Pensées diverses III – Fragment n° 64 / 85 – Papier original : RO 429-8
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 141 p. 381 / C2 : p. 339 v°
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 263 / 1678 n° 51 p. 256
Éditions savantes : Faugère I, 226, CLX / Havet XXIV.30 / Michaut 713 / Brunschvicg 530 / Tourneur p. 108-1 / Le Guern 605 / Lafuma 712 (série XXV) / Sellier 590
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, Mulhouse, Salvator, 1941, 2 vol. BUSSON Henri, La religion des classiques, (1660-1680), Presses Universitaires de France, Paris, 1948. GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011. LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale (d’après Arnauld), Paris, Vrin, 1951-1952, 2 vol. MESNARD Jean, “Le sacré dans la pensée de Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, p. 454-461. MIEL Jan, Pascal and theology, Baltimore and London, Johns Hopkins Press, 1969. ORCIBAL Jean, La spiritualité de Saint-Cyran avec ses écrits de piété inédits, Vrin, Paris, 1962. PLAINEMAISON Jacques, Blaise Pascal polémiste, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 85-94. SELLIER Philippe, “Joie et mystique chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, 2e édition, Paris, Champion, 2010, p. 627-648. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. WANEGFFELEN Thierry, “Pascal, la frontière et le milieu : à propos du catholicisme moderne. Les Écrits sur la grâce et le concile de Trente”, in D. DESCOTES (dir.), Pascal, auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 13-30. |
✧ Éclaircissements
Une personne me disait un jour qu’il avait une grande joie et confiance en sortant de confession.
Une personne : Havet note que Port-Royal indique qu’il s’agit d’un homme. Il lit « qu’elle avait une grande joie », et explique le féminin elle par accord avec personne. En fait, le texte original suppose bien que Pascal compare deux hommes. La question de savoir si la personne en question est purement fictive ou si Pascal pense à une de ses connaissances paraît indécidable. Il lui arrive de noter ce que lui ont dit des amis proches, comme c’est le cas dans le Fragment connu par le 2e Recueil Guerrier (Laf. 983, Sel. 804) : M. de Roannez disait : « Les raisons me viennent après, mais d’abord la chose m’agrée ou me choque, sans en savoir la raison, et cependant cela me choque par cette raison que je ne découvre qu’ensuite. » Mais je crois, non pas que cela choquait par ces raisons qu’on trouve après, mais qu’on ne trouve ces raisons que parce que cela choque. Mais dans le cas présent l’opposition est trop nette entre les deux confidents pour ne pas s’interroger sur leur réalité. En tout état de cause, à supposer que la personne soit un ami de Pascal, il serait bien difficile de proposer une identification. Aucun éditeur ne semble du reste s’y être risqué.
Confiance : assurance, bonne opinion qu’on a de soi-même ou des autres, ou de quelque chose sur laquelle on se fie, et on s’assure (Furetière).
Un excès de confiance au sortir de la confession peut être la marque d’une présomption qui fait méconnaître au pénitent que, quoique l’absolution ait effacé ses péchés passés, il demeure toujours exposé par la corruption de la nature à en commettre de nouveaux. La joie d’être réconcilié avec Dieu, suscitée par la confession, ne doit pas faire oublier que la grâce de Dieu peut être perdue d’un moment à l’autre, et cela la plupart du temps sans même que l’on puisse le savoir. Pascal insiste à plusieurs reprises sur le fait que nul ne sait avec certitude s’il est en état de grâce : un excès de confiance en soi est de ce point de vue un mauvais signe.
♦ Confession, attrition et contrition
Sur la confession, voir la Provinciale X.
Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, art. Pénitence, p. 511 sq. Pénitence désigne la conversion du pécheur, soit tout un ensemble d’actes intérieurs et extérieurs de réparation du péché commis et de l’état qui en résulte pour le pécheur. La confession, qui est le sacrement de pénitence, apporte au pécheur la grâce dont il a besoin et opère son retour en grâce. Sur la nécessité de la contrition dans la pénitence : p. 513.
Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, p. 396 sq. et p. 425 sq. La pénitence est un sacrement dans lequel le prêtre remet, au nom de Dieu, les péchés au pécheur qui a une vraie contrition et qui a fait une confession sincère. La condition du pardon est la pénitence, dans le sens de la conversion spirituelle complète et du renouvellement des dispositions du fidèle : p. 397.
