Preuves par discours II - Fragment n° 1 / 7  – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 33 p. 209 à 217 / C2 : p. 419 à 429

Éditions de Port-Royal : Chap. I - Contre l’Indifférence des Athées : 1669 et janvier 1670 p. 1-18  /

1678 n° 1 p. 1-17

Éditions savantes : Faugère II, 5 / Havet IX.1 / Michaut 898 / Brunschvicg 194 / Le Guern 398 / Lafuma 427 (série III) / Sellier 681

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Éclaircissements

 

 

 

Sommaire

 

Bibliographie et généralités

Analyse du texte Qu’ils apprennent au moins quelle est la religion qu’ils combattent...

Analyse du texte L’immortalité de l’âme est une chose qui nous importe si fort...

Analyse du texte Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde...

 

 

Bibliographie

 

Voir les bibliographies des dossiers thématiques sur le Dieu caché et sur les Libertins.

 

CHARLES-DAUBERT Françoise, Les libertins érudits en France au XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1998.

DE GANDILLAC Maurice, “Pascal et le silence du monde”, in Blaise Pascal. L’homme et l’œuvre, Colloque de Royaumont, Paris, Éditions de Minuit, 1956.

DESCOTES Dominique, “De la XIe Provinciale aux Pensées”, in Treize études sur Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2004, p. 75-83.

DROZ Edouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, Paris, Alcan, 1886, p. 128.

FERREYROLLES Gérard, “L’ironie dans les Provinciales de Pascal”, Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, 38, 1986, p. 39-50.

FERREYROLLES Gérard, “Éthique et polémique en christianisme : le cas des Provinciales”, in J.-C. Darmon et P. Desan (dir.), Pensée morale et genres littéraires, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, p. 63-80.

FERREYROLLES Gérard, “Saint Thomas et Pascal : les règles de la polémique chrétienne”, in Séries et variations. Études littéraires offertes à Sylvain Menant, Paris, PUPS, 2010, p. 687-703.

GHEERAERT Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, Paris, Champion, 2003.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, Paris, Vrin, 1971.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

KOLAKOWSKI Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997.

McKENNA Antony, “Le libertin interlocuteur de Pascal dans les Pensées”, in ROMEO Maria Vita (dir.), Abraham : individualità e assoluto, Atti delle giornate Pascal 2004, Catane, CUECM, 2006, p. 115-129.

McKENNA Antony, Molière dramaturge libertin, Paris, Champion, 2005.

McKENNA Antony, “Pascal et Gassendi : la philosophie du libertin dans les Pensées”, XVIIe siècle, 233, octobre 2006, p. 635-647.

MESNARD Jean, Pascal, Coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MESNARD Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, Studi francesi, 143, anno XLVIII, maggio-agosto 2004, p. 300-320.

MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007.

NICOLE Pierre, Essais de morale, I, De la crainte de Dieu, ch. III, éd. 1755, p. 167.

PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, 2009.

PINTARD René, “Pascal et les libertins”, in Pascal présent, Clermont-Ferrand, De Bussac, 1963, p. 105-130.

SELLIER Philippe, “Les leçons de la Lettre pour porter à rechercher Dieu”, Port-Royal et la littérature, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 125-140.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, Le Saint Augustin de Pascal, Rivista di storia e letteratura religiosa, Firenze, L. S. Olschki, 2009, p. 359-371.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

SILHON Jean de, De l’immortalité de l’âme, Paris, Pierre Billaine, 1634.

STIKER-MÉTRAL Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris Champion, 2007.

SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal, Paris, Champion, 2008.

WANEGFFELEN Thierry, Une difficile fidélité. Catholiques malgré le concile en France, XVIe-XVIIe siècles, Paris, Presses Universitaires de France, 1999.

 

Généralités

 

Pascal cherche à retourner une situation ordinaire qui place le chrétien en état d’infériorité : en général, c’est l’incrédule qui raisonne sur la religion, et prenant le chrétien comme objet de discours, tourne sa conduite en dérision. Pascal tente de renverser cette situation : s’adressant à un lecteur de bon sens, il prend à son tour la conduite de l’incrédule pour objet d’une analyse critique et satirique.

Ce renversement procède en deux temps : il faut montrer d’abord que le discours de l’incrédule ne peut pas être pris au sérieux, parce qu’il raisonne de manière incohérente. De ce fait, l’incrédule devient un objet de spectacle et de satire. Il faut ensuite montrer que ce qu’il dit s’explique par la religion même qu’ils prétendent contester. Pascal s’appuie à cet effet sur la doctrine du Deus absconditus, qui rend compte de la situation des incrédules et permet de présenter leur conduite même comme une preuve de la religion chrétienne.

La brusquerie du début de ce texte contraste avec celui du fragment suivant, où Pascal précise de façon un peu laborieuse l’objet de son argumentation et sa situation dans l’ensemble de son projet : Avant que d'entrer dans les preuves de la religion chrétienne, je trouve nécessaire de représenter l'injustice des hommes qui vivent dans l'indifférence de chercher la vérité d'une chose qui leur est si importante, et qui les touche de si près.

De tous leurs égarements, c'est sans doute celui qui les convainc le plus de folie et d'aveuglement, et dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premières vues du sens commun et par les sentiments de la nature. Car il est indubitable que le temps de cette vie n'est qu'un instant, que l'état de la mort est éternel, de quelque nature qu'il puisse être, et qu'ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l'état de cette éternité, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet.

