Pensées diverses IV – Fragment n° 17 / 23 – Papier original : RO 169-6
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 164 p. 395 / C2 : p. 367
Éditions savantes : Faugère II, 83, XI / Brunschvicg 346 / Tourneur p. 119-1 / Le Guern 638 / Lafuma 759 (série XXVI) / Sellier 628
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
BISCHOFF Jean-Louis, Dialectique de la misère et de la grandeur chez Blaise Pascal, Paris, L’Harmattan, 2001. CARRAUD Vincent, Pascal et la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1992. CHEVALIER Jacques, Pascal, Paris, Plon, 1922. CHEVALIER Jacques, Pascal, Paris, Flammarion, 1936. ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970. GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Vrin, Paris, 1986. HIROTA Masajoshi, “De la grandeur pascalienne”, Pascal, Port-Royal, Orient, Occident. Actes du colloque de l’Université de Tokyo, 27-29 septembre 1988, Klincksieck, Paris, 1991, p. 311-318. McKENNA Antony, Pascal et son libertin, Paris, Garnier, 2017. McKENNA Antony, Entre Descartes et Gassendi. La première édition des Pensées, Paris et Oxford, Universitas et Voltaire Foundation, 1993. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993. PAROLINI Rocco, Il Pascal dialettico del XXe secolo : excursus storico, Università degli Studi di Ferrara, 2002. PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal, Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, 2009. SHIOKAWA Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012. |
✧ Éclaircissements
Pensée fait la grandeur de l’homme.
Saint Augustin, De vera religione, XXIX, 53, in La foi chrétienne, Œuvres de Saint Augustin, 8, Paris, Desclée de Brouwer, 1951, p. 98-101. La raison : « c’est elle qui, absente chez les bêtes, fait notre excellence ».
Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal, p. 186.
Shiokawa Tetsuya, “La pensée”, in Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, p. 29-45. Le sens du mot pensée dans le titre Pensées de M. Pascal : p. 30 sq. La pensée comme activité intellectuelle, faible et ridicule : p. 34-35.
La pensée est selon Pascal le caractère essentiel qui distingue l’homme de l’univers physique matériel.
Transition 5 (Laf. 200, Sel. 231). L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien.
C’est aussi la pensée qui fait la noblesse de l’homme à l’égard des animaux.
Grandeur 7 (Laf. 111, Sel. 143). Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête, car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée. Ce serait une pierre ou une brute.
Pascal explique dans la Préface au Traité du vide sa conception de la forme de pensée qui appartient aux animaux. Voir OC II, éd. J. Mesnard, p. 781-782, et le dossier thématique sur l’âme des bêtes.
Noter que Pascal n’écrit pas « pensée est la grandeur de l’homme », mais fait la grandeur.
Il n’écrit pas non plus « penser fait la grandeur de l’homme ». Cette transcription, qui se rencontre parfois, vise à adapter le style elliptique de la « pensée » à la forme normale de la maxime. C’est en général sous cette forme qu’elle s’est répandue dans le discours ordinaire. L’erreur de transcription est intéressante, dans la mesure où elle fait apparaître une singularité stylistique de la pensée telle que Pascal la note, par rapport à la manière courante de parler. Voir le commentaire de la transcription diplomatique, sur les étapes de la rédaction.
Ce point acquis, faut-il comprendre que la pensée fait la grandeur de l’homme par elle-même ou par les découvertes qu’elle accomplit dans l’ordre de la connaissance ?
La pensée fait par sa nature la dignité de l’homme. Sur ce point, Pascal s’exprime clairement dans le fragment Laf. 756, Sel. 626. Pensée. Toute la dignité de l’homme est en la pensée, et la pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature.
Le terme dignité appartient à l’origine, comme noblesse, grandeur et misère, au registre social et politique. La dignité, ou la noblesse, au sens où l’entend Pascal, dépend de la manière dont un être répond à la fin qui lui est propre. Dans le cas présent, la fin de l’homme se trouve dans la pensée. Laf. 620, Sel. 513 : L’homme est visiblement fait pour penser. C’est toute sa dignité et tout son mérite ; et tout son devoir est de penser comme il faut. Or l’ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin. L’entretien avec M. de Sacy montre que les philosophes stoïciens ont bien su apercevoir ce point.
