Fragment Loi figurative n° 11 / 31 – Papier original : RO 17-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 299 p. 125 v°-127 / C2 : p. 152-153
Éditions de Port-Royal : Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 142-143 / 1678 n° 14 p. 140-141
Éditions savantes : Faugère II, 281, XXIV / Havet XX.11 / Brunschvicg 758 / Tourneur p. 257-5 / Le Guern 239 / Lafuma 255 / Sellier 287
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Bibliographie ✍
BOUCHER Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, contenant les résolutions de trois cent soixante et dix questions sur le sujet de la foi, de l’Écriture sainte, de la création du monde, de la rédemption du genre humain, de la divine providence, et de l’immortalité de l’âme, proposées par Typhon, maître des impies et libertins de ce temps et répondues par Dulithée, Paris, Charles Roulliard, 1628. DE LUBAC Henri, Exégèse médiévale, Les quatre sens de l’Écriture, II, 2, Paris, Aubier, 1964, p. 170. FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989. LACOMBE Roger-E., L’apologétique de Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1958, p. 219 sq. LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 562 sq. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., SEDES-CDU, 1993. SELLIER Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, II, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 461-470, et “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, ibid., p. 471-483. VOLTAIRE, Lettres philosophiques, éd. Ferret et McKenna, Paris, Garnier, 2010. |
✧ Éclaircissements
Les prophéties qui ont prédit le temps sont claires, celles qui ont prédit la qualité du Messie sont obscures.
Dieu, pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants, l’a fait prédire en cette sorte.
Le début de ce fragment fait écho au fragment Fondement 1 (Laf. 223, Sel. 256). Il faut mettre au chapitre des fondements ce qui est en celui des figuratifs touchant la cause des figures. Pourquoi J.-C. prophétisé en son premier avènement ? pourquoi prophétisé obscurément en la manière.
La raison répond au principe formulé dans le fragment Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.
Dans la partie barrée du texte, Pascal use ici du mot qualité, auquel il préférera manière. Mais les deux mots ne sont pas équivalents : manière correspond à la prédiction, qualité correspond à la personne du Christ qui est prédite.
Pourquoi ce passage a-t-il été barré ? En fait, Pascal est ici en train d’éclaircir une question dont les termes sont plus complexes que dans le présent fragment, comme le montre le fragment Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738), Raisons pourquoi figures.
Pascal pose la distinction suivante :
Les prédictions du temps de l’avènement du Christ sont exprimées en termes clairs.
Les prédictions de la manière de l’avènement du Christ sont exprimées en termes obscurs.
Il procède comme il l’a fait dans plusieurs fragments, par un double raisonnement apagogique :
1. montrer que la prédiction du temps ne saurait pas être obscure,
2. montrer que la prédiction de la manière ne peut pas être claire.
Sellier Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, II, Pascal, 2e éd., p. 466-468, sur le temps et la manière.
L’objet de Pascal ici est d’expliquer comment les prophéties ont pu être comprises par les uns et non par les autres. Il est en effet paradoxal que le peuple juif, qui s’est montré des siècles durant profondément attaché aux Écritures, n’en ait, dans son immense majorité, pas compris le sens spirituel, n’y ait vu que la promesse de biens purement matériels, et se soit arrêté à l’annonce d’un Messie purement politique.
Toutefois, Pascal doit prévenir une objection grave, courante dans les écrits clandestins de certains libres penseurs, qui consiste à dire que si les discours des prophètes étaient obscurs, ce ne sont pas les Juifs qui sont responsables de s’être trompés sur leur sens, mais bien les prophètes eux-mêmes, qui n’avaient pas été capables de s’exprimer de manière intelligible ; et comme les prophètes sont censés parler sous l’inspiration de l’Esprit saint, le reproche d’obscurité retomberait par là sur Dieu lui-même.