Comme l’indique l’art. Confession de Bluche François, Dictionnaire du grand siècle, p. 385 sq., le siècle a été le lieu d’un profond débat sur la confession : à partir du moment où la pratique de la confession se renforce, et où le sacrement devient plus fréquent, le rôle du prêtre se renforce aussi, et peut atteindre la direction de conscience. Pascal a abordé dans la Provinciale X la question de l’attitude que le confesseur doit adopter : faut-il avoir l’esprit large, au risque de tomber dans les excès des casuistes probabilistes et des jésuites, ou au contraire se montrer exigeant ?
Le présent fragment touche les dispositions que le fidèle doit avoir dans le sacrement de pénitence. Pascal distingue deux dispositions opposées : le soulagement consécutif à l’absolution, et la crainte qui peut continuer à affecter le fidèle scrupuleux.
Pour comprendre son raisonnement, il est nécessaire d’en examiner brièvement le contexte.
Plainemaison Jacques, Blaise Pascal polémiste, p. 85. On distingue classiquement deux formes du regret des péchés, l’attrition et la contrition.
Saint Thomas, Somme théologique, Suppl. q. 1, a 2 ad 2, distingue nettement ces deux formes de repentir : 1. « significat attritio in spiritualibus quamdam displicentiam de peccatis commissis, sed non perfectam ; 2. contritio autem perfectam ».
Voir Bouyer Louis, Dictionnaire, p. 87. Attrition : contrition imparfaite, regret du péché dans lequel le regret d’avoir offensé Dieu n’est pas prédominant.
Miel Jan, Pascal and Theology, p. 127 sq. Attrition et contrition, cette distinction remonte aux premiers scolastiques, quoique la différence ne soit pas très nette, l’attrition étant conçue comme une contrition moins parfaite, fondée sur la seule peur du châtiment : p. 127-128. Certains théologiens pensaient qu’elle suffit pour préparer au sacrement de pénitence ; d’autres récusaient le suffit, et préféraient dire dispose.
L’attrition est un regret des péchés fondé principalement sur la crainte des châtiments infernaux. C’est un regret des fautes qui demeure imparfait, dans la mesure où il est inspiré par l’intérêt propre, mais le concile de Trente a défini que cette attrition est bien un don de Dieu, et qu’il a ceci de bon qu’il dispose à l’absolution.
Miel Jan, Pascal and Theology, p. 129 sq. La question est alors de savoir si l’attrition conduit à une véritable pénitence.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 322 sq. Les « disciples de saint Augustin » ont longuement réfléchi sur le rôle de la charité dans la démarche du chrétien qui vient confesser ses fautes à un prêtre. Dans la ligne de saint Augustin, qui distinguait la crainte servile de l’enfer (timor servilis) et la crainte de déplaire à Dieu par amour de Dieu (timor castus), ils distinguent, avec le concile de Trente, l’attrition, comme repentir des fautes inspiré par la crainte du châtiment, insuffisant pour le salut, mais qui constitue un don de Dieu dans la mesure où elle empêche l’homme de commettre le mal, et la contrition dans laquelle l’amour de Dieu est dominant par rapport aux mouvement d’inquiétude servile. C’est la position d’Arnauld comme celle de Pascal : p. 324. Dans les Provinciales, Pascal souligne qu’au contraire, parmi les jésuites, on considère que l’attrition seule suffit (Provinciale X).
On oppose à l’attrition la contrition dite parfaite, qui est un regret des fautes inspiré par l’amour de Dieu, et non par l’intérêt propre.
Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, p. 415 sq. La contrition, selon le concile de Trente, Session 14, c. 4, De contritione, in Conciliorum œcumenicorum decreta, éd. G. Alberigo et alii, Bologne, Ediziono Dehoniane, éd. de 1996, p. 705, est « une douleur de l’âme et une détestation au sujet du péché commis, avec la résolution de ne plus pécher à l’avenir ». Elle enferme donc trois éléments : douleur, détestation, et bon propos : p. 415. La contrition proprement dite déteste le péché comme une offense faite à Dieu qu’on aime pour lui-même et par dessus tout ; l’attrition, ou contrition imparfaite, déteste le péché comme un mal pour nous : p. 420. Les Pères tenaient à une vraie contrition, sous plusieurs noms, dont paenitentia, satisfactio, metanoia, sans terminologie fixe pour la désigner ; on l’opposait seulement à la contrition apparente ; mais la crainte, timor, jouait toujours un grand rôle : p. 416. Saint Augustin insiste sur la pénitence au moyen des bonnes œuvres, mais elles ne servent à rien sans des sentiments sincères de pénitence : p. 416-417. On distingue la contrition d’amour et la contrition de crainte : p. 417. L’une peut mener à l’autre, selon saint Grégoire le Grand : l’âme pleure d’abord pour ne pas arriver à la peine, puis parce qu’elle est éloignée du royaume des cieux ; et par là elle arrive au repentir d’amour. Doctrine de la scolastique classique : p. 417. On suit en général la règle d’exigence de la contrition parfaite, ce n’est qu’à la fin du Moyen-Age qu’apparaît la doctrine de la suffisance de la contrition imparfaite, en contradiction consciente avec les exigences scolastiques du passé : p. 417. La thèse selon laquelle pour la réception digne du sacrement de pénitence, la contrition parfaite n’est pas exigée, mais la contrition imparfaite suffit quand elle enferme un certain degré ou un commencement de l’amour de bienveillance ou désintéressé, ou tout au moins de l’amour de concupiscence, est une thèse non formelle, contraire à l’opinion des anciens scolastiques, mais professée par des théologiens postridentins : p. 422. En tout cas, la conception patristique et scolastique primitive d’après laquelle la contrition parfaite est nécessaire pour la rémission fait à l’époque de Pascal l’objet de contestations.
Les propriétés de la contrition sont les suivantes : elle doit être intérieure, surnaturelle, universelle (elle doit comprendre tous les péchés) et souveraine (en ce sens qu’elle prend le péché pour le souverain mal parce que Dieu est le souverain bien). La contrition parfaite, unie au désir du sacrement, justifie le pécheur coupable d’un péché mortel, avant la réception du sacrement (sent. fidei proxima) : voir Bartmann, op. cit., p. 421.
Les idées des jansénistes sur la confession et la pénitence sont très favorables à la nécessité de la contrition parfaite :
Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, p. 113 sq. Saint-Cyran hésite sur la nécessité de la contrition : p. 114. Il préfère l’expression fruits de la pénitence et n’emploie contrition que pour se défendre : p. 116-119.
Arnauld a soutenu que l’attrition à elle seule est insuffisante.
Arnauld Antoine, De la fréquente communion, Partie II, ch. XIV, éd. 1696, p. 493 sq. Véritable notion de la pénitence.
Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale, II, p. 43 sq. Insuffisance de l’attrition. Sens du mot contrition : voir Concile de Trente, Sess. XIV, can. 4, De sacramento paenitentiae : « si quis negaverit ad integram et perfectam peccatorum remissionem requiri tres actus in paenitente quasi materiam sacramenti paenitentiae, videlicet contritionem, confessionem et satisfactionem, quas tres paentientiae partes dicuntur [...] anathema sit ». Selon le concile, la contrition est « animi dolor ac detestatio de peccato commisso cum proposito non peccandi de caetero » (Sess. XIV, cap. 4) ; il distingue contrition parfaite et attrition (contrition imparfaite) ; celle-ci n’est pas mauvaise, mais c’est une “préparation”, une “disposition” pour recevoir le sacrement de pénitence : p. 44. La question est de savoir si la simple attrition, fondée sur la crainte de l’enfer, est suffisante pour la réception du sacrement de pénitence ; les jésuites pensent que la simple attrition naturelle suffit ; voir Escobar, tr. 4, ex. 4, n. 91.
Arnauld Antoine, Apologie de M. Jansénius, 1644, p. 50 sq., Œuvres, XVI, p. 96-97, prend des positions très contritionnistes. Il analyse ainsi le concile :
1. le concile ne dit pas que l’attrition suffit avec le sacrement, mais seulement qu’elle dispose à impétrer la grâce dans le sacrement ;
2. il ne dit pas qu’elle dispose suffisamment, mais qu’elle sert de disposition, sans dire si elle est prochaine ou éloignée ;
3. il dit que l’attrition ne peut par elle-même, sans le sacrement de pénitence, amener le pécheur à la justification.
