Fragment Morale chrétienne n° 18 / 25 – Papier original : RO 265-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Morale n° 365 p. 179 v°-181 / C2 : p. 213
Le texte a été ajouté dans l’édition de 1678 : Chap. XXIX - Pensées morales : 1678 n° 4 p. 269-270
Éditions savantes : Faugère II, 377, XLV / Havet XXIV.60 et XXV.195 / Brunschvicg 474 et 611 / Tourneur p. 293-1 / Le Guern 349 / Lafuma 368 et 369 / Sellier 401
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1984. FRIGO Alberto, “Pascal et les membres pensants : penser l’Église, régler l’amour”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 32, 2010, p. 56-60. LE GUERN Michel, L’image dans l’œuvre de Pascal, Paris, Klincksieck, 1983. MAGNARD Pierre, “Un corps plein de membres pesants”, Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, n° 2, avril-juin 2000, 1137, p. 193-200. MARION Jean-Luc, Sur le prisme métaphysique de Descartes, Paris, P. U. F., 1986. MESNARD Jean, “Pascal et le problème moral”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 355-362. MEURILLON Christian, “La notion de commencement dans les Pensées”, Op. cit., 2, nov. 1993, p. 63-72. SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010. STIKER-MÉTRAL Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris, Champion, 2007. THIROUIN Laurent, “Le moi haïssable, une formule équivoque”, in BEHRENS Rudolf, GIPPER Andreas, MELLINGHOFF-BOURGERIE Viviane (dir.), Croisements d’anthropologies. Pascals Pensées im Geflecht der Anthropologien, Universitätvelag, Heidelberg, 2005, p. 217-247. |
✧ Éclaircissements
Membres.
La comparaison des membres et du corps est empruntée à saint Paul, I Corinthiens, XII, 12 sq. « Et comme notre corps, n’étant qu’un, est composé de plusieurs membres, et qu’encore qu’il y ait plusieurs membres, ils ne font tous néanmoins qu’un même corps, il en est de même du Christ. 13. Car nous avons tous été baptisés dans le même Esprit, pour n’être tous ensemble qu’un même corps, soit Juifs ou gentils, soit esclaves ou libres. Et nous avons tous reçu un divin breuvage, pour n’être tous aussi qu’un même esprit. 14. Aussi le corps n’est pas un seul membre, mais plusieurs. 15. Si le pied disait : Puisque je ne suis pas la main, je ne suis pas du corps, ne serait-il point pour cela du corps ? 16. Et si l’oreille disait : Puisque je ne suis pas l’œil, je ne suis pas du corps, ne serait-elle point pour cela du corps ? 17. Si tout le corps était œil, où serait l’ouïe ? Et s’il était tout ouïe, où serait l’odorat ? 18. Mais Dieu a mis dans le corps plusieursmembres, et il les y a placés comme il lui a plu. 19. Si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, où serait le corps ? 20. Mais il y a plusieurs membres, et tous ne font qu’un seul corps. 21. Or l’œil ne peut pas dire à la main : Je n’ai pas besoin de votre secours. non plus que la tête ne peut dire aux pieds : Vous ne m’êtes point nécessaires. 22. Mais au contraire les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont les plus nécessaires. 23. Nous honorons même davantage par nos vêtements les parties du corps qui paraissent les moins honorables. et nous couvrons avec plus de soin et d’honnêteté celles qui sont moins honnêtes. 24. Car pour celles qui sont honnêtes, elles n’en ont pas besoin : mais Dieu a mis un tel ordre dans tout le corps, qu’on honore davantage ce qui est moins honorable de soi-même. 25. Afin qu’il n’y ait point de schisme, ni de division dans le corps, mais que tous les membres conspirent mutuellement à s’entraider les uns les autres. 26. Et si l’un des membres souffre, tous les autres souffrent avec lui : ou si l’un des membres reçoit de l’honneur, tous les autres s’en réjouissent avec lui. 27. Or vous êtes le corps de Jésus-Christ, et membres les uns des autres » (traduction de la Bible de Port-Royal).
Les aventures pathétiques de ce pied prodigue ont quelque chose de discrètement burlesque. Mais au fond, Pascal ne fait ici que prolonger l’esquisse de récit de saint Paul : celui-ci imagine la révolte des membres. Pascal imagine le retour du membre prodigue, ce qui complète la parabole.
