Miracles II  – Fragment n° 15 / 15 – Papier original : RO 463-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 453 v° / C2 : p. 251 v°-253

Éditions savantes : Faugère II, 215, VIII / Havet XXV.146 et XXIII.30 / Brunschvicg 819 et 840 / Tourneur p. 151 / Le Guern 695 / Lafuma 857 et 858 (série XXXIII, notée XXXII par erreur) / Sellier 437

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Bibliographie

 

 

FERREYROLLES Gérard, Les reines du monde, Paris, Champion, 1995.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

 

 

Éclaircissements

 

Selon Tetsuya Shiokawa, Pascal et les miracles, p. 153 sq., ce texte enferme une recherche des emplois du mot miracle pour en établir la définition ; Pascal ne limite pas ses recherches à la Vulgate.

 

Jér., 23, 32. Les miracles des faux prophètes. En l’hébreu et Vatable, il y a les légèretés.

 

Voir la note de l’éd. Sellier, Garnier, p. 345. Là où la Vulgate emploie miraculum, les traductions latines plus fidèles à l’hébreu recourent à d’autres termes : levitates, metus, stupor, horror ; portentum dans Isaïe, VII, 18, chez Jérémie, L, 38, est donné pour synonyme de simulacrum. Pascal recourt à la Bible de Robert Estienne, dont les annotations sont de l’hébraïsant Vatable.

Sur Vatable, voir Jouanna Arlette et alii, La France de la Renaissance. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, 2001, p. 1114-1115.

Pascal avait en main la Bible publiée par Robert Estienne sous le couvert de Vatable, professeur de langue hébraïque au collège royal. Cette dernière édition donnait d’une part le texte de la Vulgate hiéronymienne, et d’autre part une traduction nouvelle faite sur l’hébreu, qui était tantôt la version de Léon de Juda (Tigurina), tantôt celle de Dante Pagnino ; les passages obscurs étaient éclaircis par des notes marginales que Vatable avait recueillies dans divers commentateurs, que Robert Estienne a employées, en y glissant des remarques personnelles qui trahissaient son calvinisme.

Pascal a surtout, outre cette originale, consulté une autre Bible, imprimée elle aussi sous le nom de Vatable à son insu et malgré lui : la Biblia polyglotta vulgo dicta Vatabli parue à Heidelberg en 1586 par les soins de Jérôme Commelin, dit de Saint-André. Voir la description de cette Bible en quatre colonnes : p. 211 sq. La première colonne contient le grec des Septante, avec en marge un sommaire en latin et les concordances des textes bibliques ; la seconde reproduit la Vulgate ; la troisième donne la nouvelle traduction faite sur l’hébreu par Dante Pagnino ; la quatrième est réservée au texte hébraïque, avec en marge des traductions latines très littérales. Le bas de page est réservé aux notes de Vatable, avec, en cas d’amphibologie, les diverses interprétations proposées par les commentateurs, quelques traductions des Pères et parfois une traduction mot à mot : p. 211-212.

Les citations de Vatable par Pascal : voir Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 211-217. Sur l’usage que Pascal fait de Vatable, voir Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 211 sq. Pascal a en main la Bible de Vatable, ce qui est attesté par le fragment Brunschvicg 819 (le présent fragment) selon Lhermet.

Jérémie, XXIII, 32. « Ecce ego ad prophetas somniantes mendacium, ait Dominus, qui narraverunt ea et seduxerunt populum meum in mendacio suo et in miraculis suis : cum ego non misissem eos, nec mandassem eis, qui nihil profuerunt populo huic, dicit Dominus ». Tr. de Port-Royal : « Je viens aux prophètes, dit le Seigneur, qui ont des visions de mensonge, qui les racontent à mon peuple, et qui le séduisent par leurs mensonges et par leurs miracles : quoique je ne les aie point envoyés, et que je ne leur aie donné aucun ordre, et qui n’ont aussi servi de rien à ce peuple, dit le Seigneur ».

