Fragment Fondement n° 20 / 21 – Papier original : RO 55-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 293 à 295 p. 121-121 v° / C2 : p. 147 à 149
Éditions de Port-Royal :
Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 144 / 1678 n° 20 p. 142-143
Chap. II - Marques de la véritable Religion : 1669 et janvier 1670 p. 21 / 1678 n° 7 p. 20
Chap. XVII - Contre Mahomet : 1669 et janvier 1670 p. 133 / 1678 n° 1 p. 132
Chap. X - Juifs : 1669 et janvier 1670 p. 87 / 1678 n° 14 p. 87
Éditions savantes : Faugère II, 146, XIV ; II, 335, XLIII / Havet XI.5 ; XIX.7 / Michaut 143-144 / Brunschvicg 585 et 601 / Tourneur p. 254-2 / Le Guern 227 / Lafuma 242 et 243 / Sellier 275 et 276
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Bibliographie ✍
BOULLIER David Renaud, Apologie de la métaphysique, à l’occasion du Discours préliminaire de l’Encyclopédie, avec les Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. de Voltaire, suivis de trois lettres relatives à la philosophie de ce poète, Amsterdam, Jean Catuffe, 1753. COUSIN Victor, Rapport à l’Académie, in Œuvres de M. Victor Cousin, Quatrième série, Littérature, tome I, Paris, Pagnerre, 1849, p. 206 sq. DE CERTEAU Michel, “L’étrange secret. La « manière d’écrire » pascalienne : la quatrième lettre à Melle de Roannez”, Riv. di storia e letteratura religiosa, I, 1977, p. 104-126. ERNST Pol, Les Pensées de Pascal. Géologie et stratigraphie, p. 192. FERREYROLLES Gérard, “Pascal et les adversaires de l’Église”, in M. Servet (dir.), Polémiques en tous genres, Cahiers du GADGES, Genève, Droz, 2009, p. 191-212. GHEERAERT Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, Paris, Champion, 2003. GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, Paris, Vrin, 1966-1971 (2e tirage). MESNARD Jean, Pascal devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 68 sq. MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007. SELLIER Philippe, Pascal et la liturgie, Paris, Presses Universitaires de France, 1966. SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, II, Paris, Champion, 2000. SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977. |
✧ Éclaircissements
Que Dieu s’est voulu cacher.
Voir le dossier thématique Dieu caché.
La doctrine du Dieu caché prend racine dans le texte de la Bible. Voir Isaïe, XLV, 15 : « Vous êtes vraiment le Dieu caché, le Dieu d’Israël, le sauveur » (tr. de Sacy, Isaïe traduit en français, Paris, Desprez, 1686), Explication, p. 388 : « Vere tu es deus absconditus ». Les paroles du verset 13 s’entendent de Cyrus, ici figure du Messie, mais aussi de Jésus-Christ. « C’est lui qui a rétabli la Jérusalem non matérielle mais spirituelle, qui est son Église, qui a tiré les esclaves non des fers visibles, mais des chaînes invisibles du démon et du péché ». Les hommes sont « venus après lui comme des captifs volontaires qui n’étaient enchaînés que par leur amour. Ils ont donné sang et prières. » Ils ont dit « Vous êtes vraiment le Dieu caché, le sauveur d’Israël ; et il n’y a point d’autre Dieu que vous. Vous n’êtes caché que pour les infidèles qui ont mis un voile sur leur cœur. Mais ceux qui considèrent les merveilles que vous avez faites, ont peine à vous appeler un Dieu caché ; puisque malgré cette bassesse apparente dont votre humilité n’a pas dédaigné de se couvrir, votre grandeur éclate par tant de miracles et visibles et invisibles, et publie à tout le monde que vous êtes Dieu ». Voir aussi la Préface de Sacy dans Les Nombres et le Deutéronome.
Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Si cette religion se vantait d’avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu’on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais puisqu’elle dit, au contraire, que les hommes sont dans les ténèbres et dans l’éloignement de Dieu, qu’il s’est caché à leur connaissance, que c’est même le nom qu’il se donne dans les Écritures, Deus absconditus.
S’il n’y avait qu’une religion, Dieu y serait bien manifeste.
Pascal reprend ici un procédé qu’il a déjà utilisé dans le fragment Fondement 14 (Laf. 237, Sel. 269). Il y procède par l’absurde, mais sans développer les conséquences.
Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables. [...] Si Dieu n’eût permis qu’une seule religion elle eût été trop reconnaissable. Mais qu’on y regarde de près on discerne bien la vraie dans cette confusion.
Les conséquences sont formulées ailleurs, dans sa lettre à Melle de Roannez n° 4, du 29 octobre 1656, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 1035 sq. : « Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire » ; mais il ne pousse pas ici la réflexion jusqu’à envisager le second membre du dilemme, qu’il donne dans la lettre en question : « s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. » Seul ce second membre permet d’aller jusqu’au fond de la pensée de Pascal : « Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu’il veut engager dans son service. »
Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, § XIX, éd. Naves, p. 156. Objection : les chrétiens disent pourtant qu’il n’y aura un jour qu’une religion, la leur.
Boullier David Renaud, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § XIX, p. 59-60, répond à Voltaire en arguant du mélange de lumière et d’obscurité constitutif de la religion. Si Dieu était manifeste, il n’y aurait pas à le chercher. Dans le triomphe final de la religion, au dernier jour, elle sera en effet sans voile. Pascal ne dit pas à chaque page qu’il n’y en aura qu’une : p. 60.
S’il n’y avait des martyrs qu’en notre religion, de même.
Pascal ne traite du problème du martyre que dans quelques fragments. Il ne faut cependant pas croire qu’il n’accorde que peu d’intérêt aux martyrs.
L’union que le chrétien peut avoir avec les martyrs est explicitement mentionnée dans le fragment Morale chrétienne 9 (Laf. 359, Sel. 391). Les exemples des morts généreuses des lacédémoniens et autres, ne nous touchent guère, car qu’est-ce que cela nous apporte.
Mais l’exemple de la mort des martyrs nous touche car ce sont nos membres. Nous avons un lien commun avec eux. Leur résolution peut former la nôtre, non seulement par l’exemple, mais parce qu’elle a peut-être mérité la nôtre.
Il n’est rien de cela aux exemples des païens . Nous n’avons point de liaison à eux. Comme on ne devient pas riche pour voir un étranger qui l’est, mais bien pour voir son père ou son mari qui le soient.
L’ouverture du Mémorial (Laf. 913, Sel. 742) témoigne de l’attention que Pascal accorde à leur présence dans la vie chrétienne :
L’an de grâce 1654,
Lundi 23 novembre, jour de saint Clément,
pape et martyr, et autres au Martyrologe.
Veille de saint Chrysogone, martyr, et autres.
Les martyrs sont du reste pour Pascal les porteurs les plus visibles de la religion chrétienne. Voir Preuves de Moïse 2 (Laf. 291, Sel. 323). Cette religion si grande en miracles, saints, purs, irréprochables, savants et grands témoins, martyrs ; rois - David - établis ; Isaïe prince du sang ; si grande en science après avoir étalé tous ses miracles et toute sa sagesse, elle réprouve tout cela et dit qu’elle n’a ni sagesse, ni signe, mais la croix et la folie.
Car ceux qui par ces signes et cette sagesse ont mérité votre créance et qui vous ont prouvé leur caractère, vous déclarent que rien de tout cela ne peut nous changer et nous rendre capables de connaître et aimer Dieu que la vertu de la folie de la croix, sans sagesse ni signe et point non les signes sans cette vertu.