Sur la notion de membre et de corps, voir Morale chrétienne 21 (Laf. 372, Sel. 404), qui donne des définitions générales : Être membre est n’avoir de vie, d’être et de mouvement que par l’esprit du corps et pour le corps. Le membre séparé ne voyant plus le corps auquel il appartient n’a plus qu’un être périssant et mourant.
Commencer par là.
Sur la notion de commencement, voir la liasse Commencement.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 105. Les deux sens du mot Commencement. Dans la disposition, il assigne une place inaugurale. À un niveau inférieur, le mot indique comment doit s’ouvrir un chapitre.
Meurillon Christian, “La notion de commencement dans les Pensées”, Op. cit., 2, nov. 1993, p. 63-72. ✍
L’idée des membres et du corps est un principe : toute la morale chrétienne est fondée sur lui. Il est donc nécessaire de partir de ce principe pour la comprendre.
Pour régler l’amour qu’on se doit à soi‑même
Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), p. 148 sq. Régler l’amour que l’on se doit à soi-même. Référence à la Lettre sur la mort de son père (1651).
Ce fragment semble contredire ce que Pascal écrit dans d’autres textes sur le caractère haïssable du moi. Pascal dit ici au contraire non seulement que l’homme peut s’aimer, mais qu’il se doit un amour à soi-même.
Le problème du corps et des membres est posé ici sous l’angle de l’amour de soi. C’est le même point de vue que dans le fragment Laf. 688, Sel. 567. Qu’est-ce que le moi ?
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants. si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non. car il ne pense pas à moi en particulier. mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? Et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ses qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Voir Marion Jean-Luc, Sur le prisme métaphysique de Descartes, p. 345. Pour que le moi soit, il faut qu’il soit aimé, et non connu seulement. Je est ce qu’il connaît, mais le moi ne peut se limiter au je, comme substance, car il n’est pas susceptible d’être aimé.
Frigo Alberto, “Pascal et les membres pensants : penser l’Église, régler l’amour”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 32, p. 56-60. ✍
il faut s’imaginer un corps plein de membres pensants, car nous sommes membres du tout, et voir comment chaque membre devrait s’aimer, etc.
Noter l’usage rationnel de l’imagination qui permet une analogie entre l’ordre des corps et l’ordre de la charité. L’imagination n’est pas toujours trompeuse pour Pascal.
Sur la notion de membre et de corps, voir Morale chrétienne 21 (Laf. 372, Sel. 404).
Mesnard Jean, “Pascal et le problème moral”, in La culture du XVIIe siècle, p. 361. Le corps plein de membres pensants. L’amour de soi porte chaque membre à retenir toute la nourriture, attitude injuste, c’est-à-dire contraire à l’ordre des choses, bouleversé par le péché, et ruineuse, puisqu’en nuisant au corps, le membre se nuit à lui-même. Chaque membre doit conformer sa volonté à celle du corps. Pascal a dans l’idée le grand symbole du Corps mystique et songe à tout ce courant de la grâce qui circule entre le Christ qui en est la tête et les chrétiens qui en sont les membres.
Le Guern Michel, L’image dans l’œuvre de Pascal, p. 148. Image des membres et du corps.
Un corps plein de membres pensants : Magnard Pierre, “Un corps plein de membres pesants”, p. 193-200. ✍
Etc. : renvoie aux autres fragments qui traitent du rapport que les membres doivent avoir avec le corps et entre eux. Le mot ne signifie pas que Pascal est au bout de sa pensée, mais au contraire que les conséquences du présent passage sont contenues dans d’autres fragments.
Pascal a nettement montré que l’amour de soi, lorsqu’il est inspiré par la concupiscence et l’esprit propre, est mauvais. Voir
Laf. 597, Sel. 494. Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l’ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable.
Point, car en agissant comme nous faisons obligeamment pour tout le monde on n’a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient.
Mais si je le hais parce qu’il est injuste qu’il se fait centre de tout, je le haïrai toujours.
En un mot le moi a deux qualités. Il est injuste en soi en ce qu’il se fait centre de tout. Il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir, car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice.
