tardive.
Pirot Georges, Apologie pour les casuistes, p. 207 sq. « C’est ce contrat dont parle le 202e article de l’ordonnance de Blois, quand elle défend de vendre des marchandises à perte de finances, et dont la nature se connaît mieux par les cas particuliers que par les spéculations générales ». Explication du contrat sur un exemple particulier : « un marchand par exemple vend du drap vingt-cinq francs l’aune à crédit et terme d’un an. Le même qui achète prie le marchand de reprendre sa marchandise à vingt francs l’aune argent comptant, en sorte toutefois que la première vente et le premier contrat subsiste, par lequel celui qui a acheté cette étoffe est obligé de payer le prix convenu, le terme d’un an étant expiré. » Les théologiens « demandent si ce contrat est usuraire, ou injuste. Et quelques-uns répondent que si la bonne foi s’y rencontre, et que le marchand qui a vendu au plus haut prix sa marchandise en la rachète qu’au plus bas, qui soit dans la justice et dans l’équité, il n’y a point de mal en ce contrat, d’autant que dans la vente de toute marchandise, il y a trois prix, le haut, le médiocre et le bas ; et que dans toute cette étendue de prix, on peut acheter ou vendre une même marchandise, sans injustice. Ces théologiens disent de plus que le marchand donnant son étoffe à crédit, pour le terme d’un an, peut prendre l’intérêt du prix qu’il eût dû recevoir argent comptant, propter lucrum cessans et damnum emergens. Je crois que cette opinion est très probable, si toutes ces circonstances se trouvaient dans ce contrat ; mais parce que souvent il peut servir de couverture à l’usure et d’occasion de débauche aux enfants de famille, qui par cet achat d’étoffes trouveront de l’argent pour fournir à leurs folles dépenses, les Ordonnances ont grande raison de le défendre ; et je crois que le marchand pèche pour l’ordinaire quand il se sert de ce contrat, parce que ceux à qui il baille cet argent l’emploient en de mauvais usages. De toute cette réponse le secrétaire apprendra qu’il y a beaucoup de différence entre donner des inventions pour pallier l’usure, et entre suggérer des moyens de faire de légitimes contrats ; car la palliation se rencontre quand on feint quelque contrat légitime, pour en couvrir l’usure ; mais jamais il n’y a de palliation d’usure quand on fait un vrai contrat de vente » : p. 207-208.
Le reproche d’ignorance de la complexité de la casuistique à propos du contrat Mohatra se retrouve plus tard encore, chez le jésuite Rapin René, Mémoires, II, éd. Aubineau, Paris, Gaume et Duprey, 1865, p. 381. Pascal « n’est pas théologien » : « le nom du contrat Mohatra, dont cet auteur fait un grand article, lui donnait un grand avantage à bouffonner sur ce terme si peu usité, et sur lequel il se récrie mal à propos, parce qu’il n’est pas casuiste ».
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 359 sq. Note III sur la huitième Provinciale, Du contrat Mohatra.
« L’apologiste défend le contrat Mohatra sans aucun détour dans sa septième Imposture : et il accuse Montalte, ou d’ignorance s’il n’a pas su que ce contrat était approuvé par beaucoup de Casuistes, ou de présomption, si le sachant il n’a pas laissé de le condamner.
Je réponds en un mot à ce double reproche, qu’au lieu de blâmer Montalte d’avoir ignoré, ou d’avoir méprisé le sentiment de ces casuistes, on doit plutôt le louer de ne s’être pas même mis en peine de ce que pensaient de semblables auteurs. Car qu’importe ce que pense un Bonacina, un Pierre Navarre, et quelques autres écrivains inconnus comme lui dans l’Église, et célèbres seulement parmi les casuistes ; quand il est visible qu’une chose répugne au bon sens, qu’elle est opposée au sentiment des gens de bien, qu’elle est contraire enfin à toutes les notions de l’équité, je ne dis pas que la grâce a imprimée dans l’âme des chrétiens, mais même que le péché n’a pu effacer de l’esprit des païens. Car je n’en appelle point ici, comme a fait Montalte, au Parlement de Paris qui a toujours puni sévèrement ces sortes d’abus : j’en appelle au jugement des philosophes païens, et non seulement des philosophes, mais de tout homme du monde qui ne sera point prévenu. Je suis assuré que le sens commun seul lui fera d’abord rejeter la vaine subtilité, que les jésuites ont inventée pour rendre le contrat Mohatra permis. Mais il faut les convaincre eux-mêmes de l’injustice de ce contrat.