Toutefois, les martyrs ne sont pas le privilège de la religion catholique, comme l’indique le présent fragment. Mais Pascal n’a aucune illusion sur le sort des martyrs des fausses religions, et même des martyrs qui meurent pour la gloire de Dieu en dehors de l’Église : voir le Cinquième écrit des curés de Paris, § 17. Le schisme et l’hérésie sont des ce crimes qui surpassent tous les autres : « c’est le plus abominable de tous, qu’il est pire que l’embrasement des Écritures Saintes, que le martyre ne le peut effacer, et que qui meurt martyr pour la foi de Jésus-Christ hors de l’Église, tombe dans la damnation, comme dit saint Augustin. Que ce mal ne peut être balancé par aucun bien, selon saint Irénée. » Voir saint Augustin, Lib. I contr. Parmen., c. 4, n. 7.
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Dieu étant ainsi caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n’est pas véritable, et toute religion qui n’en rend pas la raison n’est pas instruisante. La nôtre fait tout cela. Vere tu es deus absconditus.
Dans le fragment A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182), Pascal posait une série de conditions qui s’imposaient à toute doctrine qui prétendait apporter la vérité aux hommes. Ces conditions touchaient principalement ce qui se dégageait de l’enquête anthropologique qui remplit les premières liasses des Pensées : reconnaissance de la grandeur de l’homme et de sa misère, de leur coexistence et de la nécessité de les concilier, nécessité de montrer à l’homme quel est son vrai bien, pourquoi il l’ignore et pourquoi il lui est contraire ; enfin reconnaissance de la nature religieuse, et non philosophique, de la vérité.
Ici, Pascal ajoute une condition qui précise ce dernier point.
Il n’est pas suffisant que la doctrine qui prétend être véritable conduise à un Dieu, il faut qu’elle conduise à un Dieu caché.
Instruisant est un hapax chez Pascal et aucun dictionnaire n’en fait mention.
La religion païenne est sans fondement aujourd’hui. On dit qu’autrefois qu’elle [e]n a eu par les oracles qui ont parlé. Mais quels sont les livres qui nous en assurent ? Sont‑ils si dignes de foi par la vertu de leurs auteurs ? Sont‑ils conservés avec tant de soin [qu’] on puisse s’assurer qu’ils ne sont point corrompus ?
Pascal supprime tout le développement relatif aux conditions qui manquent aux livres des païens, de sorte que l’argument se limite à l’affirmation lapidaire que la religion païenne est sans fondement.
La religion païenne est sans fondement : voir Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 41. Rédaction initiale. Voir le commentaire p. 45. Pascal semble nier les oracles païens ; mais l’opinion qu’il y a eu chez les païens de vrais oracles, rendus par les démons avec la permission de Dieu, était encore générale.
Ferreyrolles Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, Revue philosophique, n° 1-2002, p. 21-40. Les païens apparaissent au moment où Pascal passe du terrain de la grâce à celui de la morale : Pascal les invoque dans les Provinciales à propos de la responsabilité des hommes dans leurs actes. Dans les Pensées, Pascal ne pose plus les païens en maîtres, comme il l’a fait dans les Provinciales, ils font au contraire dans l’apologie office de repoussoir. Dans la partie anthropologique, les païens servent à montrer la misère de l’homme sans Dieu : par définition, les païens ne peuvent compter que sur la nature ; privés de la grâce, ils ne peuvent agir que poussés par la cupidité. L’abandon de Dieu paraît dans les païens, selon Preuves par discours III (Laf. 442, Sel. 690). Le fragment Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94), souligne que c’est chez les païens qu’a été pratiqué le meurtre des enfants et des pères. Cependant la valeur que les Provinciales reconnaissent aux païens ne leur est pas complètement déniée dans les Pensées : Pascal rappelle que l’un des livres les plus illustres de l’Ancien Testament a pour auteur Job, qui est un païen. Même dépourvus de grâce et laissés aux seules forces de la nature, les païens ne sont pas incapables de la justice. Les lois des païens ne sont pas entièrement dépourvues de valeur, puisque Pascal pense qu’elles sont une imitation des lois de Moïse ; Même la religion des païens n’est pas dépourvue de valeur, ni exposée au mépris de Pascal. Les païens ne connaissent point Dieu par définition Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321), mais certains, comme Épictète, ont « connu Dieu » (voir l’Entretien avec M. de Sacy). Parmi le païens, il y a des adorateurs des bêtes, mais il y a aussi des « adorateur[s] d’un seul dieu dans la religion naturelle », qui se découvrent non par la foi, mais par la raison.