Et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice. Vous ne le rendez aimable qu’aux injustes qui n’y trouvent plus leur ennemi. Et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu’aux injustes.
Dossier de travail (Laf. 396, Sel. 15). Il est injuste qu’on s’attache à moi quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en ferais naître le désir, car je ne suis la fin de personne et n’ai de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc comme je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu’on la crût avec plaisir et qu’en cela on me fît plaisir. de même je suis coupable de me faire aimer. Et si j’attire les gens à s’attacher à moi, je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge, qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m’en revînt. et de même qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi, car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu ou à le chercher.
L’amour de soi, c’est-à-dire l’amour propre, est en général mauvais, puisque le moi est haïssable. Mais il est susceptible d’être réglé, d’une manière qui neutralise ses mauvais effets.
Thirouin Laurent, “Le moi haïssable, une formule équivoque”, p. 217-247. ✍
Cependant, le moi n’est pas irrémédiablement mauvais. La liasse Morale chrétienne des Pensées contient une réflexion qui tend à une sorte de rédemption du moi. Pascal y développe l’image paulinienne du corps et des membres, et compare le moi tyrannique à un pied qui prétendrait prendre son indépendance à l’égard du reste du corps, se condamnant ainsi à échéance à la mort. La véritable place du moi se trouve au sein du corps mystique, comme une partie de l’Église.
Preuves par discours I (Laf. 421, Sel. 680). Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment. Il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables et indifférents, et connaissant nous et les autres nous ne donnerions point cette inclination à notre volonté.
Nous naissons pourtant avec elle, nous naissons donc injustes.
Car tout tend à soi : cela est contre tout ordre.
Il faut tendre au général, et la pente vers soi est le commencement de tout désordre, en guerre, en police, en économie, dans le corps particulier de l’homme.
La volonté est donc dépravée. Si les membres des communautés naturelles et civiles tendent au bien du corps, les communautés elles-mêmes doivent tendre à un autre corps plus général dont elles sont membres. L’on doit donc tendre au général. Nous naissons donc injustes et dépravés.
Nulle religion que la nôtre n’a enseigné que l’homme naît en péché, nulle secte de philosophes ne l’a dit, nulle n’a donc dit vrai.
Nulle secte ni religion n’a toujours été sur la terre que la religion chrétienne.
Laf. 564, Sel. 471. La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer. Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or il n’y a que l’être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous-même et n’est pas nous.
La disposition qui en résulte est donnée dans ce fragment :
Pensée n° 15P (Laf. 931, Sel. 759). J’aime tous les hommes comme mes frères, parce qu’ils sont tous rachetés. (barré verticalement)
J’aime la pauvreté parce qu’il l’a aimée. J’aime les biens parce qu’ils me donnent le moyen d’en assister les misérables. Je garde fidélité à tout le monde. Je ne rends point le mal à ceux qui m’en font, mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne où l’on ne reçoit point de mal ni de bien de la part des hommes. J’essaye d’être juste, véritable, sincère et fidèle à tous les hommes et j’ai une tendresse de cœur pour ceux à qui Dieu m’a uni plus étroitement.
Et soit que je sois seul ou à la vue des hommes j’ai en toutes mes actions la vue de Dieu, qui les doit juger et à qui je les ai toutes consacrées.
Voilà quels sont mes sentiments.
Et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui les a mis en moi et qui d’un homme plein de faiblesse, de misère, de concupiscence, d’orgueil et d’ambition a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de la grâce, à laquelle toute la gloire en est due, n’ayant de moi que la misère et l’erreur.
Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), p. 187 sq. Rappel de la définition du corps mystique chez saint Paul, que Pascal formule en termes cartésiens. L’adjectif pensant fait référence à la qualité caractéristique du sujet, qui est res cogitans. D’autre part le modèle de l’amour de soi comme partie du tout est essentiel dans Les passions de l’âme comme dans plusieurs lettres de Descartes sur la morale que Pascal pouvait connaître grâce à l’édition procurée par Clerselier : p. 188. L’auteur cite des textes qui rendent compte de cette irruption du modèle cartésien dans la définition de la charité, p. 188 sq. Mais Pascal retourne contre l’idéal cartésien le propre vocabulaire de Descartes.