Texte de Vatable : « Ecce ego ad prophetantes somnia mendacia, ait Dominus : et narraverunt ea, et errare fecerunt populum meum mendaciis suis, et blanditiis suis : ego non misi eos, nec praecepi eis, et proficiendo non profuerunt populo huic, dixit Dominus ». Note de Vatable : « Et blanditiis suis, vel atque in levitatibus suis, id est levibus et stultis suis cogitationibus et inventis. Levitates animi dicuntur cum modo hoc, modo illud inconstanter sentiunt ». Cette note explique que Pascal retienne le mot légèreté.

Légèretés : Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 153. Les miracles des faux prophètes ne sont que leurs « légères » actions, des fanfaronnades et de sottes inventions. Selon Vatable, les soi-disant miracles des faux prophètes ne sont que leurs légèretés, leurs légères et sottes inventions : p. 154.

Blanditia : caresses, flatteries, séduction.

Saint Augustin, Cité de Dieu, XXI, n. 41, Œuvres, 37, p. 801. Il y a quatre formes de prodiges : selon Festus, « portenta existimarunt quidam gravia esse, ostenta bona ; alii portenta quaedam bona, ostenta quaedam tristia appellari. Portenta quae quid porro tendatur indicent ; ostenta quae tantummodo ostendant ; monstra (quae) praecipiant quoque remedia ». Monstrum, dans le vocabulaire religieux, signifie un prodige qui avertit de la volonté des dieux.

 

Miracle ne signifie pas toujours miracles. I, Rois, 14-15.

Miracle signifie crainte et est ainsi en l’hébreu.

 

Premier livre des Rois, XIV, 15. « Et factum est miraculum in castris per agros sed et omnis populus stationis eorum qui ierant ad praedandum obstipuit et conturbata est terra et accidit quasi miraculum a Deo » ; « L’effroi se répandit aussitôt dans la campagne par toute l’armée des Philistins. Tous les gens de leur camp qui étaient allés pour piller furent frappés d’étonnement, tout le pays en fut en trouble, et il parut que c’était Dieu qui avait fait ce miracle ». La citation contient deux fois le mot miraculum, en deux sens différents. Nota bene : ce Premier livre des Rois est actuellement appelé livre de Samuel.

 

De même en Job manifestement, 33, 7.

 

Job, XXXIII, 7. « Verumtamen miraculum meum non te terreat, et eloquentia mea non sit tibi gravis ».

Tr. de Port-Royal : « Mais vous ne verrez rien de merveilleux en moi qui vous épouvante ; et vous n’y trouverez pas non plus une éloquence qui vous accable ».

 

Et encore Is., 21, 4,

 

Isaïe, XXI, 4. « Emarcuit cor meum, tenebrae stupefecerunt me : Babylon dilecta mea posita est mihi in miraculum ».

Tr. de Port-Royal : «  Mon cœur est tombé dans la défaillance ; mon esprit est rempli d’effroi et de ténèbres ; cette Babylone qui était mes délices me devient un sujet d’effroi. »

Estienne traduit par horror (terreur religieuse).

 

Jér., 44, 22.

 

La lecture Jérémie, XLIV, 22, que donnent les éditions Lafuma (qui n’est pas cohérente : dans l’édition du fragment, elle donne la référence à 22 dans le texte, éd. Luxembourg, p. 463, mais dans les Notes, elle renvoie au verset 12) et Sellier-Ferreyrolles, n’est pas pertinente : le texte ne contient rien qui corresponde à l’idée de miracle ou d’effroi. « Et non poterat Dominus ultra portare propter malitiam studiorum vestrorum et propter abominationes quas fecistis et facta est terra vestra in desolationem et in stuporem et in maledictum eo quod non sit habitator sicut est dies haec ». Tr. : « Le Seigneur ne pouvait plus supporter votre malice et vos inclinations corrompues, à cause des abominations que vous avez commises ; et c’est pour cela que votre terre a été réduite dans la désolation où elle est aujourd’hui, et qu’elle est devenue l’étonnement et l’exécration de ceux qui la voient, sans qu’il y ait plus personne qui y demeure ».