Sur le salut des païens, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 71 sq.
La religion des païens n’a pas de fondement, en ce sens que, par nature, elle n’a pas de témoins, ni de prophéties accomplies : rien par conséquent qui puisse leur donner crédit. Pascal sait que l’on cite souvent Socrate, Platon, Épictète comme modèles de grandeur dans le paganisme ; il connaît le problème de la vertu des païens. Mais ces hautes figures n’ont pas pour autant montré qu’elles pouvaient révéler des vérités qui dépassent la mesure humaine. Le manque de fondement du paganisme se traduit, en morale, par les variations des lois et des mœurs que Pascal rappelle dans les liasses Vanité et Misère.
La religion mahométane a pour fondement l’Alcoran et Mahomet. Mais ce prophète qui devait être la dernière attente du monde a‑t‑il été prédit ? Et quelle marque a‑t‑il que n’ait aussi tout homme qui se voudra dire prophète ? Quels miracles dit‑il lui‑même avoir faits ? Quel mystère a‑t‑il enseigné selon sa tradition même ? Quelle morale et quelle félicité ?
Pascal reprend ici certaines idées formulées dans la liasse Fausseté des autres religions.
La religion mahométane a pour fondement l’Alcoran, et Mahomet : voir Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 41.
Mahomet n’a pas été annoncé par des prophètes, puisqu’il est son propre prophète. Voir Ordre 1 (Laf. 1, Sel. 37). Qui rend témoignage de Mahomet ? lui-même.
Quels miracles dit-il lui-même avoir faits ? Voir Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 45. Référence au Coran, sourate Voyage de nuit, XVII. Mahomet ne dit pas lui-même avoir fait des miracles, mais les siens n’ont pas manqué de lui en attribuer : p. 46. Le complément naturel de ce passage est que Moïse s’est attribué lui-même des miracles, puisque le Pentateuque lui en attribue, et que Pascal ne met pas en cause que le Pentateuque n’ait été écrit par Moïse. Quant au Christ, les évangélistes lui attribuent des miracles, mais il les avoue lui-même.
Et quelle marque a-t-il que n’ait aussi tout homme qui se voudra dire prophète : la différence entre le paganisme et l’islam, c’est que la religion de Mahomet comporte des prophéties, puisque Mahomet se déclare prophète. Mais selon Pascal, Mahomet n’a rien accompli qui dépasse les moyens ordinaires de l’humanité.
Quelle morale ! Voir Havet, éd. Pensées, II, 1866, p. 46. Le mahométisme pèche contre la morale en autorisant le divorce, la polygamie et l’esprit de guerre et d’extermination. Il paraît qu’à part cela, elle est charitable, gentille et tout.
La félicité promise dans le paradis islamique est mentionnée dans le fragment Fausseté 16 (Laf. 218, Sel. 251), auquel on peut renvoyer.
Quoique dans Perpétuité 8, Pascal écrive que dans chaque religion, on trouve deux sortes d’hommes (voir ci-dessous), il ne semble pas accorder la même chose à l’islam. La raison en est sans doute que l’islam est généralement interprété, au XVIIe siècle, comme une forme religieuse de ce que l’épicurisme est en philosophie, c’est-à-dire une religion qui n’est attachée qu’au plaisir des sens (sans doute en raison de ce qu’on admet en général sur le paradis promis par le Coran).