Témoignent de la grandeur de l’homme les « inventions » (c’est-à-dire, dans la langue de l’époque, les découvertes) des savants. Pascal donne l’exemple d’Archimède, qui tient dans l’ordre de la pensée le même rang qu’un prince dans l’État :
Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339). Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire et leur lustre, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles, où elles n’ont pas de rapport. Ils sont vus, non des yeux mais des esprits. C’est assez.
[...]
Archimède sans éclat serait en même vénération. Il n’a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions. Ô qu’il a éclaté aux esprits !
[...]
Il eût été inutile à Archimède de faire le prince dans ses livres de géométrie, quoiqu’il le fût.
Quant aux « inventions » elles-mêmes, plusieurs textes sont consacrés à leur éloge, notamment parmi les opuscules de Pascal. Voir sur ce point ✍
De l’esprit géométrique, I, Réflexions sur la géométrie en général, OC III, éd. J. Mesnard, p. 390-412.
Préface sur le Traité du vide, OC II, éd. J. Mesnard, p. 777-785.
Conclusion des Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1095-1101. Pascal y montre sur l’histoire de la querelle sur la réalité du vide comment l’esprit humain est progressivement parvenu à rejeter la « cause imaginaire » de l’horreur du vide et à établir, par l’expérience et le raisonnement, « les principes de la physique » et une « connaissance qui ne saurait plus jamais périr, que la nature n’a aucune horreur pour le vide », et que « la pesanteur de la masse de l’air est la véritable cause de tous les effets qu’on avait jusqu’ici attribués à cette cause imaginaire » (p. 1101).
Cela reste vrai dans la morale.
Transition 6 (Laf. 200, Sel. 232). Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.
La grandeur de l’homme se reconnaît donc au fait qu’il pense et par les œuvres de la pensée, savoir les vérités substantielles qu’elle établit. Cette proposition permet de placer la présente maxime dans l’ordre des arguments des Pensées, en rapport avec la liasse Grandeur.
Il est cependant nécessaire de préciser les choses.
Dans ses ouvrages Entre Descartes et Gassendi. La première édition des Pensées de Pascal et Pascal et son libertin, Antony McKenna a publié des pages importantes à l’idée de grandeur de l’homme. Mais il fait remarquer que si Pascal veut dire que l’interprétation selon laquelle la pensée confère à l’homme une grandeur effective, il s’interdit de poursuivre l’argumentation par renversement du pour au contre, en concluant à la misère.
Or c’est précisément ce qu’il fait dans la deuxième partie du fragment Laf. 620, Sel. 513, qui souligne que l’homme se dégrade lorsqu’il manque à sa fin : Or à quoi pense le monde ? jamais à cela, mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, etc., à se battre, à se faire roi, sans penser à ce que c’est qu’être roi et qu’être homme. Et Pascal prévoyait de poursuivre en suivant le programme du fragment Contrariétés 13 (Laf. 130, Sel. 163) : S’il se vante je l’abaisse
S’il s’abaisse je le vante
Et le contredis toujours
Jusqu’à ce qu’il comprenne
Qu’il est un monstre incompréhensible.
« Si l’homme peut découvrir par ses propres forces des principes certains », note A. McKenna, « où est la misère ? » (Pascal et son libertin, p. 28).
Plusieurs textes soulignent les faiblesses et les défauts de la pensée humaine :
Laf. 756, Sel. 626. Pensée. Toute la dignité de l’homme est en la pensée, mais qu’est-ce que cette pensée ? qu’elle est sotte. La pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu’elle eût d’étranges défauts pour être méprisable, mais elle en a de tels que rien n’est plus ridicule. Qu’elle est grande par sa nature, qu’elle est basse par ses défauts.