C’est ce que suggère par exemple la réponse que Voltaire adresse dans le § XII de la XXVe Lettre philosophique, éd. Ferret et McKenna, Paris, Garnier, 2010, p. 172. Citant la fin du fragment (Prophéties VIII - Laf. 502, Sel. 738) dans l’édition de Port-Royal, il répond en excusant les Juifs de s’être abusés sur le sens des prophéties. Pascal écrit : [Le sens caché des prophéties] ne pouvait induire en erreur, et il n’y avait qu’un peuple aussi charnel que celui-là qui s’y pût méprendre. Car quand les biens sont promis en abondance qui les empêchait d’entendre les véritables biens, sinon leur cupidité qui déterminait ce sens aux biens de la terre ? Voltaire répond : « En bonne foi, le peuple le plus spirituel de la terre l’aurait-il entendu autrement ? Ils étaient esclaves des Romains ; ils attendaient un libérateur qui les rendrait victorieux et qui ferait respecter Jérusalem dans tout le monde. Comment, avec les lumières de leur raison, pouvaient-ils voir ce vainqueur, ce monarque dans Jésus pauvre et mis en croix ? Comment pouvaient-ils entendre, par le nom de leur capitale, une Jérusalem céleste, eux à qui le Décalogue n’avait pas seulement parlé de l’immortalité de l’âme ? » Voltaire conclut cruellement que « Pascal né parmi les Juifs s’y serait mépris comme eux » ; mais ensuite, il coupe court aux conclusions qui s’imposent en recommandant de renoncer à « vouloir percer dans l’obscurité » des « mystères » de Dieu, laissant au lecteur le soin de tirer par lui-même les conclusions qui s’imposent contre la religion chrétienne.
Du point de vue de Pascal, en revanche, il importe que la responsabilité de l’aveuglement des Juifs ne soit pas imputé à Dieu, car Dieu étant par définition vérace, ne peut vouloir tromper les hommes. L’aveuglement des Juifs doit par conséquent pouvoir être attribué à une autre cause, savoir la disposition de l’homme lui-même.
Pascal résout cette première difficulté en reprenant l’idée traditionnelle que les prophéties étaient obscures en raison du langage figuratif adopté par les auteurs sacrés, qui parlaient en termes matériels de réalités spirituelles, sur le sens véritable duquel les Juifs sont tombés dans l’erreur à cause de leur cœur charnel. Comme l’écrit Henri De Lubac, Exégèse médiévale, II, 2, p. 170, la profondeur des mystères divins doit être cachée aux indignes, aux infidèles, aux orgueilleux.
Cependant, le problème est plus complexe : la difficulté est accrue par le fait qu’il ne faut pas seulement expliquer pourquoi les Juifs n’en ont pas compris le sens spirituel des prophéties, mais aussi comment d’autres, eux, ont su comprendre la révélation qu’elles apportaient (ce sont ceux que Pascal appelle les vrais Juifs, qui adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu, Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318).
Pascal s’appuie donc sur la maxime formulée dans le fragment Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). Il résout la difficulté en distinguant deux dispositions du cœur chez les hommes : les méchants et les bons, comme dit le fragment Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287), ou, comme Pascal le précise dans les fragments les plus développés, les esprits charnels et les spirituels. Corrélativement, il distingue deux sens dans les prophéties, le charnel qui est purement figuratif, et le spirituel qui répond à la vérité de la révélation chrétienne.
Il est donc conduit, pour expliquer que les uns parviennent à pénétrer le sens des Écritures, alors que les autres les prennent à contresens, à distinguer deux aspects séparés des prophéties messianiques, l’annonce du temps auquel le Messie devait advenir d’une part, et d’autre part l’annonce de la manière dont il devait paraître.
À chacun de ces aspects correspond un mode de connaissance et une voie d’accès distincts.
L’annonce du temps relève de la seule raison : c’est une pure question de chronologie : en étudiant les Écritures, et en recoupant les différentes prédictions des prophètes, on parvient à déterminer de manière assez précise l’époque à laquelle le Messie doit être attendu.