Mesnard Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, Studi francesi, 143, anno XLVIII, maggio-agosto 2004, p. 300-320. Voir p. 303.

Voir l’éd. Sellier, Garnier, p. 360, n. 1, qui considère ce fragment comme une dilatation interne de la liasse Commencement, renvoyant à Ordre 9 (Laf. 11, Sel. 45), qui indique que la lettre qu’on doit chercher Dieu précède la lettre d’ôter les obstacles qui est le discours de la machine, c’est-à-dire l’argument du pari.

Le déroulement de la composition des différents textes qui traitent de la nécessité de la recherche semble être le suivant.

La rédaction du fragment Preuves par discours II, 2 (Laf. 428-429, Sel. 682) a précédé celle de Preuves par discours II, 1. En effet

1. Preuves par discours II, 2 est plus court et surtout sommaire que Preuves par discours II, 1. La rédaction du fragment 1 a plus d’ampleur, et les idées y sont plus développées.

Plusieurs thèses qui sont développés dans Preuves par discours II, 1 n’apparaissent pas encore dans Preuves par discours II, 2 : manquent notamment

- l’idée qu’il faut avoir de la compassion pour ceux qui cherchent en gémissant,

- tout ce qui touche le Dieu caché,

- le fait que les incrédules prétendent avoir fait beaucoup par une recherche sommaire,

- l’idée que l’obscurité alléguée par les incrédules établit ce que l’Église soutient au lieu de le ruiner.

2. Le fragment Preuves par discours II, 1 intègre les indications des « insertions » réunies dans Preuves par discours II, 4 (Laf. 432 série IV, Sel. 684) et (Laf 432 série XXX, Sel. 662), alors que ce n’est pas le cas de Preuves par discours II, 2, qui ne mentionne

- ni l’argument de la recherche du « bon air »,

- ni le « vous me convertirez ».

En revanche, une note comme C’est donc un malheur que de douter, mais c’est un devoir indispensable de chercher dans le doute… (Laf. 432 série XXX, Sel. 662) est reprise quasi littéralement dans le fragment Preuves par discours II, 1 (C’est donc assurément un grand mal que d’être dans ce doute. Mais c’est au moins un devoir indispensable de chercher, quand on est dans ce doute, etc.). De même, la note Le beau sujet de se réjouir et de se vanter… et la note Quel sujet de joie de ne plus attendre que des misères… sont reprises dans le fragment Preuves par discours II, 1 (Quel sujet de joie trouve-t-on à n’attendre plus que des misères sans ressources ? Quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables, et comment se peut-il faire que ce raisonnement se passe dans un homme raisonnable ?), mais non dans Preuves par discours II, 2.

Surtout, la principale originalité de Preuves par discours I, savoir la rétorsion qui consiste à dire que les incrédules sont eux-mêmes une preuve de la corruption de l’homme, de sorte que leur indifférence monstrueuse peut être retournée en preuve de la vérité d’un principe fondamental de la religion chrétienne, manque complètement dans le fragment Preuves par discours II, 2. En revanche, elle se trouve dans les « insertions », et dans le fragment Preuves par discours II, 1.

Le présent fragment constitue une amplification de la partie de Preuves par discours II, 2 qui va approximativement de Voilà un doute d'une terrible conséquence. Ils sont dans le péril d’une éternité de misères; et sur cela, comme si la chose n'en valait pas la peine, ils négligent d'examiner si c'est de ces opinions que le peuple reçoit avec une facilité trop crédule, ou de celles qui, étant obscures d'elles-mêmes, ont un fondement très solide, quoique caché. Ainsi ils ne savent s'il y a vérité ou fausseté dans la chose, ni s'il y a force ou faiblesse dans les preuves. Ils les ont devant les yeux, et ils refusent d'y regarder, et, dans cette ignorance, ils prennent le parti de faire tout ce qu'il faut pour tomber dans ce malheur au cas qu'il soit, d'attendre à en faire l'épreuve à la mort, d'être cependant fort satisfaits en cet état, d'en faire profession et enfin d'en faire vanité. Peut-on penser sérieusement à l'importance de cette affaire sans avoir horreur d'une conduite si extravagante ?, jusqu’à Je ne sais, disent-ils (formule dont le discours de l’incrédule paresseux dans Preuves par discours II, 1 donne la rédaction complète). Comme l’amplification ne portait que sur une partie de Preuves par discours II, 2, ce dernier papier n’a pas été détruit, en vue d’une autre utilisation ultérieure.

Il faut aussi remarquer que, pour rédiger Preuves par discours II, 1, Pascal a sans doute dû se servir d’un autre papier, qui, lui, a été détruit après avoir été exploité.

Dans Preuves par discours II, 2, seuls se trouvent les premiers mots d’un discours qui, commençant par « je ne sais », est manifestement attribué à l’incrédule paresseux (et qui ne peut être le discours qui commence par « Voilà ce que je vois et qui me trouble », nécessairement attribué à un incroyant angoissé par son ignorance et prêt à chercher en gémissant). Ce texte aurait été jeté après avoir été exploité dans Preuves par discours II, 1.

Cependant, comme nous ne possédons que les copies des originaux de ces textes, faute de savoir certainement si Pascal a conservé le dossier intact ou s’il l’a découpé, il ne peut s’agir là que d’une hypothèse.