Pensées diverses III – Fragment n° 72 / 85 – Papier original : RO 435-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 144 p. 381 v° / C2 : p. 341 v°

Éditions savantes : Faugère I, 269, XII et XIII / Havet XXV.77 ; Prov. n° 435 p. 288 / Brunschvicg 912 et 917 / Tourneur p. 109-2 / Le Guern 613 / Lafuma 720 et 721 (série XXV) / Sellier 598

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Bibliographie

 

 

DESCOTES Dominique, “Pascal et le langage”, in PEZZINO Giuseppe (dir.), L’incerto potere della ragione, Catania, C. U. E. C. M., 2005, p. 33-57.

HAMMOND Nicholas, Playing with truth. Language and the human condition in Pascal’s Pensées, Oxford, Clarendon Press, 1994.

LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale (d’après Arnauld), Paris, Vrin, 1951-1952, 2 vol.

MARIN Louis, La critique du discours. Sur la Logique de Port-Royal et les Pensées de Pascal, Paris, Éd. de Minuit, 1975.

MARIN Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

MESNARD Jean, “Universalité de Pascal”, in Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 335-356.

MIEL Jan, Pascal and theology, Baltimore and London, The John Hopkins Press, 1969.

MOROT-SIR Edouard, La métaphysique de Pascal, Presses Universitaires de France, 1973.

NICOLE Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, édition critique par Laurent Thirouin, Paris, Champion, 1998.

PARIENTE Jean-Claude, L’analyse du langage à Port-Royal, Six études logico-grammaticales, Paris, éd. de Minuit, 1985.

REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, Paris, Champion, 2007.

TAVARD Georges, La tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Paris, Cerf, 1969.

THIROUIN Laurent, L’aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique, Paris, Champion, 1997.

THIROUIN Laurent, Le Hasard et les Règles. Le modèle du jeu dans la pensée de Pascal, Vrin, Paris, 1991.

On trouve une ample bibliographie relative aux problèmes généraux du langage selon Port-Royal dans REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, Paris, Champion, 2007, p. 767-820. Voir principalement sur Pascal, p. 799-805.

 

 

Éclaircissements

 

Universel.

 

Sur la manière dont Pascal conçoit et recherche l’universalité, voir Mesnard Jean, “Universalité de Pascal”, in Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 335-356.

 

Morale / et langage / sont des sciences particulières mais universelles.

 

Les deux traits obliques qui séparent morale et langage ne signalent pas une addition. La continuité du trait entre les mots morale et et montre que ces deux signes / sont postérieurs à l’écriture du texte lui-même. Ils signalent une volonté de disjoindre les termes morale et langage. Les éditeurs sont restés indécis sur cette graphie : voir l’étude de la transcription savante. Brunschvicg et Lafuma (1951) suppriment cette indication en ôtant tout signe de ponctuation. Les copies remplacent les traits par des parenthèses. L’édition Sellier maintient la ponctuation originelle. Rien n’interdit de conserver celle-ci. La différence qui existe entre la science du langage, qui est théorique et expérimentale, et la morale, qui est essentiellement pratique, explique sans doute la manière dont les deux termes sont disjoints sur le manuscrit.

GEF XIII, p. 337, interprète cette maxime comme suit : « la morale traite de cas particuliers, comme la science du langage étudie des phrases particulières, mais d’après des règles universelles ».

Dans un sens un peu différent, la théorie du langage, comme celle de la morale, ont en commun d’être des sciences particulières en ce sens qu’elles ont chacune un objet particulier, mais qu’elles interviennent dans tous les domaines de la pensée. Chez Pascal, tous les aspects de son œuvre et de son activité font intervenir la théorie du langage, si bien que les auteurs de la Logique voyaient en lui un maître de véritable rhétorique.

Sur la pensée de Port-Royal sur le langage, voir Pariente Jean-Claude, L’analyse du langage à Port-Royal, Six études logico-grammaticales, 1985, particulièrement le chapitre 4, Art de parler et art de penser à Port-Royal, p. 105-118.