Il est certain que l’usure est défendue par les lois divines et humaines, c’est-à-dire, qu’il est défendu qu’une personne qui reçoit de l’argent comptant, s’oblige à rendre plus qu’on ne lui a prêté. Car voilà ce que tout le monde entend par l’usure. Donc il n’est pas permis, ni de prêter de l’argent, ni d’en recevoir sous cette condition.
Ainsi pour expliquer la chose par un exemple : je suppose un jeune homme débauché, et sans inquiétude pour l’avenir, qui cherche de l’argent à emprunter. S’il emprunte cent louis d’or, et qu’il fasse une obligation de cent-cinquante, il est évident que celui qui les lui prête, est certainement un usurier. Les casuistes eux-mêmes n’oseraient pas le nier quand ils le voudraient. Mais si ce jeune homme qui veut avoir de l’argent à quelque prix que ce soit, ne trouve personne qui veuille lui en prêter à cette condition, et que pour en avoir il s’avise de l’expédient que propose Escobar : s’il va trouver un marchand, et qu’il achète de lui à crédit un cheval cent-cinquante louis d’or, et qu’il le lui revende cent louis argent comptant, l’apologiste pourra-t-il nier que dans ce cas, aussi bien que dans le premier ce jeune homme n’ait emprunté cet argent à usure ? Ne s’est-il pas obligé de rendre plus qu’il n’a reçu comptant ? N’est-ce pas en cela que consiste l’usure ? Et l’artifice de cette vente imaginaire, peut-il empêcher qu’il n’y en ait dans ce traité.
Vous me direz peut-être qu’il est vrai que ce jeune homme emprunte à usure, mais que le marchand ne prête point à usure en vendant sa marchandise à crédit, et la rachète argent comptant à un prix bien moindre. Comme s’il se pouvait faire que l’un empruntât à usure, sans que l’autre prêtât à usure ? Comme si Dieu ne voyait pas que cet achat n’est qu’un jeu et un artifice pour couvrir l’usure ? Car n’est-il pas évident que le jeune homme n’a point d’autre but que de tirer de l’argent par ce moyen ? Si donc le marchand s’en aperçoit, et qu’il ne vende d’abord ses marchandises que dans le dessein de les racheter, cette intention le rend déjà coupable d’usure. Mais si au contraire il ne s’aperçoit du dessein du jeune homme, que lorsqu’il lui fait la proposition de racheter ses marchandises, et qu’il les rachète, alors il commet l’usure. Car en consentant à ce marché, il fait que ce jeune homme prend son argent à usure.
Mais les casuistes sont admirables, quand ils demandent quel crime il y a à vendre des marchandises, et quel crime il y a à en acheter ? Comme si on devait ainsi traiter métaphysiquement les choses de morale, et non pas les examiner avec toutes leurs circonstances. Je demande de même quel crime il y a à mettre la main dans sa bourse qui appartient à autrui, quel crime il y a à fermer la main, et enfin à s’enfuir ? Séparez toutes ces actions, elles sont innocentes : rassemblez-les, elles sont un vol. De même ce n’est point un crime de vendre des marchandises : ce n’en est point un de les acheter ; mais si vous joignez ces deux choses ensemble, en sorte que le marchand donne cent louis à ce jeune homme, et en reçoive une obligation de cent-cinquante, il est aussi certain qu’il donne son argent à usure, qu’il l’est que le jeune homme l’emprunte à usure.