C’est le mauvais usage que l’homme fait de sa propre pensée qui conduit à conclure à sa misère. Les puissances trompeuses qui engendrent ces faiblesses sont, selon Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78), l’imagination, les maladies, les erreurs des sens et surtout l’amour propre. Aussi A. McKenna trouve-t-il très équivoque le fragment suivant, dans lequel Pascal paraît déclarer que l’homme atteint la vérité par la complémentarité du cœur et de la raison :
Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142). Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point. Quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes : comme qu’il y aespace, temps, mouvement, nombres, aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude quoique par différentes voies.
Selon A. McKenna, l’incertitude des connaissances provient du fait que, soit par les sens, soit par le cœur, elles ont toutes partie liée avec le corps (et de ce fait à la machine).
Pascal considère en effet que les principes que l’homme peut acquérir sont issus de sa constitution corporelle et intellectuelle. En ce sens, les principes ne sont pas métaphysiquement assurés. Les opinions extravagantes des philosophes et les délires suscités par les puissances trompeuses suffisent à prouver la misère de l’homme. Les Écrits sur la grâce (Traité de la prédestination, 3, § 6, OC III, éd. J. Mesnard, p. 793) précisent que c’est par le péché originel que « les ténèbres ont rempli » l’esprit de l’homme.
Cependant, Jean Laporte a remarqué à juste titre que, selon les Messieurs de Port-Royal, le péché originel n’a pas corrompu la raison de la même façon qu’il a corrompu le cœur : elle sait enchaîner correctement les principes aux conséquences, et c’est cela qui, malgré les méfaits des « puissances trompeuses », permet à l’homme de produire les sciences mathématiques et physiques. Sur ce point, la pensée rationnelle est à même de faire la grandeur de l’homme.
Reste la question des principes sur lesquels se fondent ces sciences. Ils sont produits par le cœur, qui a principalement été corrompu par la faute d’Adam. D’autre part, ces principes sont engendrés par l’association du cœur avec le corps : voir Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680) : Infini rien. Notre âme est jetée dans le corps où elle trouve nombre, temps, dimensions, elle raisonne là-dessus et appelle cela nature, nécessité, et ne peut croire autre chose.
Le texte dans lequel Pascal a exprimé le plus nettement le rapport des principes et du corps est Laf. 580, Sel. 482, sur le goût esthétique : Symétrie, en ce qu’on voit d’une vue, fondée sur ce qu’il n’y a pas de raison de faire autrement, et fondée aussi sur la figure de l’homme. D’où il arrive qu’on ne veut la symétrie qu’en largeur, non en hauteur, ni profondeur.
D’où semble découler que non seulement la pensée humaine est viciée par des puissances trompeuses, mais que l’origine en partie corporelle de ses principes la marque d’une incertitude irrémédiable. De là il n’est pas difficile de tirer la preuve de la misère de l’homme, comme Pascal le fait du reste dans le renversement du pour au contre.
Cependant, quelques réserves s’imposent.
Il faut d’abord remarquer que nulle part Pascal ne pose, comme Descartes, l’exigence d’un fondement métaphysique des vérités. Sa confiance en la véracité d’un Dieu qui ne saurait ni se tromper ni tromper les hommes n’a rien à voir avec la recherche qui conduit Descartes du Cogito à la preuve du Dieu des philosophes. On aurait tort de vouloir rabattre la pensée de Pascal sur celle de Descartes : dans De l’esprit géométrie, II, De l’art de persuader, § 23, OC III, éd. J. Mesnard, p. 42, Pascal a concédé qu’il admirait la suite des conséquences exposées dans ses ouvrages, mais il a bien nettement précisé qu’il supposait seulement que Descartes avait « réussi efficacement dans sa prétention » de fonder « une physique entière ». On sait que Menjot, Opuscules posthumes, 1e partie, Amsterdam, 1697, p. 115, voir OC I, éd. J. Mesnard, I, p. 831, rapporte que « Feu M. Pascal appelait la philosophie cartésienne le roman de la nature, semblable à peu près à l’histoire de Don Quichotte. »
Dans quelle mesure la nature des principes peut-elle servir d’argument en faveur de la misère de l’homme ?
