Miracles I  – Fragment n° 1 / 2 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 191 p. 435 à 437 / C2 : p. 229 à 232

Éditions savantes : Brunschvicg appendice à la section XIII / Le Guern 678 / Lafuma 830 (série XXXII, notée XXXI par erreur) / Sellier 419

 

 

 

Les points que j’ai à demander à Monsieur l’abbé de Saint-Cyran sont principalement ceux‑ci. Mais, comme je n’en ai point de copie, il faudrait qu’il prît la peine de renvoyer ce papier avec la réponse qu’il aura la bonté d’y faire.

 

1. S’il faut, pour faire qu’un effet soit miraculeux, qu’il soit au‑dessus de la force des hommes, des démons, des anges et de toute la nature créée.

« Les théologiens disent que les miracles sont surnaturels ou dans leur substance, quoad substantiam, comme la pénétration de deux corps ou la situation d’un même corps en deux lieux en même temps ; ou qu’ils sont surnaturels dans la manière de les produire quoad modum, comme quand ils sont produits par des moyens qui n’ont nulle vertu naturelle de les produire : comme quand Jésus-Christ guérit les yeux de l’aveugle avec la boue et la belle‑mère de saint Pierre en se penchant sur elle, et la femme malade du flux de sang en touchant le bord de sa robe. Et la plupart des miracles qu’il a faits dans l’Évangile sont de ce second genre. Telle est aussi la guérison d’une fièvre, ou autre maladie faite en un moment, ou plus parfaitement que la nature ne porte, par l’attouchement d’une relique ou par l’invocation du nom de Dieu, de sorte que la pensée de celui qui propose ces difficultés est vraie et conforme à tous les théologiens, même de ce temps. »

 

2. S’il ne suffit pas qu’il soit au‑dessus de la force naturelle des moyens qu’on y emploie, ma pensée étant que tout effet est miraculeux lequel surpasse la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Ainsi j’appelle miraculeux la guérison d’une maladie faite par l’attouchement d’une sainte relique, la guérison d’un démoniaque faite par l’invocation du nom de Jésus, etc., parce que ces effets surpassent la force naturelle des paroles par lesquelles on invoque Dieu ; et la force naturelle d’une relique ne peut guérir les maladies et chasser les démons. Mais je n’appelle pas miracle de chasser les démons par l’art du diable, car, quand on emploie la puissance du diable pour chasser le diable, l’effet ne surpasse pas la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Et ainsi il m’a paru que la vraie définition des miracles est celle que je viens de dire.

« Ce que le diable peut faire n’est pas miracle, non plus que ce que peut faire une bête, quoique l’homme ne le puisse faire par lui‑même. »

 

3. Si saint Thomas n’est pas contraire à cette définition, et s’il n’est pas d’avis qu’un effet pour être miraculeux doit surpasser la force de toute la nature créée.

« Saint Thomas est de même opinion que les autres, quoiqu’il divise en deux la seconde espèce de miracles, savoir en miracles quoad subjectum et miracles quoad ordinem naturæ. Il dit que les premiers sont ceux que la nature peut produire absolument, mais non dans un tel sujet comme elle peut produire la vie, mais non dans un corps mort ; et que les seconds sont ceux qu’elle peut produire dans un sujet, mais non par tels moyens avec tant de promptitude, etc., comme guérir en un moment et par un seul attouchement une fièvre ou une autre maladie quoique non incurable. »

 

4. Si les hérétiques déclarés et connus peuvent faire de vrais miracles pour confirmer une erreur.

5. Si les hérétiques déclarés et connus peuvent faire des miracles comme la guérison des maladies qui ne sont pas incurables. Par exemple, s’ils peuvent guérir une fièvre pour confirmer une proposition erronée comme le P. Lingendes prêche que oui.

« Il ne se peut jamais faire de vrais miracles par qui que ce soit, catholique ou hérétique, saint ou méchant, pour confirmer une erreur, parce que Dieu confirmerait et approuverait par son sceau l’erreur comme faux témoin ou plutôt comme faux juge. Cela est assuré et constant. »

 

6. Si les hérétiques déclarés et connus peuvent faire des miracles qui soient au‑dessus de toute la nature créée par l’invocation du nom de Dieu ou par une sainte relique.

« Ils le peuvent pour confirmer une vérité et il y en a des exemples dans l’histoire. »

 

7. Si les hérétiques couverts et qui, ne se séparant pas de l’Église, sont néanmoins dans l’erreur, et qui ne se déclarent pas contre l’Église afin de pouvoir plus facilement séduire les fidèles et fortifier leur parti, peuvent faire, par l’invocation du nom de Jésus ou par une sainte relique, des miracles qui soient au‑dessus de la nature entière, ou même s’ils en peuvent faire qui ne soient qu’au‑dessus de l’homme, comme de guérir sur‑le‑champ des maux qui ne sont pas incurables.