Il faut sans doute plutôt lire 44. 12, comme le font Havet, éd. des Pensées, p. 183, et Brunschvicg, ce que le manuscrit autorise. Le texte est le suivant : « Et assumam reliquias Judae, qui posuerunt facies suas ut ingrederentur terram Aegypti, et habitarent ibi : et consumentur omnes in terra Aegypti : cadent in gladio et in fame : et consumentur a minimo usque ad maximum, in gladio et in fame morientur : et erunt in jusjurandum, et in miraculum, et in maledictionem, et in obprobrium ». Tr. : « Je perdrai les restes de ce peuple qui se sont opiniâtrés à vouloir venir dans l’Égypte pour y habiter, et ils périront tous en Égypte ; ils mourront par l’épée et par la famine. Ils seront consumés depuis le plus petit jusqu’au plus grand ; ils mourront par l’épée, et par la famine, et ils deviendront l’objet de l’exécration, de l’étonnement, de la malédiction, et des insultes de tous les hommes ».

Estienne traduit par stupor.

 

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Portentum signifie simulacrum, Jér., 50, 38, et est ainsi en l’hébreu et en Vatable.

 

À cet endroit, sur le manuscrit, et est ainsi en l’hébreu et en Vatable semble être une addition ; celle-ci provoque un allongement du lignage, qui se poursuit dans la suite.

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 184.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 154.

Jérémie, L, 38. « Siccitas super aquas ejus erit et arescent : quia terra sculptilium est et in portentis gloriantur » ; tr. de Port-Royal : « La sécheresse tombera sur ses eaux, et elles sècheront, parce qu’elle est une terre d’idoles, et qu’elle se glorifie en des monstres ».

Portentum : miracle, merveille, prodige, fait monstrueux.

Simulacrum : ombre, spectre, fantôme.

Saint Augustin, Cité de Dieu, XXI, n. 41, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, 37, p. 801. Il y a quatre formes de prodiges : selon Festus, « portenta existimarunt quidam gravia esse, ostenta bona ; alii portenta quaedam bona, ostenta quaedam tristia appellari. Portenta quae quid porro tendatur indicent ; ostenta quae tantummodo ostendant ; monstra (quae) praecipiant quoque remedia ». Monstrum, dans le vocabulaire religieux, signifie un prodige qui avertit de la volonté des dieux.

 

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Is., 8, 18. Jésus-Christ dit que lui et les siens seront en miracle.

 

Isaïe, VIII, 198. « Ecce ego et pueri mei, quos mihi dedit Dominus in signum et in portentum Israël a Domino exercituum, qui habitat in monte Sion ».

Tr. de Port-Royal : « Me voici, moi et les enfants que le Seigneur m’a donnés, pour être, par l’ordre du Seigneur des armées qui habite sur la montagne de Sion, un prodige et un signe miraculeux dans Israël ».

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 153 sq. Portentum, qui signifie les idoles ou les épouvantails, prend dans ce passage le sens de miracle.

 

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L’Église a trois sortes d’ennemis : les Juifs qui n’ont jamais été de son corps, les hérétiques qui s’en sont retirés, et les mauvais chrétiens qui la déchirent au-dedans. Ces trois sortes de différents adversaires la combattent d’ordinaire diversement, mais ici ils la combattent d’une même sorte. Comme ils sont tous sans miracles et que l’Église a toujours eu contre eux des miracles, ils ont tous eu le même intérêt à les éluder et se sont tous servis de cette défaite, qu’il ne faut pas juger de la doctrine par les miracles mais des miracles par la doctrine. Il y avait deux partis entre ceux qui écoutaient Jésus-Christ, les uns qui suivaient sa doctrine pour ses miracles, les autres qui disaient...

 

Pascal ne mentionne pas les athées et sceptiques en matière de religion. Il se tient ici à ceux qui croient au Dieu des Juifs et des chrétiens.