Selon Pascal, les principes ne sont pas fondamentalement premiers, ils ne sont premiers que pour nous. En réalité, les propositions sont enchaînées à d’autres propositions à l’infini en amont et en aval : Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230) : Nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches, car qui doute que la géométrie, par exemple, a une infinité d’infinités de propositions à exposer ? Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes, car qui ne voit que ceux qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux-mêmes et qu’ils sont appuyés sur d’autres qui, en ayant d’autres pour appui, ne souffrent jamais de dernier ? Mais nous faisons des derniers qui paraissent à la raison comme on fait dans les choses matérielles où nous appelons un point indivisible celui au-delà duquel nos sens n’aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment et par sa nature.
Par conséquent l’ambition d’une mathesis universalis est parfaitement illusoire. Sa nature finie fait que, dans la recherche de la vérité, l’homme est forcé de commencer en un point qu’on suppose (au sens logique du terme) être le premier, précédant toute démonstration. Mais comme l’écrit Aristote dans sa Physique, VIII, 5, 256 a, dans la remontée de proposition en proposition, il est nécessaire à un moment ou à un autre de s’arrêter. Ce n’est pas pour autant que la pensée peut être prise comme marque de misère. La misère consiste toujours, d’une manière ou d’une autre, à « vouloir et ne pouvoir » : voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 195. Mais dans le cas des philosophes qui, comme le font les sceptiques, réclament des preuves toujours nouvelles pour toutes les propositions qu’on leur présente, il n’y a pas une misère réelle, mais seulement une méconnaissance de la disproportion qui existe entre l’infinité des propositions et la finitude de l’homme. Leur frustration, écrit Pascal dans Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), vient du manque d’avoir contemplé ces infinis [ils] se sont portés témérairement à la recherche de la nature comme s’ils avaient quelque proportion avec elle. Selon le fragment Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142), il est [...] inutile et [...] ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes pour vouloir y consentir. Si les pyrrhoniens s’y acharnent vainement, c’est qu’ils sont animés par la libido sciendi (voir le dossier thématique sur la concupiscence).
En fait, pour ce qui touche les principes, Pascal s’appuie non sur une garantie métaphysique à la cartésienne, mais à une forme du principe scolastique « Quicquid recipitur ad modum recipientis recipitur » : les principes que l’esprit reçoit sont ceux qui sont accommodés à sa condition d’homme. Voir Gilson Étienne, Le thomisme, p. 267 ; Thomas d’Aquin, Questions disputées sur la vérité, Question XII, La prophétie (De prophetia), éd. S.-T. Bonino et J.-P. Torell, Paris, Vrin, 2006, p. 192 sq., qui renvoie aux références données par Bonino S.-T., De la vérité, p. 417-418 ; Thomas d’Aquin, Somme théologique, III, LIV, art. III, t. VI, Paris, Vivès, 1864, p. 965 : « Omne quod recipitur in aliquo, recipitur in eo secundum modum recipientis ». Toute perfection reçue est limitée par la capacité de réception du sujet récepteur. Les principes du cœur s’imposent parce que ce sont ceux qui correspondent à notre constitution et pour ainsi dire à notre point de vue sur le monde dans lequel nous vivons. Dès lors, il est naturel que l’homme ne puisse croire autre chose que ces principes qui correspondent à sa condition, comme Pascal l’indique dans Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680) : Notre âme est jetée dans le corps où elle trouve nombre, temps, dimensions, elle raisonne là-dessus et appelle cela nature, nécessité, et ne peut croire autre chose. Toujours selon Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142), la connaissance des premiers principes, comme qu’il y aespace, temps, mouvement, nombres, aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude quoique par différentes voies. Les principes qui s’imposent à l’homme nécessairement et immédiatement sont ceux qui conviennent à sa nature.
Il en résulte que Pascal peut soutenir à la fois que la pensée peut être marque de grandeur par sa nature et ses œuvres, mais qu’elle est rendue ridicule par ses défauts, par l’action qu’exercent sur elle les puissances trompeuses et surtout l’amour de soi.