Descotes Dominique, “Pascal et le langage”, in Pezzino Giuseppe (dir.), L’incerto potere della ragione, p. 33-57. Dans la plupart des domaines qu’il a explorés, Pascal fait entrer une réflexion sur le langage. C’est le cas dans les sciences mathématiques, avec les Lettres de A. Dettonville, notamment la Lettre à Carcavy et le Traité des trilignes, dans lesquels Pascal expose la rhétorique des indivisibles, comme manière de parler qui se substitue à la méthode géométrique des anciens. C’est aussi le cas des écrits de physique, notamment dans les deux lettres au P. Noël et à Le Pailleur sur la manière dont doit être exprimée la physique. Les considérations sur la manière dont la doctrine de la grâce comporte des contrariétés apparentes, qui doivent être conciliées en distinguant les différentes manières de parler, selon qu’il est question de la volonté principale et de la volonté suivante, relèvent de la même préoccupation de régler le langage du la théologie. Les liasses des Pensées relatives aux Figuratifs développent une théorie des langages prophétiques qui, à travers des expressions que l’on prend généralement en un sens littéral et « charnel » doivent être entendues dans un sens figuré et « spirituel ». Dans une perspective plus théorique, l’opuscule De l’esprit géométrique traite dans sa première partie de l’art de la définition, et dans la seconde de l’art de parler de manière à la fois solide et agréable. La réflexion sur les problèmes que pose le langage ordinaire apparaît aussi dans le fragment Grandeur 5 (Laf. 109, Sel. 141) par exemple, et dans les notes relatives aux façons de parler. La théorie du langage est donc particulière en ce sens que, pour Pascal, le meilleur modèle qu’on puisse en construire est celui de la géométrie, mais elle est universelle dans la mesure où elle trouve un retentissement dans toutes les disciplines dans lesquelles s’exerce l’esprit humain.

Voir l’ample étude de ce sujet dans Reguig-Naya Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, Paris, Champion, 2007.

Marin Louis, La critique du discours. Sur la Logique de Port-Royal et les Pensées de Pascal, 1975.

L’interprétation d’ensemble de la pensée de Pascal proposée par Morot-Sir Edouard, La Métaphysique de Pascal, sur la rhétorique, qui « en tant que forme universelle qui englobe les formes infinies des langages particuliers de la philosophie et des sciences, est la totalité du langage se saisissant comme doctrine », n’a malheureusement pas connu le retentissement qu’elle méritait. Voir notamment les p. 15-43, sur ce qui touche le présent fragment.

La morale est aussi, à sa manière, une discipline à la fois particulière et universelle. Plusieurs Provinciales, de la cinquième à la dixième, montrent qu’elle concerne tous les états de la société et toutes les activités humaines.

On doit du reste noter que morale et langage ont selon Pascal des rapports étroits. La doctrine des opinions probables, telle que Pascal l’expose dans les Provinciales, repose à la fois sur une corruption des règles de la morale chrétienne (par exemple par la direction d’intention, mais plus encore par la manière dont les casuistes « font succéder au précepte de l’Écriture, qui nous oblige de rapporter toutes nos actions à Dieu, une permission brutale de les rapporter toutes à nous-mêmes », Factum pour les curés de Paris, in Les Provinciales, éd. L. Cognet, Garnier, 1983, p. 405) et sur une corruption des règles du langage (notamment touchant les définitions).

Il faut enfin rappeler que ces deux sciences, morale et langage, ont selon Pascal des conséquences réciproques. Pascal a contribué à la rédaction du fragment Laf. 764, Sel. 630, qui montre en qui, dans la pratique, le langage, au théâtre, suscite des comportements moraux. Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne ; mais entre tous ceux que le monde a inventés, il n’y en a point qui soit plus à craindre que la comédie. C’est une représentation si naturelle et si délicate des passions, qu’elle les émeut et les fait naître dans notre cœur, et surtout celle de l’amour ; principalement lorsqu’on le représente fort chaste et fort honnête. Car plus il paraît innocent aux âmes innocentes, plus elles sont capables d’en être touchées ; sa violence plaît à notre amour-propre, qui forme aussitôt un désir de causer les mêmes effets, que l’on voit si bien représentés ; et l’on se fait au même temps une conscience fondée sur l’honnêteté des sentiments qu’on y voit, qui ôtent la crainte des âmes pures, qui s’imaginent que ce n’est pas blesser la pureté, d’aimer d’un amour qui leur semble si sage. Ainsi l’on s’en va de la comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l’amour, et l’âme et l’esprit si persuadés de son innocence, qu’on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l’occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu’un, pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l’on a vus si bien dépeints dans la comédie.