Cela fait voir combien un des grands hommes de ce siècle (c’est M. le Fevre précepteur de Louis XIII) avait raison d’appeler cette science des jésuites, l’art de chicaner avec Dieu : combien la prudence des Magistrats qui condamnent d’usure tous les contrats Mohatra et Barata, est plus sévère, plus équitable, et plus grave que cette nouvelle dialectique qui tâche en dépit du bon sens de les exempter d’usure. Car on ne peut en approfondir les vaines subtilités, sans demeurer convaincu qu’en effet ces contrats ne diffèrent de l’usure, qu’en ce qu’ils y ajoutent la ruse, la fourberie, et un plus grand mépris de la loi de Dieu, dont on se joue en feignant de craindre de la violer ».
Sur les casuistes et les contrats commerciaux, voir Franklin James, The science of conjecture. Evidence and probability before Pascal, p. 285 sq.
Cariou Pierre, Pascal et la casuistique, p. 128 sq. Remarques sur le contrat Mohatra.
Jouslin Olivier, Rien ne nous plaît que le combat. La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, p. 266 sq. Usage polémique que fait Pascal du contrat Mohatra. On peut lire toute l’étude de la VIIIe Provinciale, notamment ce qui touche le prêt à intérêt, p. 253 sq.
Maynard Abbé, Les Provinciales et leur réfutation, I, note, p. 359 sq., insiste comme ses prédécesseurs sur l’ignorance supposée de Pascal, et présente une défense du contrat Mohatra.
Qui eût dit à vos généraux qu’un temps était si proche qu’ils donneraient ces mœurs à l’Église universelle et appelleraient guerre le refus de ces désordres.
Pascal pense que les premiers généraux des jésuites ne donnaient pas dans la corruption de la Société au XVIIe siècle, et qu’ils auraient réprouvé les excès des casuistes et réagi contre les orientations nouvelles de leur Compagnie.
Voir la fin de la XIIIe Provinciale, éd. Cognet, Garnier, p. 253, où Pascal s’en prend aux variations et aux palinodies des jésuites : « C’est donc cette variété qui vous confond davantage. L’uniformité serait plus supportable : et il n’y a rien de plus contraire aux ordres exprès de saint Ignace et de vos premiers Généraux que ce mélange confus de toutes sortes d’opinions. Je vous en parlerai peut-être quelque jour, mes Pères, et on sera surpris de voir combien vous êtes déchus du premier esprit de votre Institut, et que vos propres Généraux ont prévu que le dérèglement de votre doctrine dans la morale pourrait être funeste non seulement à votre Société, mais encore à l’Église universelle. »
Sur les premiers temps de la Compagnie de Jésus, voir O’Malley John W., Les premiers jésuites, 1540-1565, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
Pascal n’a pas consacré d’ouvrage à cette dégradation de la Compagnie de Jésus, mais on trouve, dans le fragment Laf. 955, Sel. 790, des notes prises par Arnauld dans les Epistolae praepositorum generalium ad patres et fratres Societatis Jesu, Anvers, 1635, tirés des lettres d’Aquaviva et Vitelleschi, passages que Pascal a annotés.
Voir aussi le fragment Laf. 966, Sel. 799. Lettre des établissements violents des jésuites partout.
Aveuglement surnaturel.
Cette morale qui a en tête un Dieu crucifié.
Voilà ceux qui ont fait vœu d’obéir tanquam Christo.
La décadence des Jésuites.
Voir aussi, sur la déchéance de la Compagnie de Jésus par rapport à ses débuts, le fragment Laf. 954, Sel. 789, qui contient des notes prises sur le livre de Clemens Placentinus. Voir Bottereau G., “Notes de lecture de Blaise Pascal sur les jésuites”, Archivium historicum societatis Jesu, XLIII, 1974, p. 147-148. Clemens Placentinus est le pseudonyme sous lequel un ancien jésuite, Giulio Clemente Scotti, avait écrit en 1646 une diatribe contre la Compagnie, De potestate pontificia in societatem Jesu, Paris, B. Macé. Les chiffres renvoient aux pages de cet ouvrage.