Sur l’union des jésuites et des protestants contre l’Église, voir Cinquième écrit des curés de Paris, sur l’avantage que les hérétiques prennent contre l’Église, de la morale des casuistes et des jésuites.

Assimilation des jésuites aux pharisiens : voir Deuxième écrit des curés de Paris, éd. Cognet, Garnier, p. 424. « Que l’insolence a de hardiesse, quand elle est flattée par l’impunité ; et que la témérité fait en peu de temps d’étranges progrès, quand elle ne rencontre rien qui réprime sa violence ! Ces casuistes, après avoir troublé la paix de l’Église par leurs horribles doctrines, qui vont à la destruction de la doctrine de Jésus-Christ, comme disent Nosseigneurs les évêques, accusent maintenant ceux qui veulent rétablir la doctrine de Jésus-Christ, de troubler la paix de l’Église. Après avoir semé le désordre de toutes parts, par la publication de leur détestable morale, ils traitent de perturbateurs du repos public ceux qui ne se rendent pas complaisants à leurs desseins, et qui ne peuvent souffrir que ces Pharisiens de la loi nouvelle, comme ils se sont appelés eux-mêmes, établissent leurs traditions humaines sur la ruine des traditions divines. »

Défaite : excuse, échappatoire. Ce valet est un rusé menteur, qui a toujours une défaite en poche. Un mauvais payeur a mille défaites pour amuser et renvoyer ses créanciers. Cette raison n’est pas pertinente, ce n’est qu’une défaite (Furetière).

L’Église a trois sortes d’ennemis : voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 466. Pourquoi Pascal appelle-t-il ennemi le peuple juif ? Leur seule incrédulité en fait des ennemis : il s’agit d’une inimitié théologique, et non historique. Voir p. 467 sq., la dénomination d’ennemis s’explique par ses sources augustiniennes, marquées par leur époque, où une véritable lutte d’influence opposait Juifs et chrétiens, jusqu’à engendrer de véritables violences. Voir les références de la p. 468, n. 12.

Boucher Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, contenant les résolutions de trois cent soixante et dix questions sur le sujet de la foi, de l’Écriture sainte, de la création du monde, de la rédemption du genre humain, de la divine providence, et de l’immortalité de l’âme, proposées par Typhon, maître des impies et libertins de ce temps et répondues par Dulithée, II, Q. 4, p. 160. « Nous avons pris ces Écritures de la main des Juifs, qui sont nos ennemis capitaux, lesquels en l’état où ils sont maintenant, ne diront, ni ne feront jamais rien volontairement qui soit à notre avantage ».

Le thème de l’inimitié des Juifs a un prolongement apologétique : voir Isaïe, traduit en français, Paris, Desprez, 1686, tr. Le Maître de Sacy, Préface, p. 1 : comme les juifs sont « les ennemis irréconciliables de notre religion », leur témoignage ne peut être suspect. Pascal reprend cet argument dans le fragment Prophéties V (Laf. 488, Sel. 734). Les Juifs en le tuant pour ne le point recevoir pour Messie, lui ont donné la dernière marque du Messie. Et en continuant à le méconnaître ils se sont rendus témoins irréprochables. Et en le tuant et continuant à le renier ils ont accompli les prophéties.

 

Il y avait deux partis au temps de Calvin. Il y a maintenant les Jésuites, etc.

 

Voir le fragment Miracles II (Laf. 856, Sel. 436), qui, entre autres oppositions, mentionne celle des catholiques et des hérétiques (Calvin). Les jésuites, qui ne sont pas sortis de l’Église, sont tout de même placés au même rang que les calvinistes, sans doute parce que Pascal pense qu’ils s’opposent à la vérité et sont, volontairement ou involontairement, complices des protestants. Voir sur ce point le cinquième Écrit des curés de Paris, sur l’avantage que les hérétiques prennent contre l’Église, de la morale des casuistes et des jésuites.