Nicole explique le processus d’une manière plus précise encore dans son Traité de la comédie, édition critique par Laurent Thirouin, p. 58, lorsqu’il écrit que « les romans et la comédie enseignent à exprimer les passions avec adresse » : « Les comédies et les romans n’excitent pas seulement les passions, mais elles enseignent aussi le langage des passions, c’est-à-dire l’art de les exprimer et de les faire paraître d’une manière agréable et ingénieuse, ce qui n’est pas un petit mal. Plusieurs personnes étouffent de mauvais desseins, parce qu’ils manquent d’adresse pour s’en ouvrir. Et il arrive aussi quelquefois que des personnes sans être touchées de passion, et voulant simplement faire paraître leur esprit, s’y trouvent ensuite insensiblement engagées ». Voir aussi la note 36, sur « l’étrange dépendance des passions à l’égard du langage », « thème récurrent dans la littérature morale d’inspiration augustinienne », qui renvoie à la maxime 136 de La Rochefoucauld, « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour », et au Discours sur les passions de l’amour de Brienne, in Pascal, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 1660 : « À force de parler d’amour, l’on devient amoureux ; il n’y a rien de plus aisé, c’est la passion la plus naturelle de l’homme ». Voir sur ce sujet, outre le Traité de la comédie de Nicole dans l’édition de Laurent Thirouin, p. 131 sq., les autres textes recueillis dans cet ouvrage.

Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique, p. 207-216.

 

Probabilité.

 

Pascal n’emploie jamais le mot de probabilité pour parler de ce qu’il appelle la géométrie du hasard ou la règle des partis. Voir sur ce point Thirouin Laurent, Le Hasard et les Règles. Le modèle du jeu dans la pensée de 1991. Probabilité est réservé aux écrits contre les casuistes, essentiellement les Provinciales et les Écrits des curés de Paris. Sur la probabilité telle que la conçoivent les casuistes et les jésuites, voir la note de Wendrock à la Ve Provinciale, Dissertation théologique sur la probabilité.

 

L’ardeur des saints à chercher le vrai était inutile si le probable est sûr.

La peur des saints qui avaient toujours suivi le plus sûr.

 

Le sûr est ce que l’on peut choisir lorsque, dans l’ignorance plus ou moins complète du vrai, on veut éviter le risque de pécher. De deux voies dont on ne sait laquelle est vraie, il faut choisir celle qui présente le moins de risque pour ce qui touche la foi et la morale. On désigne ordinairement la doctrine qui élève cette règle au rang de principe rigoureux sous le nom de tutiorisme.

Voir Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale (d’après Arnauld), t. I, p. 56 sq. Il ne faut pas confondre le sûr et la certitude : la certitude est d’ordre théorique, la sûreté d’ordre pratique. C’est une maxime de droit canon que dans le doute, on est obligé de choisir le parti le plus sûr. Le principe du tutiorisme remonte au Moyen Âge : in dubiis tutior pars eligenda ; c’est la doctrine qui consiste à n’adopter comme règle de croyance que la doctrine la plus sûre, la plus probable, et la plus exigeante (ce n’est pas nécessaire) ; quand on doute qu’une action soit permise, si l’on sait que l’action contraire est irréprochable, il faut choisir la seconde ; entre le certain et le douteux, c’est péché de choisir le douteux. Cela se retrouvera dans la Dissertation théologique sur la probabilité, donnée en note à la Ve Provinciale : on doit choisir le plus sûr lorsque le danger de pécher ne se trouve que d’un côté. Le problème se pose lorsqu’on est dans le doute des deux parts, et confronté à des vraisemblances seulement : il faut choisir ce qui a le plus de chances d’être vrai. Selon Nicole, s’il y a du danger de pécher de part et d’autre, chacun est obligé de chercher la vérité et de s’en approcher le plus près qu’il lui est possible.