Descotes Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, p. 47-53. Voir p. 51 sq. Thème classique des membres et du corps, mais original dans son traitement par Pascal, principalement par la préparation souterraine de l’image et par l’intégration dans l’image de certaines anomalies qui en marquent le caractère figuratif : p. 51. Conformité de cette technique avec la pensée de Pascal sur les figuratifs.
-------
République.
La république chrétienne et même judaïque n’a eu que Dieu pour maître,
République n’a pas ici le sens actuel. Il faut l’entendre au sens général de Platon. Dictionnaire de l’Académie : État gouverné par plusieurs. Il se prend quelquefois pour toute sorte d’État, de gouvernement. Voir Furetière, qui accentue le sens démocratique du mot. État ou gouvernement populaire.
Il ne faut pas confondre ce que Pascal entend ici par République chrétienne et un État terrestre dirigé par un gouvernement de confession chrétienne ou un État théocratique. Voir sur ce sujet le chapitre « L’Église et l’État » de Ferreyrolles Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 203 sq. Un tel État répondrait plutôt aux vues des membres de la Compagnie de Jésus. République chrétienne, chez Pascal, désigne le corps mystique du Christ, que deux lois suffisent pour régler toute la République chrétienne mieux que toutes les lois politiques. elle est purement spirituelle, soumise à deux lois qui n’en font qu’une, la loi de charité ou d’amour : p. 246. On est donc plus proche de ce que saint Augustin appelle la Cité de Dieu que de l’État recherché par les membres du parti dévot. De ce point de vue, Pascal est directement opposé aux vues d’un Fénelon, par exemple, et de la politique des Tables de Chaulnes, par exemple. Un État dont le souverain est chrétien n’a pas pour mission d’imposer tyranniquement la loi de Dieu. Sa véritable mission n’est nullement, pour Pascal, de forcer par la loi les hommes à aller au paradis, mais tout simplement de préserver la paix et l’ordre de la société civile. « Son domaine étant l’extérieur », c’est-à-dire le règlement de la conduite des hommes, sans rien leur imposer qui relève ni de l’ordre des esprits, ni de l’ordre de la foi, « il ne peut prétendre mettre la religion dans l’esprit et dans le cœur » : p. 240. Pascal est hostile à la mainmise de la papauté sur les États politiques.
D’autre part, les Trois discours sur la condition des grands montrent que le roi d’un État de religion chrétienne par définition mieux protégé contre l’illusion d’être le maître suprême des sujets, dans la mesure où il ne gouverne que par délégation et comme image de Dieu.
La République judaïque : l’adverbe même souligne le fait que le caractère charnel du peuple juif ne l’a pas empêché de n’avoir que Dieu pour maître. Ce en quoi il a été la figure de la république chrétienne. Là aussi, le mot république ne doit pas tromper, puisque, après la période des Juges, c’est une monarchie d’esprit théocratique que les Juifs ont instituée. Sur la république judaïque et l’idée que l’on s’en faisait à l’époque de Pascal, voir Fleury Claude, Les mœurs des Israélites, où l’on voit le modèle d’une politique simple et sincère pour le gouvernement des États et de la réformation des mœurs, ch. XXIV, État politique. Liberté. Puissance domestique. « Leur état n’était donc ni monarchie, ni aristocratie, ni démocratie. mais comme Josèphe le nomme théocratie, c’est-à-dire que Dieu même les gouvernait immédiatement par la Loi qu’il leur avait donnée. Tant qu’ils étaient fidèles à l’observer, ils vivaient en sûreté et en liberté. Sitôt qu’ils la violaient, pour faire leur volonté particulière, ils tombaient dans l’anarchie et la confusion ».