Prophéties 18 (Laf. 339, Sel. 371). Les prophètes ayant donné diverses marques qui devaient toutes arriver à l’avènement du Messie il fallait que toutes ces marques arrivassent en même temps. Ainsi il fallait que la quatrième monarchie fût venue lorsque les septante semaines de Daniel seraient accomplies et que le sceptre fût alors ôté de Juda. Et tout cela est arrivé sans aucune difficulté et qu’alors il arrivât le Messie et J.-C. est arrivé alors qui s’est dit le Messie et tout cela est encore sans difficulté et cela marque bien la vérité des prophéties.
Prophéties 14 (Laf. 336, Sel. 367). Il faut être hardi pour prédire une même chose en tant de manières. Il fallait que les 4 monarchies, idolâtres ou païennes, la fin du règne de Juda, et les 70 semaines arrivassent en même temps, et le tout avant que le 2e temple fût détruit.
Il n’est besoin, pour les comprendre de tels calculs chronologiques, que de la pure raison, égale et identique en tous les hommes, bons ou mauvais. Par conséquent, comme l’écrit Pascal, « les bons » qui sont disposés de bonne foi à recevoir une révélation spirituelle, « ne s’égarent pas ».
Le second aspect des prophéties est relatif à la manière dont le Messie est annoncé. Celui-là n’est pas accessible par la raison, mais seulement par le cœur, qui, contrairement à la raison, n’est pas identiquement disposé en tous les hommes.
En effet, le langage dont usent les prophètes de l’ancien Testament pour parler de l’avènement du Messie est équivoque : le Messie est annoncé comme un prince puissant et un conquérant, qui libérera le peuple juif et mettra Jérusalem dans toute sa gloire parmi les peuples. Ce langage est figuratif : les termes d’ordre politique ont en réalité une signification spirituelle : Jésus-Christ devait bien être roi, mais dans l’ordre de la charité. Il n’a pas été un souverain guerrier, il n’a pas cherché à dominer les peuples et à établir un royaume. S’il a mené un combat, c’est métaphoriquement, contre le mal et le péché : J.-C. sans biens, et sans aucune production au dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n’a point donné d’inventions. Il n’a point régné, mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Ô qu’il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence aux yeux du cœur et qui voient la sagesse (Preuves de Jésus-Christ 11 - Laf. 308, Sel. 339). Jésus-Christ est donc paru sous un aspect qui, tout en répondant au sens figuré des prophéties, n’en était pas moins tout différent du Messie politique que les Juifs charnels attendaient.
Mais des deux sens, l’un littéral et charnel, l’autre métaphorique et spirituel, dont les prophéties sur la manière de l’avènement étaient susceptibles, les hommes choisissent celui qui répond aux désirs profonds de leur cœur : les spirituels saisissent immédiatement que les prophètes annoncent un Messie spirituel, mais les charnels vont naturellement à l’autre sens, prenant la figure pour la réalité.
Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Dans ces promesses-là chacun trouve ce qu’il a dans le fond de son cœur, les biens temporels ou les biens spirituels, Dieu ou les créatures, mais avec cette différence que ceux qui y cherchent les créatures les y trouvent, mais avec plusieurs contradictions, avec la défense de les aimer, avec l’ordre de n’adorer que Dieu et de n’aimer que lui.
Par conséquent, s’appuyant toujours sur le principe de Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264), Pascal peut exclure les deux éventualités qui ne répondent pas au dessein de Dieu.
Si la manière du Messie eût été prédite clairement, il n’y eût point eu d’obscurité, même pour les méchants.
Voir Fondement 11 (Laf. 234, Sel. 266) : Dieu, qui veut abaisser la superbe, veut par conséquent plus disposer la volonté que l’esprit, la clarté parfaite servirait à l’esprit et nuirait à la volonté, puisqu’elle déterminerait tous les hommes, bons ou mauvais, à suivre une vérité évidente.
