Dossier de travail - Fragment n° 5 / 35 – Papier original : RO 485-6
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 4 p. 191 / C2 : p. 1
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 262 / 1678 n° 47 p. 254
Éditions savantes : Faugère II, 387 / Havet XXIV.26 ter / Brunschvicg 241 / Tourneur p. 300-2 / Le Guern 366 / Lafuma 387 / Sellier 6
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Bibliographie ✍
Voir la bibliographie du fragment Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), sur les partis et l’argument du pari. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993. |
✧ Éclaircissements
Ordre.
Pourquoi faire intervenir cette idée dans un fragment consacré à l’ordre ? Ou en retournant la question : pourquoi intituler Ordre un fragment qui n’indique rien qui touche l’ordre ? Voir le commentaire de l’éd. Brunschvicg minor, Br. 241, p. 444 : « Cette pensée résume la dialectique préliminaire à l’Apologie : le libertin est retourné : il avait surtout peur de se tromper en croyant la religion vraie, maintenant il a peut de se tromper en la croyant fausse, et de trouver par la suite qu’elle est vraie. Le lecteur de Pascal désire que la religion soit vraie ; il s’agit de lui prouver qu’elle l’est en effet ». Ce commentaire a l’intérêt de montrer la combinaison des préoccupations relevant de l’art d’agréer (relatif au souverain bien) avec celles qui relève de l’art de démontrer. Il peut se recommander du rapprochement avec Ordre 10 (Laf. 12, Sel. 46) : Ordre. Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu'elle soit vraie. Pour guérir cela il faut commencer par montrer que la religion n'est point contraire à la raison. Vénérable, en donner respect. La rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu'elle fût vraie et puis montrer qu'elle est vraie. Vénérable parce qu'elle a bien connu l'homme. Aimable parce qu'elle promet le vrai bien.
J’aurais bien plus de peur de me tromper et de trouver que la religion chrétienne soit vraie, que non pas de me tromper en la croyant vraie.
Le pronom je ne désigne évidemment pas Pascal lui-même. Il lui sert seulement à forger un individu fictif qui compare les craintes que peuvent ressentir un croyant et un incrédule.
Que non pas de me tromper : on doit comprendre que de ne pas me tromper. Dans ce cas, je croyais la religion vraie et je ne me trompais pas, c’est-à-dire qu’elle est effectivement vraie. Si dans ce cas j’ai une raison de craindre, c’est que si la religion est vraie, il est toujours possible que je n’aie pas reçu la grâce nécessaire pour compter parmi les élus. Il demeure cependant possible que je sois sauvé.
Si la religion est vraie et si je me suis trompé, c’est que je ne la croyais pas, et que je m’aperçois qu’elle est vraie. Par suite, j’ai raison d’avoir grand peur, car m’étant trompé en vivant dans l’incrédulité et m’apercevant que la religion chrétienne est vraie, il est dans ce cas certain que mon salut est compromis.
Ce texte peut être éclairci par le fragment Laf. 748, Sel. 621. Objection. Ceux qui espèrent leur salut sont heureux en cela, mais ils ont pour contrepoids la crainte de l’enfer. Réponse. Qui a plus sujet de craindre l’enfer, ou celui qui est dans l’ignorance s’il y a un enfer, et dans la certitude de la damnation s’il y en a ; ou celui qui est dans une certaine persuasion qu’il y a un enfer, et dans l’espérance d’être sauvé s’il est ?
On peut cependant entendre le texte en un sens un peu différent. L’expression que non pas se trouve aussi dans le fragment Morale chrétienne 17 (Laf. 367, Sel. 400). Point formaliste. Quand saint Pierre et les apôtres délibèrent d’abolir la circoncision où il s’agissait d’agir contre la loi de Dieu, Ils ne consultent point les prophètes mais simplement la réception du Saint-Esprit en la personne des incirconcis. Ils jugent plus sûr que Dieu approuve ceux qu’il remplit de son esprit que non pas qu’il faille observer la loi. Non pas doit alors être entendu au sens de au contraire. Dans ce cas, il s’agit toujours d’une comparaison de la crainte que peut avoir l’incrédule avec celle que peut avoir le chrétien, mais il faut entendre : J'aurais bien plus de peur de me tromper et de trouver que la religion chrétienne soit vraie que de me tromper en la croyant vraie : c’est-à-dire j’aurais plus peur de me tromper en n’ayant pas la foi de m’apercevoir qu’elle est vraie, que de croire et de sombrer dans le néant parce qu’elle n’est pas vraie.
Dans les deux cas, cette alternative situe le lecteur dans une situation qui fait écho à l’argument du pari, Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680). Alors que dans Infini rien, Pascal compare les éventualités en soulignant les espérances pour déterminer la plus avantageuse, dans le présent fragment il compare les craintes que doit susciter l’alternative.
La controverse pourrait se poursuivre comme suggère le fragment Commencement 8 (Laf. 158, Sel. 190). Par les partis vous devez vous mettre en peine de rechercher la vérité, car si vous mourez sans adorer le vrai principe vous êtes perdu. Mais dites-vous, s’il avait voulu que je l’adorasse il m’aurait laissé des signes de sa volonté. Aussi a-t-il fait, mais vous les négligez, cherchez-les donc, cela le vaut bien.
La crainte de perdre la grâce du salut, fût-ce au dernier moment, est un sentiment normal chez le chrétien. C’est celui que Pascal a exprimé dans ses dernières paroles, Que Dieu ne m’abandonne jamais. En revanche, la peur que le risque de la damnation peut engendrer chez l’incrédule ne peut engendrer qu’une crainte servile, qui n’a rien de commun avec la foi du cœur.
Dans le texte, Pascal n’impose pas le choix à faire. Il compare deux conditions et deux sujets d’appréhension, il ne dit même pas qu’il faut choisir en fonction de la moindre crainte.