La crainte des peines n’est pas un sentiment mauvais, elle peut être une utile préparation à la justice : p. 49. Reste à savoir si l’attrition suffit ou si elle doit s’accompagner d’un commencement de charité au moins : p. 49 sq. Preuve de l’insuffisance par comparaison avec le baptême, qui exige l’amour de Dieu comme source de toute justice : p. 50-51. Les jésuites veulent réduire l’attrition à la crainte servile : p. 56. Ils la conçoivent comme exclusive de tout amour de Dieu ; ils sont obligés d’admettre que l’homme est obligé d’aimer Dieu, mais ils distinguent l’homme considéré avec les secours des sacrements, qui le dispensent de la haute perfection de charité ; sans les sacrements il serait tenu à la perfection de la charité ; avec eux une disposition moins parfaite suffit. « C’est en cela, disent-ils que consiste la douceur et l’avantage de la Loi nouvelle, au-dessus de l’ancienne, que, dans l’ancienne, on ne pouvait être justifié qu’en aimant Dieu de tout son cœur, au lieu qu’on le peut maintenant, dans la nouvelle, par le moyen des sacrements », ibid. p. 59-60, cité de la Première apologie, Œuvres, XVI, p. 100. « De sorte que par ce raisonnement merveilleux, c’est le privilège de la loi d’amour d’être moins obligé d’aimer que l’on était dans le loi de crainte », ibid., p. 100. La contrition, pour être la vraie matière du sacrement de pénitence, ne peut être sans amour : p. 71 sq. Examen de l’opinion qui admet la nécessité d’un commencement d’amour, quoiqu’il ne soit pas dominant ; en fait, il ne peut y avoir de disposition suffisante à la rémission des péchés sans un amour de Dieu dominant, l’amour de Dieu par dessus tout : p. 73. Nécessité de l’amour dominant selon saint Thomas ; voir Arnauld Antoine, Dissertation théologique, Œuvres, XXVI, p. 224 et 229.
Plainemaison Jacques, Blaise Pascal polémiste, p. 86. Arnauld a pris position sur l’insuffisance de l’attrition : dans La théologie morale des jésuites, Œuvres, XXIX, p. 84, on lit que « la crainte purement servile, comme est celle qui n’enferme aucun amour de Dieu, et qui ne regarde que la seule peine, appartient à la vieille Loi, et à l’état des esclaves, ne peut être une disposition suffisante pour recevoir les sacrements de la loi de grâce et d’amour ». La crainte du châtiment peut être un moyen dont Dieu se sert pour amener progressivement l’homme à lui, mais ne peut par elle-même apporter la justification.
Arnauld Antoine, La tradition de l’Église sur le sujet de la pénitence et de la communion, représentée dans les plus excellents ouvrages des SS. Pères grecs et latins, et des auteurs célèbres de ces derniers siècles, traduits en français par M. Antoine Arnauld, prêtre, docteur en théologie de la maison de Sorbonne, Paris, A. Vitré, 1644. Ouvrage écrit contre le P. Petau, et dédié à Anne d’Autriche, pour la défense de La fréquente communion. Voir notamment la Préface, IIe partie de cette préface, ou discours touchant les dispositions que les Pères demandent pour communier dignement, p. 148 sq.
Busson Henri, La religion des classiques, p. 23 sq. Arnauld, dans La Fréquente communion, regrette l’absolution immédiate après la confession, l’absence d’épreuve du repentir du fidèle et de réparation du péché. Henri Du Hamel, curé de Saint-Merri, essaie de faire revivre la pénitence publique en échelonnant les pécheurs en quatre classes (des péchés secrets aux scandales publics) du vestibule de l’église au cimetière : p. 24. Les jansénistes reprochent aux jésuites de ruiner l’autorité du confesseur en l’obligeant à donner l’absolution au pénitent qui se croit suffisamment disposé pour la recevoir. De juge, le confesseur devient simple huissier ; l’absolution n’est plus un jugement, mais une simple déclaration ; voir N. Perrault, La morale des jésuites, II, p. 85 sq.