Cette hypothèse contredirait le but formulé dans le fragment Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.
Si le temps eût été prédit obscurément, il y eût eu obscurité même pour les bons,
Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 562 sq.
Si le temps de l’avènement était demeuré complètement caché, les hommes auraient été privés de tout moyen de « calculer » le moment où le Messie se montrerait, et par suite tous les hommes, bons ou méchants, auraient été pris dans une obscurité totale.
En effet, le fait que le temps de l’avènement est accessible par la raison garantit que les hommes ne sont pas nécessairement plongés dans l’obscurité, puisqu’ils peuvent s’appliquer au calcul de la chronologie. Et par conséquent c’est cette possibilité d’accéder à la vérité, toujours laissée à l’homme, qui fait qu’il est responsable de son erreur s’il ne la met pas à profit. En revanche, si on l’ôte, et si ni le cœur ni la raison ne permettent de sortir de l’obscurité, l’erreur de l’homme devient pour ainsi dire nécessaire, et la faute n’en lui en peut être imputée. Il est donc nécessaire, pour que les bons aient un pouvoir réel d’accéder à la vérité, que le temps soit révélé en termes clairs.
Bossuet, dans le Discours sur l’histoire universelle, II, XXIII, soutient que les Juifs ont connu le temps de l’accomplissement, mais que l’humilité du Christ les a trompés : voir l’éd. Pléiade, p. 885.
car la bonté de leur cœur ne leur eût pas fait entendre que par exemple ם signifie 600 ans.
Pascal appuie le précédent raisonnement sur un argument complémentaire.
Dans le cas des bons, la connaissance claire du temps par la raison vient au secours de leur cœur, qu’elle confirme dans son intelligence spirituelle des prophéties.
Mais si l’on admet, par pure hypothèse, que le temps ne soit pas prédit clairement, mais par figure, si par exemple la lettre hébraïque ם (le mem est la lettre de l’alphabet hébraïque qui correspond au m latin) était chargée d’un sens symbolique annonçant la venue du Messie dans un délai de 600 ans, la raison ne pourrait rien y comprendre, car une lettre n’a pas par elle-même une signification numérique. Le cœur non plus ne pourrait pas éclairer la raison sur ce sens symbolique : car un symbole aussi tiré par les cheveux ne relève pas des connaissances que le cœur fournit à l’homme. Par conséquent, comme Pascal l’écrit dans le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303), on ne saurait attribuer à l’Écriture des sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a. Ainsi de dire que le ם d’Isaïe signifie 600 cela n’est pas révélé.
Preuves par les Juifs VI (Laf. 476, Sel. 711). Je ne dis pas que le mem est mystérieux.
Pascal transcrit le mem ainsi dans Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303) : . Il le transcrit comme suit dans le présent fragment :
.
Pascal fait ici allusion à un passage prophétique d’Isaïe qui contient cette lettre.
Voir le commentaire de Havet, dans son édition des Pensées, II, 1866, p. 8-9. On distingue en hébreu le mem מ ouvert dont la figure est ouverte vers le bas, et qui s’emploie au commencement ou au milieu des mots, et le mem fermé, ם, qui ne s’emploie qu’à la fin.
On sait que la plus fameuse des prophéties touchant le Messie est celle du chapitre IX d’Isaïe, verset 6, parvulus enim natus est nobis. Dans le texte hébreu se trouvent les mots lemarbé hamisra, répondant à ceux de la vulgate, multiplicabitur ejus imperium. Le m de lemarbé devrait être un מ ouvert, mais les manuscrits portent au contraire un ם fermé ou final. Les rabbins ont vu dans cette faute d’orthographe un mystère, le ם clos signifiant que le messie naîtrait d’une vierge, ex virgine clausa. Ils poussent cette idée jusqu’au plus grand détail, en s’attachant à la valeur numérale des lettres : le מ vaut 40, le ם fermé vaut 600. Cette anomalie signifierait selon eux que le Messie devait venir au bout de 600 ans.