En revanche, si le probable est sûr, si les casuistes peuvent soutenir que le probable est sûr (voir la Ve Provinciale), de sorte que l’on peut suivre comme sûres toutes les opinions probables inventées par les casuistes, la probabilité dispense de la recherche de la vérité, puisqu’elle apporte pour ainsi dire sans peine l’assurance et la tranquillité de conscience que l’on désire.

Car est-on en sûreté de conscience et assuré de ne pas pécher, même en suivant le plus sûr et le plus probable ? Même avec le sentiment de certitude, on peut toujours s’y tromper : voir Wendrock, Lettres Provinciales, tr. Joncoux, I, éd. 1700, p. 156 : le juste craint toujours que Dieu condamne ce qui lui paraît juste ; on aura seulement fait de son mieux, ce qui n’exclut pas toute crainte. La recherche de la sûreté n’est pas toujours l’expression d’une recherche sincère du bien. Comme l’écrit Pascal, la sûreté peut être recherchée dans l’intention plus ou moins claire de se donner une bonne conscience tranquille. Voir le fragment Laf. 516, Sel. 452 : On aime la sûreté, on aime que le pape soit infaillible en la foi, et que les docteurs graves le soient dans les mœurs, afin d’avoir son assurance.

Pascal ne formule pas sa critique de la doctrine des opinions probables sur ce sujet dans un esprit quasi juridique, qui chercherait à déterminer les frontières à partir desquelles le fidèle peut se mettre en repos sans avoir plus rien à chercher.

Il précise sa position dans le fragment Laf. 599, Sel. 496 : Mais est-il probable que la probabilité assure ? Question ironique et sérieuse à la fois : Pascal ne demande pas s’il est certain, ni même s’il est sûr que la doctrine des opinions probables puisse donner l’assurance et tranquilliser la conscience ; il demande si cela peut même être considéré comme probable. Ce n’est évidemment pas le cas dans son esprit. Mais la suite du fragment est plus éclairante : Différence entre repos et sûreté de conscience. Rien ne donne l’assurance que la vérité ; rien ne donne le repos que la recherche sincère de la vérité. Elle distingue deux éléments qui doivent être joints chez le chrétien. La connaissance de la vérité donne l’assurance. Mais on a vu plus haut que cette assurance peut n’être qu’une manière de se donner bonne conscience : selon la pensée n° 12M (Laf. 926, Sel. 755), on se fait une idole de la vérité même, car la vérité hors de la charité n’est pas Dieu, et est son image et une idole qu’il ne faut point aimer ni adorer. En d’autres termes, on peut avoir l’assurance de la vérité, mais s’en tenir à la satisfaction qu’elle donne. Mais le véritable repos spirituel exige que la vérité fasse l’objet d’une recherche, qui consiste, même quand on la connaît, à ne pas cesser de l’approfondir et de la poursuivre, de telle sorte que le repos ne se trouve paradoxalement que dans un mouvement de recherche continuelle. C’est pourquoi les saints qui cherchent le vrai repos doivent non pas seulement chercher le sûr plutôt que le probable, mais au lieu de faire du sûr une fin en soi, de s’en servir comme d’une étape dans la recherche de la vérité.

Laf. 950, Sel. 787. C’est une fausse piété de conserver la paix au préjudice de la vérité. C’est aussi un faux zèle de conserver la vérité en blessant la charité.

C’est aussi pourquoi Pascal s’en prend aux casuistes de corrompre la morale chrétienne en détruisant la norme qui permet de discerner le sûr. Voir le Factum pour les curés de Paris, § 3 : « Ce qu’il y a de plus pernicieux dans ces nouvelles morales, est qu’elles ne vont pas seulement à corrompre les mœurs, mais à corrompre la règle des mœurs ; ce qui est d’une importance tout autrement considérable. Car c’est un mal bien moins dangereux et bien moins général d’introduire des dérèglements, en laissant subsister les lois qui les défendent, que de pervertir les lois et de justifier les dérèglements, parce que, comme la nature de l’homme tend toujours au mal dès sa naissance, et qu’elle n’est ordinairement retenue que par la crainte de la loi, aussitôt que cette barrière est ôtée, la concupiscence se répand sans obstacle ; de sorte qu’il n’y a point de différence entre rendre les vices permis et rendre tous les hommes vicieux. » La justification des dérèglements va directement contre la recherche du sûr.

