Dossier de travail - Fragment n° 1 / 35  – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 1 p. 191 / C2 : p. 1

Éditions savantes : Faugère II, 384, LIII / Brunschvicg 197 / Le Guern 363 / Lafuma 383 / Sellier 2

 

 

 

 D’être insensible à mépriser les choses intéressantes et devenir insensible au point qui nous intéresse le plus.

 

 

Ce fragment rappelle en quelques mots les paradoxes que les liasses Misère et Vanité ont éclairé de l’incohérence de la conduite des hommes qui agissent sans s’en rendre compte contre leur intérêt le plus immédiat. Le même thème sera orchestré avec plus d’ampleur dans le texte Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Le point qui nous intéresse le plus est évidemment le destin et le salut de l’âme après la mort.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Vanité 17 (Laf. 29, Sel. 63). Ferox gens nullam esse vitam sine armis rati. Ils aiment mieux la mort que la paix, les autres aiment mieux la mort que la guerre.

Toute opinion peut être préférable à la vie, dont l’amour paraît si fort et si naturel.

Vanité 26 (Laf. 39, Sel. 73). Les hommes s’occupent à suivre une balle et un lièvre. C’est le plaisir même des rois.

Vanité 30 (Laf. 43, Sel. 77). Peu de chose nous console parce que peu de chose nous afflige.

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Rien n'est si important à l'homme que son état ; rien ne lui est si redoutable que l'éternité. Et ainsi, qu'il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être et au péril d'une éternité de misères, cela n'est point naturel. Ils sont tout autres à l'égard de toutes les autres choses : ils craignent jusqu'aux plus légères, ils les prévoient, ils les sentent ; et ce même homme qui passe tant de jours et de nuits dans la rage et dans le désespoir pour la perte d'une charge ou pour quelque offense imaginaire à son honneur, c'est celui-là même qui sait qu'il va tout perdre par la mort, sans inquiétude et sans émotion. C'est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes. C'est un enchantement incompréhensible, et un assoupissement surnaturel, qui marque une force toute-puissante qui le cause. Il faut qu'il y ait un étrange renversement dans la nature de l'homme pour faire gloire d'être dans cet état, dans lequel il semble incroyable qu'une seule personne puisse être. Cependant l'expérience m'en fait voir un si grand nombre, que cela serait surprenant si nous ne savions que la plupart de ceux qui s'en mêlent se contrefont et ne sont pas tels en effet. Ce sont des gens qui ont ouï dire que les belles manières du monde consistent à faire ainsi l'emporté. C'est ce qu'ils appellent avoir secoué le joug, et qu'ils essayent d'imiter. Mais il ne serait pas difficile de leur faire entendre combien ils s'abusent en cherchant par là de l'estime. Ce n'est pas le moyen d'en acquérir, je dis même parmi les personnes du monde qui jugent sainement des choses et qui savent que la seule voie d'y réussir est de se faire paraître honnête, fidèle, judicieux et capable de servir utilement son ami, parce que les hommes n'aiment naturellement que ce qui peut leur être utile. Or, quel avantage y a-t-il pour nous à ouïr dire à un homme qu'il a donc secoué le joug, qu'il ne croit pas qu'il y ait un Dieu qui veille sur ses actions, qu'il se considère comme seul maître de sa conduite, et qu'il ne pense en rendre compte qu'à soi-même ? Pense-t-il nous avoir porté par là à avoir désormais bien de la confiance en lui, et en attendre des consolations, des conseils et des secours dans tous les besoins de la vie ? Prétendent-ils nous avoir bien réjoui, de nous dire qu'ils tiennent que notre âme n'est qu'un peu de vent et de fumée, et encore de nous le dire d'un ton de voix fier et content ? Est-ce donc une chose à dire gaiement ? et n'est-ce pas une chose à dire tristement, au contraire, comme la chose du monde la plus triste ?

Pensées diverses (Laf. 632, Sel. 525). La sensibilité de l'homme aux petites choses et l'insensibilité aux plus grandes choses, marque d'un étrange renversement.

 

Mots-clés : Chose – InsensibleIntéresserMépris.