Pensées - page 175
connaît pas misérable. Il est vrai que
c’est être misérable, que de se connaître
misérable ; mais c’est aussi être
grand, que de connaître qu’on est
misérable. Ainsi toutes ses misères
prouvent sa grandeur. Ce sont misères
de grand Seigneur, misères d’un
Roi dépossédé.
4. Qui se trouve malheureux de
n’être pas Roi, sinon un Roi dépossédé ?
Trouvait-on Paul Émile malheureux
de n’être plus Consul ? Au
contraire tout le monde trouvait qu’il
était heureux de l’avoir été ; parce
que sa condition n’était pas de l’être
toujours. Mais on trouvait Persée si
malheureux de n’être plus Roi, parce
que sa condition était de l’être toujours,
qu’on trouvait étrange qu’il
pût supporter la vie. Qui se trouve
malheureux de n’avoir qu’une bouche ?
Et qui ne se trouve malheureux
de n’avoir qu’un œil ? On ne s’est
peut-être jamais avisé de s’affliger de
n’avoir pas trois yeux ; mais on est
inconsolable de n’en avoir qu’un.
5. Nous avons une si grande
idée de l’âme de l’homme, que nous
ne pouvons souffrir d’en être méprisés, |