Fragment Soumission et usage de la raison n° 18 / 23 – Papier original : RO 169-5
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Soumission n° 235 p. 83 v° / C2 : p. 110
Éditions savantes : Faugère II, 214, IV / Havet XXV.94 bis / Brunschvicg 811 / Tourneur p. 231-3 / Le Guern 173 / Lafuma 184 / Sellier 215
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Bibliographie ✍
MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993. SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977. |
✧ Éclaircissements
On n’aurait point péché en ne croyant pas Jésus-Christ sans les miracles.
Soumission 14 (Laf. 180, Sel. 211). Jésus-Christ a fait des miracles et les apôtres ensuite. Et les premiers saints en grand nombre, parce que les prophéties n’étant pas encore accomplies, et s’accomplissant par eux, rien ne témoignait que les miracles. Il était prédit que le Messie convertirait les nations. Comment cette prophétie se fût-elle accomplie sans la conversion des nations, et comment les nations se fussent-elles converties, au Messie, ne voyant pas ce dernier effet des prophéties qui le prouvent. Avant donc qu’il ait été mort, ressuscité et converti les nations tout n’était pas accompli et ainsi il a fallu des miracles pendant tout ce temps. Maintenant il n’en faut plus contre les Juifs et les impies, car les prophéties accomplies sont un miracle subsistant.
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 171. Les miracles sont nécessaires, comme signes sur lesquels s’appuie la raison selon son usage chrétien. Saint Augustin dit qu’il ne serait pas chrétien sans eux. Mais les miracles sont liés à un temps précis, au-delà desquels ils n’ont plus de raison d’être : p. 253. Utiles du temps de la prédication de Jésus-Christ et dans les premiers temps de l’Église, ils sont aujourd’hui peu efficaces ; Pascal leur substitue l’argument du miracle subsistant des prophéties. Il en résulte que si les miracles étaient nécessaires dans les premiers temps de l’évangélisation, les hommes n’auraient pas commis de faute en refusant un messie qui aurait été incapable d’appuyer sa prédication sur des miracles. Il n’en va naturellement plus de même par la suite, le miracle subsistant des prophéties prouvant la vérité de l’Évangile.
Pourquoi ce fragment figure-t-il dans Soumission et usage de la raison ? Il semble faire écho à Soumission 3 (Laf. 169, Sel. 200). Je ne serais pas chrétien sans les miracles, dit saint Augustin.
M. Le Guern effectue un rapprochement avec un texte d’Antoine Arnauld qui présente le double intérêt de relier Soumission 18 à Soumission 19 (Laf. 184, Sel. 216), Videte an mentiar, et d’éclairer la présence de ces deux fragments dans la liasse Soumission et usage de la raison. L’éd. des Œuvres de Pascal par M. Le Guern, Pléiade, t. 2, p. 1383, renvoie aux Réflexions d’un docteur de Sorbonne, d’Antoine Arnauld, § XV, Œuvres, t. XXI, p. 42-43.
« Jésus-Christ dit dans l’Évangile que les Juifs n’auraient point été coupables dans leur incrédulité, s’ils n’avaient point été instruits par ses prédications et par ses miracles, qui étaient d’eux-mêmes des motifs suffisants pour les faire croire, s’ils n’avaient point rencontré de cœurs endurcis. Le même Sauveur, envoyant ses apôtres par tout le monde pour y planter l’évangile ne leur ordonna point d’obliger tous les peuples à le recevoir sans user d’aucun discours pour le leur persuader ; mais il leur ordonna de les instruire, et de confirmer ce qu’ils annonçaient de la part de Dieu par les effets miraculeux de sa puissance. Les apôtres aussi ne quittèrent les Juifs pour porter aux Gentils la prédication de l’Évangile, qu’après s’être employés avec toutes sortes de soins, à éclaircir les Juifs par le lumière de l’Écriture, et les témoignages des prophètes ; comme il est dit de saint Paul en plusieurs endroits des Actes, et principalement dans le dernier chapitre, où saint Luc remarque que saint Paul ne reprocha aux Juifs leur endurcissement, qui avait été prédit par Isaïe, en leur déclarant que les Gentils recevraient la doctrine salutaire qu’ils ne voulaient pas écouter, Notum sit nobis quoniam Gentibus missum est hoc salutare Dei, et ipsi audient, qu’après leur avoir exposé les mystères du Royaume de Dieu, et leur avoir prouvé, par Moïse et par les prophètes, que Jésus-Christ était le Messie, quibus exponebat testificans regnum Dei, suadensque eis de Jesu ex lege Moysi et prophetis ad mane usque ad vesperam.
Voilà la conduite sainte et apostolique que l’Église a toujours gardée ; n’ayant jamais forcé personne à croire une chose sur laquelle il aurait eu des doutes considérables, sans le vouloir ouïr, et l’instruire suffisamment pour n’être plus arrêté par ses doutes. Et le peut-on voir plus clairement que dans le dernier Concile, puisque ceux même qui avaient rompu l’unité de l’Église par le schisme et par l’hérésie, y ont été invités tant de fois, pour y venir proposer toutes leurs raisons, et recevoir toute l’instruction qui leur serait nécessaire pour sortir de leurs erreurs ? Mais on ne peut rien désirer de plus exprès sur ce sujet, que ce que dit saint Grégoire dans ses Morales, livre 8, chap. I. Car appliquant à l’Église ces paroles du saint homme Job, praebete aurem, et videte an mentiar, il nous apprend quel est son esprit et sa conduite envers ceux qu’elle veut retirer de quelque erreur ».
La formule de Job illustre l’idée que dans les premiers temps de l’évangélisation les miracles servaient à l’instruction des païens.
La même référence permet de relier Soumission 18 et 19 à la signification générale de Soumission et usage de la raison, puisqu’il est question de montrer que la religion chrétienne ne s’est pas imposée tyranniquement et sans raison, mais a toujours fourni à ceux qu’elle cherchait à gagner les raisons qui pouvaient résoudre leurs doutes. L’ouvrage d’Arnauld date de 1657, ce qui autorise le rapprochement avec cette note de Pascal.
Sur la doctrine générale des miracles chez Pascal, voir les liasses qui leur sont consacrées (Miracles I, II et III), et l’étude de Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.