Voir des indications plus complètes sur ce point dans notre commentaire sur Loi figurative 27.
Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures.
Prophéties 12 (Laf. 333, Sel. 365). Prophéties. Le temps prédit par l’état du peuple juif, par l’état du peuple païen, par l’état du temple, par le nombre des années.
Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Mais Dieu n’ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple qui en était indigne et ayant voulu néanmoins les produire afin qu’elles fussent crues, il en a prédit le temps clairement et les a quelquefois exprimées clairement mais abondamment en figures afin que ceux qui aimaient les choses figurantes s’y arrêtassent et que ceux qui aimaient les figurées les y vissent.
Par ce moyen les méchants, prenant les biens promis pour matériels, s’égarent malgré le temps prédit clairement, et les bons ne s’égarent pas.
Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants.
Décevoir : tromper, abuser.
L’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime : voir le dossier thématique sur le cœur.
Le cœur fixe les fins de l’homme, et, selon Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738), la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses ; tout ce qui nous empêche d’y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures, quoique bonnes, seront ennemies des justes quand elles les détournent de Dieu, et Dieu même est l’ennemi de ceux dont il trouble la convoitise. Ainsi le mot d’ennemi dépendant de la dernière fin, les justes entendaient par là leurs passions et les charnels entendaient les Babyloniens, et ainsi ces termes n’étaient obscurs que pour les injustes.
Preuves par discours I (Laf. 423, Sel. 680). Le cœur aime l’être universel naturellement et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne, et il se durcit contre l’un ou l’autre à son choix.
Les méchants se trompent donc malgré le fait que la lumière est suffisante pour les éclairer pour deux raisons :
1. L’une que Pascal mentionne dans le fragment Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Dans ces promesses-là chacun trouve ce qu’il a dans le fond de son cœur, les biens temporels ou les biens spirituels, Dieu ou les créatures, mais avec cette différence que ceux qui y cherchent les créatures les y trouvent, mais avec plusieurs contradictions, avec la défense de les aimer, avec l’ordre de n’adorer que Dieu et de n’aimer que lui, ce qui n’est qu’une même chose et qu’enfin il n’est point venu Messie pour eux, au lieu que ceux qui y cherchent Dieu le trouvent et sans aucune contradiction avec commandement de n’aimer que lui et qu’il est venu un Messie dans le temps prédit pour leur donner les biens qu’ils demandent : les méchants ne tiennent pas compte des contradictions volontaires des textes prophétiques, ni des avertissements des prophètes sur le fait que leurs prédictions ne seront pas comprises.
2. D’autre part, lorsque le cœur est mauvais, même les clartés peuvent devenir des obscurités. Pascal remarque que, même connaissant le temps de l’avènement du Messie, les Juifs charnels ont su se tromper sur les personnes, et prendre pour l’envoyé de Dieu des personnes très différentes du Christ : voir le fragment Prophéties 16 (Laf. 337, Sel. 369). Hérode cru le Messie. Il avait ôté le sceptre de Juda, mais il n’était pas de Juda. Cela fit une secte considérable. Et Barcosba et un autre reçu par les Juifs. Et le bruit qui était partout en ce temps-là.
♦ Approfondissement de cette doctrine par Pascal
Dans le cours de ses recherches et de ses réflexions, Pascal a compris que le problème qu’il a posé était en réalité encore plus complexe. Ce fragment ne constitue qu’une mise au net initiale d’idées qui vont trouver un ample développement dans des fragments que Pascal a composés ultérieurement, notamment Prophéties VIII.