Miel Jan, Pascal and theology, p. 137 sq. Pascal n’attaque pas la doctrine traditionnelle de la probabilité. Il n’attaque même pas la casuistique en elle-même. Dans le probabilisme, il s’en prend non seulement à une doctrine moralement pernicieuse, mais à une absurdité logique qui serait insupportable dans n’importe quel domaine. Le laxisme est condamné non pas tant au sens de l’indulgence morale, mais comme corruption des règles de la morale : p. 138. Voir sur ce point le Factum pour les curés de Paris : le vice de la casuistique n’est pas l’indulgence envers les pécheurs, c’est qu’elle supprime les péchés, et par là le repentir et le besoin d’un sauveur : p. 138-139. Voir sur le casuiste Bauny, celui qui ôte les péchés du monde : p. 139.

Laf. 679, Sel. 558. Ceux qui aiment l’Église se plaignent de voir corrompre les mœurs, mais au moins les lois subsistent. Mais ceux-ci corrompent les lois. Le modèle est gâté.

Morale chrétienne 13 (Laf. 363, Sel. 395). Ils laissent agir la concupiscence et retiennent le scrupule, au lieu qu’il faudrait faire au contraire.

Dans la Ve Provinciale, éd. Cognet, Garnier, 1983, p. 84. Pascal définit un esprit opposé à la pensée des casuistes : « Je ne me contente pas du probable, lui dis-je, je cherche le sûr ».

On trouve une discussion technique du problème dans la Dissertation théologique sur la probabilité, œuvre d’Antoine Arnauld reprise et traduite dans les notes de Wendrock sur les Provinciales. Voir principalement la Section quatrième, Du second Principe des probabilités ; que de deux opinions contraires, il est permis d’embrasser la moins probable, et la moins sûre, § I. Réfutation de cette doctrine par divers arguments. Voir aussi, dans la Note 1 de la cinquième Provinciale, dans l’édition de Wendrock traduite par Melle de Joncous, le passage suivant : Section IV, § X. Que la doctrine que nous venons d’établir ne trouble point la conscience des gens de bien, comme le disent les casuistes.

« Je suis persuadé qu’après ce que nous avons dit jusqu’ici, la faiblesse, pour ne pas dire l’extravagance des raisons de nos adversaires, n’aura pas moins contribué que la force de nos preuves à convaincre les lecteurs  de la solidité de cette maxime établie par les anciens théologiens, Qu’il faut suivre l’opinion la plus sûre, et la plus probable. Je suis bien aise néanmoins pour détruire une misérable objection, qu’ils répètent sans cesse, d’ajouter encore, que quoiqu’il soit vrai que les gens de bien sont obligés de ne jamais agir sur une opinion, si elle n’est vraie, ou au moins si elle n’est la plus probable, et que quoi qu’il soit vrai pareillement qu’il n’y a point de véritable assurance que dans la vérité, en sorte qu’on ne peut dire qu’une opinion probable, ni même la plus probable est sûre, à moins qu’elle ne soit vraie ; il est faux cependant que cette attention qu’ils doivent avoir à chercher la vérité, soit capable de les jeter dans des scrupules qui les gênent, ou qui troublent la paix de leur conscience.

Car premièrement il est clair que la plus grande partie des opinions que les casuistes jugent probables, paraîtront improbables aux gens de bien, et qu’ainsi ils n’en pourraient faire usage. Un homme de bien par exemple, n’a jamais douté, s’il est permis ou non de tuer un calomniateur, ou celui qui lui veut donner un souffler. Ces opinions le frappent d’abord, et lui font horreur. L’onction du Saint-Esprit qui l’éclaire, lui fait connaître tout d’un coup qu’elles sont fausses et impies. Car le doute même sur ces sortes de choses est criminel.