Le contraste de la religion musulmane avec la juive et la chrétienne est expliqué dans le fragment Fausseté 16 (Laf. 218, Sel. 251). Ce n’est pas par ce qu’il y a d’obscur dans Mahomet et qu’on peut faire passer pour un sens mystérieux que je veux qu’on en juge, mais par ce qu’il y a de clair, par son paradis et par le reste. C’est en cela qu’il est ridicule. Et c’est pourquoi il n’est pas juste de prendre ses obscurités pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules. Il n’en est pas de même de l’Écriture. Je veux bien qu’il y ait des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet, mais il y a des clartés admirables et des prophéties manifestes et accomplies. La partie n’est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l’obscurité et non pas par la clarté qui mérite qu’on révère les obscurités.
La religion juive doit être regardée différemment dans la tradition des livres saints et dans la tradition du peuple.
Dans Perpétuité 8, Pascal précise le sens de cette distinction, qu’il croit commune aux païens, aux Juifs et aux chrétiens (mais non à l’islam, comme on l’a vu plus haut). La religion juive est double parce que la tradition des livres saints est d’inspiration spirituelle : les prophètes qui ont écrit les livres de l’Ancien Testament étaient des chrétiens de la loi ancienne, c’est-à-dire qu’ils étaient inspirés par l’Esprit Saint.
En revanche, le peuple avait un cœur charnel, c’est-à-dire attaché aux seuls biens terrestres.
Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318). Deux sortes d’hommes en chaque religion.
Parmi les païens des adorateurs de bêtes, et les autres adorateurs d’un seul dieu dans la religion naturelle.
Parmi les Juifs les charnels et les spirituels qui étaient les chrétiens de la loi ancienne.
On trouve la même différence parmi les chrétiens, comme l’indique le même fragment : Parmi les chrétiens les grossiers qui sont les Juifs de la loi nouvelle. Les Juifs charnels attendaient un Messie charnel et les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu. Les vrais Juifs et les vrais chrétiens adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu. L’allusion est ici très claire : dans la Xe Provinciale, Pascal reproche aux casuistes probabilistes et aux jésuites d’enseigner qu’il n’est pas nécessaire d’aimer Dieu. Les chrétiens grossiers ne sont naturellement pas les jésuites seuls ; mais la Compagnie de Jésus a élevé en système l’idée qu’il n’est pas inutile de rapporter toute la vie spirituelle de l’homme à Dieu.
Pascal résume l’idée dans le fragment Perpétuité 9 (Laf. 287, Sel. 319). Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu’ils n’entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l’Évangile, les apôtres et la tradition, mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal.
Le Messie selon les Juifs charnels doit être un grand prince temporel. J. C. selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous ; ni l’un ni l’autre n’est la religion chrétienne, ni juive.
Les vrais juifs et les vrais chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les ferait aimer Dieu et par cet amour triompher de leurs ennemis.
La morale et la félicité en est ridicule dans la tradition du peuple, mais elle est admirable dans celle de leurs saints.
Pascal pense ici aux cérémonies auxquelles la religion juive soumettait ses fidèles, comme la circoncision et les sacrifices.
Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais Juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion.
La religion des Juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse.
Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait toutes les autres choses.
Mais comme l’indique le fragment Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301), la cérémonie grossière de la circoncision est la figure de la circoncision du cœur, qui est la seule que Dieu demande véritablement.
Le fondement en est admirable. C’est le plus ancien livre du monde et le plus authentique
Pascal considère ici le fondement constitué par l’ensemble de l’Ancien Testament, et particulièrement le Pentateuque.
Sur l’ancienneté du Pentateuque, voir le fragment Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691).
Sur la manière dont Pascal conçoit la certitude de l’authenticité du Pentateuque, voir le fragment Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688). Antiquité des Juifs.
