Fragment Soumission et usage de la raison n° 17 / 23 – Papier original : RO 169-4
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Soumission n° 235 p. 83 v° / C2 : p. 110
Éditions de Port-Royal : Chap. V - Soumission, et usage de la raison : 1669 et janvier 1670 p. 49 / 1678 n° 5 p. 51
Éditions savantes : Faugère II, 348, II / Havet XIII.7 / Brunschvicg 253 / Tourneur p. 231-2 / Le Guern 172 / Lafuma 183 / Sellier 214
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Bibliographie ✍
DROZ Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, Paris, Alcan, 1886, p. 121 sq. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 168-69. RUSSIER Jeanne, La foi selon Pascal, I, Paris, Presses Universitaires de France, 1949, p. 30. |
✧ Éclaircissements
Deux excès.
Exclure la raison, n’admettre que la raison.
Pascal marque ici implicitement la manière dont l’attitude de soumission et usage de la raison s’oppose tout à la fois à deux excès symétriques qui conduisent à deux erreurs contraires. Le premier consiste à exclure la raison : c’est la voie qui conduit au fidéisme, qui consiste à vouloir retirer à la foi tout appui rationnel (voir Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, art. Fidéisme, p. 264) ; mais Pascal y voit surtout la voie qui mène à la superstition, au sens où il l’entend, d’excès de docilité. Cet excès conduit à forger une religion qui choque les principes de la raison, et qui de ce fait parait « absurde et ridicule », à toute personne qui sait user de ses facultés naturelles.
L’excès contraire consiste à n’admettre que la raison : il aboutit à récuser la révélation et le mystère, et par suite toute religion d’origine surnaturelle ; du même coup, il ramène aux philosophies naturelles qui ont fait l’objet des premières liasses, et fait retomber dans les contradictions qui y ont été exposées.
Cette opposition ne doit pas être prise à contresens.
Il faut en effet noter que cette distinction entre excès de rationalisme et rejet de la raison n’a plus, à cette étape de l’argumentation, le même sens que dans les premières liasses des Pensées. Paradoxalement, dans Soumission 17, les sceptiques ne seraient pas classés du côté de ceux qui veulent exclure la raison, mais du côté de ceux qui veulent n’admettre que la raison. Le sceptique, qui exige toujours des preuves, même pour ce qui n’en a pas besoin, apparaît comme une sorte de rationaliste intempérant, une sorte de boulimique de la démonstration qui, n’étant jamais satisfait des preuves qu’on lui propose, en demande indéfiniment d’autres. Mais c’est tout de même un philosophe qui, en tant que tel, n’admet que la raison.
Exclure la raison, au stade de l’argumentation où se situe Soumission 17, ne signifie donc pas être sceptique, mais récuser tout emploi de la raison en matière religieuse, jusqu’à tomber dans la superstition. Il n’y a rien de plus contraire à la disposition d’un Montaigne, qui est pour Pascal le sceptique par excellence.
La technique qui consiste à opposer deux erreurs contraires pour dessiner la place d’une vérité qui tient le milieu est fréquente chez Pascal.
Par exemple, dans la liasse Loi figurative, Pascal détermine le véritable principe de la méthode d’interprétation du texte biblique en opposant deux erreurs contraires et symétriques : voir Loi figurative 8 (Laf. 252, Sel. 284). Deux erreurs : 1. prendre tout littéralement. 2. prendre tout spirituellement.
De même, dans Soumission 4 (Laf. 170, Sel. 201). Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la raison. Il y [en] a qui faillent contre ces trois principes, ou en assurant tout comme démonstratif, manque de se connaître en démonstration, ou en doutant de tout, manque de savoir où il faut se soumettre, ou en se soumettant en tout, manque de savoir où il faut juger.
Voir aussi Preuves par discours III (Laf. 446, Sel. 690). S’il n’y avait point d’obscurité, l’homme ne sentirait pas sa corruption ; s’il n’y avait point de lumière, l’homme n’espérerait point de remède. Ainsi il est non seulement juste, mais utile pour nous que Dieu soit caché en partie, et découvert en partie, puisqu’il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître Dieu.
La structure binaire de ces textes conduit ainsi à des structures ternaires, lorsque Pascal explicite le troisième terme, qui tient les extrêmes. Il procède de cette manière dans les Écrits sur la grâce, dont le Traité de la prédestination qui ajoute, entre le diptyque des hérésies calviniste et pélagienne, la doctrine de saint Augustin. Ce dernier distingue deux états de la nature humaine, avant le péché originel et après le péché originel. Les deux hérésies contraires empruntent chacune à ce milieu une de ses partie, mais une partie seulement : le calvinisme conçoit la nature humaine comme si elle avait toujours été corrompue, et le pélagianisme comme si Adam n’avait jamais commis le péché originel.