À l’égard de celles où il trouve de la difficulté et sur lesquelles il doute, il a une règle certaine pour calmer ses inquiétudes. Il doit premièrement avoir recours au moyen que nous marque l’apôtre saint Jacques [Ép. ch. 1.]. Si quelqu’un, dit-il, manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu qui donne à tous libéralement sans reprocher ce qu’il donne. Il s’adressera donc au Père des lumières, il attirera sur lui sa divine lumière, par ses prières ; il consultera des personnes pieuses et éclairées : ensuite après avoir bien examiné toutes choses, si la vérité ne se découvre pas clairement à lui, il suivra ce qui lui paraîtra le plus probable, et le plus sûr. Lorsqu’il se sera conduit de cette manière, et qu’il n’aura rien négligé pour découvrir la vérité, il pourra demeurer en paix, mais néanmoins il ne sera pas tout à fait en assurance. Car il faut que notre vie soit toujours accompagnée de sollicitude et de crainte, afin d’accomplir ce précepte de l’Apôtre : Faites votre salut avec crainte et avec tremblement. »

Puis plus bas : « Saint Grégoire assure que cette disposition est celle de tous les saints : Les justes, dit-il [Mor. l. 5. c. 7.], tremblent même pour leurs bonnes actions, et la crainte qu’ils ont de déplaire à Dieu, par quelques fautes cachées, leur fournit un sujet de gémissements continuels.

Ôter aux saints cette crainte pieuse, c’est leur ôter la plus grande partie de leur humilité, de leur vigilance, et même de leur félicité. Car comme Jésus-Christ a fait consister la béatitude dans les pleurs, et dans la pauvreté ; de même le sage fait consister une partie du bonheur qu’on peut goûter en cette vie, dans ce saint tremblement : heureux l’homme, dit-il, qui est toujours dans la crainte. Cette crainte cependant n’est point telle, qu’elle exclue la paix et la tranquillité : Et ceux qui le prétendent ne savent ce que c’est que cette [Philip. c. 4. v. 7.] paix de Dieu qui surpasse toute pensée, et qui au milieu des frayeurs garde les cœurs et les esprits des saints.

C’est pourquoi afin de renfermer tout ce que j’ai dit en peu de mots. On est en repos, quand on cherche sincèrement à connaître la vérité ; mais on n’est en sûreté, que quand on l’a trouvée. Ainsi celui qui embrasse l’opinion, qu’il juge la moins probable et la moins sûre, c’est-à-dire, qui approche plus de la fausseté, que de la vérité, et du péché, que de la vertu : celui-là, comme dit l’Apôtre, est son juge à lui-même, et il est condamné par le jugement de sa propre conscience : celui qui suit ce qu’il croit plus vrai et plus sûr, est en repos, et sa conscience ne lui reproche rien, quoiqu’il ne soit pas pour cela justifié. Et il n’y a que celui qui a certainement connu la vérité, et qui l’a suivie, qui peut être véritablement en assurance. Mais parce qu’il n’y a personne qui puisse être sûr de l’avoir fait en toutes choses, il n’y a personne qui n’ait toujours sujet de faire à Dieu cette prière du prophète [Ps. 24.] : Seigneur ne vous souvenez point de mes péchés d’ignorance : Et purifiez-moi des fautes qui me sont cachées. »

 

Sainte Thérèse ayant toujours suivi son confesseur.

 

Pascal écrit confesseur et non directeur.

Cette note a peut-être été suggérée à Pascal par l’autobiographie de sainte Thérèse d’Avila, qui contient quelques passages sur les confesseurs ; ses Œuvres ont été traduites par Arnauld d’Andilly, Paris, Pierre Le Petit, 1671, 2 vol. Voir t. I, Vie, I, ch. XIII-XXIV. Mais on n’y trouve pas de passage qui corresponde à l’idée exprimée dans la note de Pascal. Dans le second volume, Le chemin de la perfection, ch. IV, Œuvres, II, éd. Arnauld d’Andilly, p. 518 sq., sainte Thérèse indique plutôt comment une religieuse peut changer de confesseur lorsque le sien ne lui convient réellement pas. Voir aussi ch. V, p. 520 sq. « Combien il importe que les confesseurs soient savants. En quels cas on peut les changer ». Plusieurs passages sont consacrés aux conditions sévères auxquelles doit être soumis le choix d’un directeur.