Nos généraux craignaient le déchet à cause des occupations extérieures. 208. 152. 150 ; à cause de la cour 209, 203, 216, 218 ; à cause qu’on ne suivait pas les opinions les plus sûres et les plus autorisées, saint Thomas, etc. : 215. 218.
Stipendium contra Constitutiones. 218.
Femmes. 225, 228.
Princes et politique. 227, 168, 177. Politique. 181.
Probabilité, nouveauté. 279, 156. Nouveauté, vérité.
[...]
Les commodités de la vie croissent aux Jésuites. 166.
Le Père Le Moine, 10.000 écus, hors de sa province.
Biens apparents et faux qui les trompent. 192 ad.
Et ce n’est pas une excuse aux supérieurs de n’avoir pas su les…
Voyez combien la prévoyance des hommes est faible. Toutes les choses d’où nos premiers généraux craignaient la perte de notre Société, c’est par là qu’elle s’est accrue, par les Grands, par la contrariété à nos Constitutions, par la multitude des religieux, la diversité et nouveauté d’opinions, etc. 182, 157.
Le premier esprit de la Société éteint. 170, 171 ad 174, 184 ad 187. Non e piu quella.Vittelescus. 183.
Plaintes des généraux. Point de saint Ignace, point de Laynez, quelques‑unes de Borgia et d’Aquaviva, infinies de Mutius, etc.
Tot et tanta mala pacem.
Sagesse, XIV, 22. « Et non suffecerat errasse eos circa Dei scientiam, sed et in magno viventes inscientiae bello, tot et tam magna mala pacem appellant ». Traduction de Port-Royal : « Il n’a pas même suffi aux hommes d’être dans ces erreurs touchant la connaissance de Dieu ; mais vivant dans cette ignorance comme dans une guerre funeste, ils donnent le nom de paix à des maux si grands et en si grand nombre ».
On trouve une référence à la fausse paix en question dans la Sagesse dans la Pensée n° 10K (Laf. 924, Sel. 753) : La plus cruelle guerre que Dieu pût faire aux hommes en cette vie est de les laisser sans cette guerre qu’il est venu apporter. Je suis venu apporter la guerre, dit-il, et pour instrument de cette guerre je suis venu apporter le fer et le feu. Avant lui le monde vivait dans cette fausse paix.
Voir Matthieu, X, 34. « Nolite arbitrari quia venerim mittere pacem in terram ; non veni pacem mittere, sed gladium » ; « Ne croyez pas que je suis venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive ». Et Luc, XII, 49 : « Ignem veni mittere in terram, et quid volo si accendatur » : « Je suis venu jeter un feu sur la terre ; et que veux-je, sinon qu’il s’allume ».