Cette doctrine est publiquement prêchée par les prédicateurs de Port-Royal. Voir Gay Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), p. 194 sq. Voir p. 447, sur le prêche du P. Desmares au carême de 1669, contre l’attrition suffisante dans l’administration du sacrement de pénitence. Le renouvellement du cœur doit précéder la confession de même que la vie fut rendue à Lazare avant qu’il sortît du tombeau. Il n’a pas blâmé la fréquente communion, mais l’abus de ceux qui à leur damnation communient avant que d’être convertis, et qui au lieu d’apaiser Dieu par la pénitence intérieure ou le changement de leur cœur, irritent la justice par les attentats de leur communion.
Mesnard Jean, “Le sacré dans la pensée de Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, p. 454-461. Position de Pascal sur le problème des sacrements : p. 457. Le sacrement de pénitence dans la dixième Provinciale : p. 457. Problème : si la contrition intérieure suffit, à quoi sert le rite de l’absolution ?, p. 458. Voir Laf. 713, Sel. 591. Ce n’est pas l’absolution seule qui remet les péchés au sacrement de pénitence mais la contrition qui n’est point véritable si elle ne recherche le sacrement. Ainsi ce n’est pas la bénédiction nuptiale qui empêche le péché dans la génération, mais le désir d’engendrer des enfants à Dieu qui n’est point véritable que dans le mariage. Et comme un contrit sans sacrement est plus disposé à l’absolution qu’un impénitent avec le sacrement, ainsi les filles de Loth, par exemple, qui n’avaient que le désir des enfants, étaient plus pures sans mariage que les mariés sans désir d’enfant.
L’absolution ne remet pas les péchés, c’est la contrition qui le fait ; mais la contrition n’est pas véritable si elle ne passe pas par le sacrement.
Voir Morale chrétienne 14 (Laf. 364, Sel. 396) : C’est être superstitieux de mettre son espérance dans les formalités, mais c’est être superbe de ne vouloir s’y soumettre.
Si l’on revient au cas du pénitent joyeux dont il a été question plus haut, il faut craindre que l’excès de confiance dont il témoigne ne soit la marque d’une contrition imparfaite. Si elle était parfaite, comme Pascal le souligne plus bas, cette joie d’être délivré des péchés passés s’accompagnerait non pas de confiance, mais de crainte de retomber bientôt dans le péché.
L’autre me disait qu’il restait en crainte.
Réaction caractéristique d’une conscience scrupuleuse.
Mesnard Jean, “Pascal et le problème moral”, La culture du XVIIe siècle, p. 355-362. La véritable assurance ne se trouve que dans une recherche incessante et non dans une sécurité pharisienne. Le scrupule est le moteur de la recherche ; l’étouffer, c’est glisser vers le légalisme, laisser libre cours à la concupiscence.
Mais inversement, un excès de scrupule va directement contre le sacrement de pénitence, puisque celui-ci a pour fin de pardonner les péchés. La crainte en question marque du reste un doute secret à l’égard de l’efficacité du sacrement de confession et de l’absolution qu’il accomplit.
La nécessité de rejeter une crainte qui peut conduire au désespoir est expressément soulignée dans la pensée n° 8H-19T (Laf. 919, Sel. 751) : Si tu connaissais tes péchés tu perdrais cœur. Je le perdrai donc, Seigneur, car je crois leur malice sur votre assurance. Non car moi par qui tu l’apprends t’en peux guérir et ce que je te le dis est un signe que je te veux guérir. À mesure que tu les expieras tu les connaîtras et il te sera dit : Vois les péchés qui te sont remis. Fais donc pénitence pour tes péchés cachés et pour la malice occulte de ceux que tu connais.
Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La morale, II, p. 54 sq. Place de la crainte dans la vie chrétienne : Dieu, pour guérir la corruption, utilise nos faiblesses mêmes ; mais il les transfigure et les élève : utilisant la crainte du châtiment, il en modifie l’objet et le caractère. La crainte de l’enfer n’a qu’une valeur relative, p. 55 ; elle est bonne matériellement, ou secundum officium ; pour que cette crainte ait une valeur absolue, il faut la rapporter à Dieu et en faire un moyen en vue de la vraie charité : p. 55. La crainte servile « craint le mal de la peine que Dieu peut nous faire souffrir » ; la crainte chaste « ne craint que la séparation de Dieu » ; entre les deux se trouve la crainte initiale, qui « craint la peine, mais qui craint aussi le péché et la séparation de Dieu » ; saint Thomas, cité in Arnauld, Réflexions sur un décret de l’Inquisition, Œuvres, XVII, p. 751. La crainte chaste s’appelle aussi filiale. La crainte est utile comme germe de la charité : p. 55.