Qu’il y a de différence d’un livre à un autre ! Je ne m’étonne pas de ce que les Grecs ont fait l’Iliade, ni les Égyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que voir comment cela est né. Ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman, qu’il donne pour tel et qui est reçu pour tel ; car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n’avaient non plus été que la pomme d’or. Il ne pensait pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement ; il est le seul qui écrit de son temps, la beauté de l’ouvrage fait durer la chose : tout le monde l’apprend et en parle ; il la faut savoir, chacun la sait par cœur. Quatre cents ans après, les témoins des choses ne sont plus vivants ; personne ne sait plus par sa connaissance si c’est une fable ou une histoire : on l’a seulement appris de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai.
Toute histoire qui n’est pas contemporaine est suspecte ; ainsi les livres des sibylles et de Trismégiste, et tant d’autres qui ont eu crédit au monde, sont faux et se trouvent faux à la suite des temps. Il n’en est pas ainsi des auteurs contemporains.
Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.
L’authenticité de l’Ancien Testament tient au fait que c’est lui qui a constitué le peuple juif autour de la révélation, et non le peuple juif qui l’a inventé comme une légende.
Sur le fait que la Bible a été conservée avec soin à travers les temps, voir Preuves par les Juifs II (Laf. 452, Sel. 692).
et au lieu que Mahomet pour faire subsister le sien a défendu de le lire, Moïse pour faire subsister le sien a ordonné à tout le monde de le lire.
Fausseté 7 (Laf. 209, Sel. 241). Mahomet en défendant de lire, les apôtres en ordonnant de lire.
La liasse Fausseté des autres religions revient à plusieurs reprises sur l’obscurantisme musulman.
Et toute religion est de même,
Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318). Deux sortes d’hommes en chaque religion.
Parmi les païens des adorateurs de bêtes, et les autres adorateurs d’un seul dieu dans la religion naturelle.
Parmi les Juifs les charnels et les spirituels qui étaient les chrétiens de la loi ancienne.
Parmi les chrétiens les grossiers qui sont les Juifs de la loi nouvelle.
Les Juifs charnels attendaient un Messie charnel et les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu. Les vrais Juifs et les vrais chrétiens adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu.
car la chrétienne est bien différente dans les livres saints et dans les casuistes.
Voir plus haut, sur les chrétiens grossiers.
Pascal oppose ici les livres du Nouveau Testament et ce que les casuistes font de la loi de Dieu. L’opposition est très fermement marquée dans le Factum des Curés de Paris, § 6-7 : « On voit, [...] l’esprit de ces casuistes, et comment, en détruisant les règles de la piété, ils font succéder au précepte de l’Écriture, qui nous oblige de rapporter toutes nos actions à Dieu, une permission brutale de les rapporter toutes à nous-mêmes : c’est-à-dire, qu’au lieu que Jésus-Christ est venu pour amortir en nous les concupiscences du vieil homme, et y faire régner la charité de l’homme nouveau, ceux-ci sont venus pour faire revivre les concupiscences et éteindre l’amour de Dieu, dont ils dispensent les hommes, et déclarent que c’est assez pourvu qu’on ne le haïsse pas.
Voilà la morale toute charnelle qu’ils ont apportée, qui n’est appuyée que sur le bras de chair, comme parle l’Écriture, et dont ils ne donnent pour fondement, sinon que Sanchez, Molina, Escobar, Azor, etc., la trouvent raisonnable ; d’où ils concluent qu’on la peut suivre en toute sûreté de conscience et sans aucun risque de se damner. »
Notre religion est si divine qu’une autre religion divine n’en a que le fondement.
Il faut comprendre que, des deux religions qui révèlent véritablement Dieu, la juive et la chrétienne, la première n’a que le fondement de la chrétienne : elle a l’Ancien Testament, et non le Nouveau, qu’elle refuse. Pascal va montrer dans Loi figurative que l’Ancien Testament, quoique inspiré, n’est que la figure du Nouveau, de sorte que la religion juive a bien le fondement, mais qu’elle n’a pas l’édifice de la vraie religion.