Cette application aux jésuites de la formule tot et tanta mala pacem... du livre de la Sagesse doit être mise en rapport avec le Second écrit des curés de Paris, § 21, in Provinciales, éd. Cognet, p. 426-427. « C’est ainsi que les saints patriarches et les prophètes ont été accusés, comme fut Élie, de troubler le repos d’Israël, et que les apôtres et Jésus-Christ même ont été condamnés comme des auteurs de trouble et de dissension, parce qu’ils déclaraient une guerre salutaire aux passions corrompues et aux funestes égarements des Pharisiens hypocrites et des prêtres superbes de la Synagogue. Et c’est enfin ce que l’Écriture nous représente généralement, lorsque, faisant la description de ces faux docteurs, qui appellent divines les choses qui sont diaboliques, comme les casuistes font aujourd’hui de leur morale, elle dit dans la Sagesse, chap. 14, qu’ils donnent aussi le nom de paix à un renversement si déplorable. L’égarement des hommes, dit le Sage, va jusqu’à cet excès, qu’ils donnent le nom incommunicable de la Divinité à ce qui n’en a pas l’essence, pour flatter les inclinations des hommes, et se rendre complaisants aux volontés des Princes et des Rois ; et ne se contentant pas d’errer ainsi touchant les choses divines, et de vivre dans cette erreur qui est une véritable guerre, ils appellent paix un état si rempli de troubles et de désordres : In magno viventes inscientiae bello tot et tanta mala pacem appellant. »
De troubler le repos d’Israël : voir IIIe livre des Rois, XVIII, 15-18. « Élie lui dit : Vive le Seigneur des armées, en la présence duquel je suis ! je me présenterai aujourd'hui devant Achab. 16. Abdias alla donc trouver Achab, et lui fit ce rapport. Et Achab vint à la rencontre d'Élie; 17. Et, le voyant, il lui dit : C'est donc vous qui troublez Israël ? 18. Élie lui répondit : Ce n'est pas moi qui ai troublé Israël, mais c'est vous-même et la maison de votre père, lorsque vous avez abandonné les commandements du Seigneur, et que vous avez suivi Baal. » Commentaire de Port-Royal : « Achab reproche à Élie d’être la cause des malheurs qui affligeaient et troublaient Israël. Et c’est ainsi qu’on a vu depuis les idolâtres accuser souvent les chrétiens de tous les maux de l’Empire, ne faisant jamais de réflexion sur eux-mêmes, pour attribuer à leurs propres crimes ce qu’ils attribueraient injustement à l’innocence des autres. C’est ce qu’Élie reproche ici généreusement à ce roi impie. On ne le voit point, dit un interprète, se prosterner à ses pieds, ni lui demander pardon comme une personne qui aurait appréhendé les effets de sa fureur. Mais il s’acquitte de son ministère avec force, et se souvenant qu’il est député vers lui de la part de Dieu, et que c’est pour la défense de sa gloire qu’il est obligé d’agir, il parle sans crainte à celui qui outrageait son divin maître. Ce n’est pas moi, lui dit-il, qui ai troublé Israël ; mais c’est vous-même, lorsque vous avez abandonné le Seigneur, comme s’il lui avait dit : Vous nous accusez de cette famine qui réduit à l’extrémité tout votre peuple, à cause que j’ai fermé le ciel par la force de ma prière ; et vous ne considérez pas que je ne l’ai fermé qu’afin de punir votre impiété qui vous a fait abandonner le vrai Dieu pour suivre Baal, et de vous faire connaître que vous vous l’êtes fermé les premiers par tous vos crimes ». L’application est facile.
Sur les pensées de Pascal sur la paix et la guerre en matière religieuse, il faut se reporter aux études de Tetsuya Shiokawa sur la citation Quod bellum firmavit, pax ficta non auferat (Provinciales, fragment de la XIXe lettre, éd. Cognet, Garnier, p. 383), in Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012, p. 177-189.
La conclusion du Second écrit des curés de Paris, in Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 428, montre ce que doit être le véritable esprit de paix : « Nous n’abandonnerons donc jamais la morale chrétienne, nous aimons trop la vérité. Mais, pour leur témoigner aussi combien nous aimons la paix, nous leur en ouvrons la porte tout entière, et leur déclarons que nous les embrasserons de tout notre cœur, aussitôt qu’ils voudront abjurer les pernicieuses maximes de leur morale, que nous avons rapportées dans notre Factum et dans nos Extraits, après les avoir prises et lues nous-mêmes dans leurs auteurs en propres termes, et qu’ils voudront renoncer sincèrement à la pernicieuse Apologie des Casuistes, et à la méchante théologie d’Escobar, de Molina, de Sanchez, de Lessius, de Hurtado, de Bauny, de Lamy, de Mascarenhas, et de tous les livres semblables que Nosseigneurs les évêques appellent la peste des consciences. »