Bourzeis Amable, Lettre d’un abbé à un abbé sur la conformité de s. Augustin avec le concile de Trente touchant la possibilité des commandements, 1649, p. 43. La crainte qui mène à Dieu diffère de la crainte servile qui n’y mène pas. Aimer Dieu par crainte fait demeurer dans l’esclavage. Mais la crainte est aussi la voie de l’amour.
Je pensai sur cela que de ces deux on en ferait un bon et que chacun manquait en ce qu’il n’avait pas le sentiment de l’autre.
Sentiment : le mot « se dit figurément en choses spirituelles, des diverses vues dont l’âme considère les choses, qui lui en font concevoir de différentes idées ou opinions » (Furetière). Le mot n’a pas ici le sens actuel.
La joie consécutive au pardon des péchés est justifiée dans la mesure où en effet l’absolution et le repentir effacent les péchés passés du fidèle. La crainte elle aussi est nécessaire, dans la mesure où le fidèle, même absous, doit conserver dans l’esprit que la corruption de la nature l’expose toujours à commettre d’autres péchés dans l’avenir. Ces deux points sont naturellement liés l’un à l’autre.
Sellier Philippe, “Joie et mystique chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, 2e édition, 2010, p. 627-648. Voir p. 637 sur la pénitence. La joie d’avoir trouvé Dieu et la radicalité de la pénitence apparaissent chez Pascal comme deux faces d’une même expérience théologale : p. 637.
OC III, éd. J. Mesnard, p. 611. Il y a une obligation pour tous les hommes de croire qu’ils sont du petit nombre d’élus pour le salut desquels Jésus-Christ est mort, et d’avoir la même pensée pour chacun des hommes qui vivent sur la terre. Mais cette obligation n’exclut pas la crainte de perdre la grâce, ce qui est possible à tout instant.
Cela arrive de même souvent en d’autres choses.
C’est le cas, en particulier dans les Pensées et l’Entretien avec M. de Sacy, des sceptiques et des dogmatiques, des partisans de la grandeur de l’homme et des partisans de sa misère : la persuasion de la misère conduit au désespoir (Excellence 3 - Laf. 192, Sel. 225) ; celle de la grandeur inspire l’orgueil : toutes deux sont donc néfastes. En revanche, il manque aux seconds la conscience du vide de la grandeur, et aux premiers l’idée de la dignité que le péché a fait perdre à l’homme. En revanche, un philosophe qui saurait conjuguer ces deux idées serait proche de comprendre la révélation chrétienne.
Dans les Écrits sur la grâce, le Traité de la prédestination (2, OC III, éd. J. Mesnard, p. 781 sq., et 3, OC III, p. 792 sq.) développe un argument assez voisin, sur l’opposition des calvinistes et des restes des pélagiens. Les molinistes conçoivent la nature de l’homme comme si elle n’avait jamais été vraiment corrompue, les calvinistes comme si elle avait toujours été corrompue. Seule la doctrine de saint Augustin conjugue les deux aspects de cette nature en distinguant deux temps, avant et après le péché d’Adam. La symétrie est en revanche rompue dans cet exemple, du fait que, contrairement aux molinistes qui sont demeurés dans l’Église, les calvinistes se sont rendus coupables du schisme, de sorte que Pascal est contraint de déclarer expressément : « Calvin n’a aucune conformité avec saint Augustin, et en diffère en toutes choses depuis le commencement jusqu’à la fin », OC III, p. 797.
Voir sur ce point Wanegffelen Thierry, “Pascal, la frontière et le milieu : à propos du catholicisme moderne. Les Écrits sur la grâce et le concile de Trente”, in D. Descotes (dir.), Pascal, auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 13-30, notamment p. 26-28.