Flavius Josèphe, Réponse à ce qu’Appion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, Livre second, in Œuvres, I, Paris, chez Pierre Le Petit, MDCLXX. Voir Chapitre VI, « Réponse à ce que Lysimaque, Apollonius Molon et quelques autres ont dit contre Moïse. Josèphe fait voir combien cet admirable législateur a surpassé tous les autres, et que nulles lois n’ont jamais été si saintes ni si religieusement observées que celles qu’il a établies » : p. 439 sq. « Les diverses nations qui sont dans le monde se conduisent en des manières différentes. Les unes embrassent la monarchie, les autres l’aristocratie, et les autres la démocratie. Mais notre divin législateur n’a établi aucune de ces sortes de gouvernement. Celui qu’il a choisi a été une république à qui l’on peut donner le nom de théocratie, puisqu’il l’a rendue entièrement dépendante de Dieu. que nous n’y regardons que lui seul comme l’auteur de tous les biens, et qui pourvoit aux besoins généralement de tous les hommes. que nous n’avons recours qu’à lui dans nos afflictions, et que nous sommes persuadés que non seulement toutes nos actions lui sont connues, mais qu’il pénètre nos pensées » : p. 441. « Notre législateur au contraire [...] n’a rien omis de ce qui peut servir à former les mœurs, mais a pourvu à tout par les lois qu’il a données. Il a réglé jusques aux moindres choses dont il est permis de manger, et avec qui nous les pouvons manger. Il a usé de la même sorte en ce qui regarde les ouvrages, le travail, le repos, afin que vivant sous la loi comme sous un père de famille ou sous un maître, nous ne puissions faillir par ignorance » : p. 442. Il prescrit un jour de repos pour s’appliquer à la lecture de la loi.
comme remarque Philon Juif, De la monarchie.
Sur Philon d’Alexandrie, voir Dictionnaire des philosophes, article Philon d’Alexandrie, Encyclopaedia universalis, Paris, Albin Michel, 1998, p. 1187 sq. ✍
Philon, De la monarchie, Œuvres, I, p. 659. Royauté de Moïse.
Voir livre I, p. 670 sq. « Nouvelle république chérie et aimée de Dieu ». « Ayant donc fait autant d’honneurs aux nouveaux venus, qu’aux habitants du pays, et leur ayant donné autant de privilège, ils enhortent les bourgeois que non seulement ils leur fassent honneur, mais aussi qu’ils les aiment et chérissent grandement, et certes à bonne raison. Ayant laissé, ce dit-il, leur pays, amis et parents, pour la vertu et sainteté, qu’ils ne soient privés des autres villes, maisons et amis. Mais les retraites soient ouvertes à ceux qui de leur bon gré se sont retirés vers Dieu : car l’honneur qu’on a à un seul Dieu, est un allèchement fort expédient et un lien fort indissoluble de l’amitié et bienveillance. Au reste, il ne veut point que les nouveaux venus qu’il a égalés tant pour les honneurs que pour les droits du pays, aux naturels habitants, se moquent et médisent d’une bouche effrénée, sous ombre qu’ils ont renoncé à la vanité, et superstition de leurs pères et ancêtres, des dieux des autres nations, de peur qu’elles ne viennent à se remuer, et prononcer de méchantes paroles contre le vrai Dieu » : p. 670-671. En marge, p. 670 : « La religion est un étroit lien d’amitié ».
Note de Brunschvicg, GEF XIV, p. 50-51 : dans son traité De la monarchie, Philon ne décrit qu’une pure théocratie. Voir le Premier livre de la Monarchie, éd. cit., p. 664 : « N’est-ce pas une vie trois fois et quatre fois heureuse, que d’embrasser le service du créateur, qui est le plus ancien de toutes les choses du monde, non pas d’adorer, premier que le roi, les huissiers, et portiers ? » Mais le rapport est assez lointain.
Quand ils combattaient ce n’était que pour Dieu et n’espéraient principalement que de Dieu. Ils ne considéraient leurs villes que comme étant à Dieu et les conservaient pour Dieu. I. Paralip., 19. 13.
I Paralipomènes, XIX, 13. « Confortare, et agamus viriliter pro populo nostro et pro urbibus Dei nostri : Dominus autem, quod in conspectu suo bonum est, faciet ». « Agissez en homme de cœur, et combattons généreusement pour notre peuple, et pour les villes de notre Dieu : et le Seigneur ordonnera de tout comme il lui plaira ».
La source donnée par Brunschvicg, GEF, XIV, p. 51, « fortissimi robore ad faciendum opus ministerii in domo Dei », « tous hommes forts et robustes pour s’acquitter de tout le service qu’ils avaient à rendre dans la maison de Dieu » (tr. de la Bible de Port-Royal), répond en fait à Paralipomènes, IX, 13, et non à XIX, 13. Erreur patente.