Il demeure exact que le temps a été prédit si clairement qu’il est plus clair que le soleil. C’est ce que Pascal précise dans le fragment Prophéties 18 (Laf. 339, Sel. 371) : Les prophètes ayant donné diverses marques qui devaient toutes arriver à l’avènement du Messie il fallait que toutes ces marques arrivassent en même temps. Ainsi il fallait que la quatrième monarchie fût venue lorsque les septante semaines de Danielseraient accomplies et que le sceptre fût alors ôté de Juda. Et tout cela est arrivé sans aucune difficulté et qu’alors il arrivât le Messie et J.-C. est arrivé alors qui s’est dit le Messie et tout cela est encore sans difficulté et cela marque bien la vérité des prophéties.
Mais Pascal y ajoute une donnée qui manque dans le présent fragment : ce qui a aussi été annoncé très clairement, c’est l’état du monde au moment de l’avènement du Christ : que la quatrième monarchie fût venue, [...] que le sceptre fût alors ôté de Juda. Autrement dit, la clarté ne tient pas seulement à la possibilité du calcul des années, mais à la connaissance de la situation historique annoncée par les prophètes.
D’autre part, Pascal est conduit à nuancer aussi le seconde membre de sa proposition, les prophéties [...] qui ont prédit la qualité du Messie sont obscures. Il est toujours vrai, pour l’essentiel, que les prophéties ont un sens caché, le spirituel, dont ce peuple était ennemi, sous le charnel dont il était ami (Prophéties VIII - Laf. 502, Sel. 738). Mais si ce sens est couvert d’un autre en une infinité d’endroits, [...] en la foule des passages, il est aussi découvert en quelques-uns rarement, mais en telle sorte néanmoins que les lieux où il est caché sont équivoques et peuvent convenir aux deux, au lieu que les lieux où il est découvert sont univoques et ne peuvent convenir qu’au sens spirituel. En d’autres termes, si le sens spirituel des passages qui expriment la manière de l’avènement du Christ est obscur dans la plupart des cas, il est aussi révélé clairement dans quelques passages qui sont assez clairs pour répandre de la lumière sur ceux qui ne le sont pas.
En d’autres termes, Pascal intègre dans Prophéties VIII, la conséquence de la règle formulée dans le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303), Il n’est pas permis d’attribuer à l’Écriture les sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a. Il y a donc dans l’Écriture des passages qui désignent clairement le sens spirituel des prophéties : Mais nous disons que le sens littéral n’est pas le vrai parce que les prophètes l’ont dit eux-mêmes.
À quoi il faut ajouter que la réflexion de Pascal est parvenue, dans Prophéties VIII, à un degré de complexité et de rigueur logique bien supérieur, dans la mesure où il s’inspire manifestement des démonstrations qu’il a élaborées dans les Écrits sur la grâce, notamment dans la Lettre sur la possibilité des commandements : « Ce sens est couvert d’un autre en une infinité d’endroits et découvert en quelques-uns rarement, mais en telle sorte néanmoins que les lieux où il est caché sont équivoques et peuvent convenir aux deux, au lieu que les lieux où il est découvert sont univoques et ne peuvent convenir qu’au sens spirituel ». Non seulement tous les passages relatifs à la manière dont le Messie doit advenir ne sont pas tous obscurs, puisqu’il y en a tout à la fois de clairs et d’obscurs, mais ces deux types de passages ont des caractéristiques différentes :
les passages obscurs sont équivoques, c’est-à-dire susceptibles de deux sens, l’un spirituel et l’autre charnel ;
les passages clairs sont univoques, c’est-à-dire qu’ils ne sont susceptibles que de révéler le sens spirituel (ce sont ceux où les prophètes disent eux-mêmes que le sens est caché).
C’est par une distinction de ce type que, dans la Lettre sur la possibilité des commandements, Pascal distingue les propositions qui, dans les livres de saint Augustin, sont univoques de celles qui sont ambiguës. La réflexion sur les prophéties tire en l’occurrence parti des travaux de Pascal sur la doctrine de saint Augustin sur le pouvoir prochain des justes.
Voir les explications détaillées dans notre commentaire sur le fragment Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738).