« Les hérétiques couverts n’ont pas plus de pouvoir sur les miracles que les hérétiques déclarés, rien n’étant couvert à Dieu qui est le seul auteur et opérateur des miracles, quels qu’ils soient, pourvu qu’ils soient vrais miracles. »

 

8. Si les miracles faits par le nom de Dieu et par l’interposition des choses divines ne sont pas les marques de la vraie Église, et si tous les catholiques n’ont pas tenu l’affirmative contre tous les hérétiques.

« Tous les catholiques en demeurent d’accord et surtout les auteurs jésuites : il ne faut que lire Bellarmin. Lors même que les hérétiques ont fait des miracles, ce qui est arrivé quelquefois, quoique rarement, ces miracles étaient marques de l’Église parce qu’ils n’étaient faits que pour confirmer la vérité que l’Église enseigne et non l’erreur des hérétiques. »

 

9. S’il n’est jamais arrivé que les hérétiques aient fait des miracles et de quelle nature sont ceux qu’ils ont faits.

« Il y en a fort peu d’assurés, mais ceux dont on parle sont miraculeux seulement quoad modum, c’est‑à‑dire des effets naturels produits miraculeusement et en une manière qui surpasse l’ordre de la nature. »

 

10. Si cet homme de l’Évangile, qui chassait les démons au nom de Jésus-Christ et dont Jésus‑Christ dit qui n’est point contre vous est pour vous, était ami ou ennemi de Jésus-Christ, et ce qu’en disent les interprètes de l’Évangile. Je demande cela parce que le P. Lingendes prêcha que cet homme‑là était contraire à Jésus-Christ.

« L’Évangile témoigne assez qu’il n’était pas contraire à Jésus-Christ, et les Pères le tiennent et presque tous les auteurs jésuites. »

 

11. Si l’Antéchrist fera ses signes au nom de Jésus-Christ ou en son propre nom.

« Comme il ne viendra au nom de Jésus-Christ mais au sien propre, selon l’Évangile, ainsi il ne fera point des miracles au nom de Jésus-Christ mais au sien et contre Jésus-Christ, pour détruire la foi et son Église. Et à cause de cela ce ne seront point vrais miracles. »

 

12. Si les oracles ont été miraculeux.

« Les miracles des païens et des idoles n’ont été non plus miraculeux que les autres opérations des démons et des magiciens. »

 

 

Le miracle de la sainte Épine, qui a suscité une polémique conduite par les jésuites parisiens contre Port-Royal, a entraîné Pascal dans une réflexion approfondie sur la nature et la signification des miracles. Le présent texte, connu seulement par les Copies, est un questionnaire qu’il a proposé à Martin de Barcos, abbé de Saint-Cyran successeur de Duvergier de Hauranne, sur plusieurs points particuliers, notamment la définition fondamentale du miracle, la distinction entre vrais et faux miracles et le rapport entre les miracles et la vérité de la doctrine chrétienne. Pascal pense qu’il ne faut pas définir le miracle comme effet qui dépasse toutes les forces de la nature, mais comme effet qui dépasse les possibilités naturelles du moyen que l’on y emploie. Ce déplacement de sens a des conséquences importantes sur la théorie des miracles.

 

Quoad substantiam... quoad modum... quoad subjectum... quoad ordinem naturæ : quant à la substance, quant au mode, quant au sujet, quant à l’ordre de la nature.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Miracles II (Laf. 834, Sel. 422). S’il y a un Dieu il fallait que la foi de Dieu fût sur la terre ; or les miracles de Jésus-Christ ne sont pas prédits par l’Antéchrist, mais les miracles de l’Antéchrist sont prédits par Jésus-Christ. Et ainsi si Jésus-Christ n’était pas le Messie il aurait bien induit en erreur, mais l’Antéchrist ne peut bien induire en erreur.

Quand Jésus-Christ a prédit les miracles de l’Antéchrist a-t-il cru détruire la foi de ses propres miracles ?

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Il n’y a nulle raison de croire en l’Antéchrist qui ne soit à croire en Jésus-Christ mais il y en a en Jésus-Christ qui ne sont pas en l’autre.

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Moïse a prédit Jésus-Christ et ordonné de le suivre. Jésus-Christ a prédit l’Antéchrist et défendu de le suivre.

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Il était impossible qu’au temps de Moïse on réservât sa créance à l’Antéchrist qui leur était inconnu, mais il est bien aisé au temps de l’Antéchrist de croire en Jésus-Christ déjà connu.

Miracles II (Laf. 840, Sel. 425). Jésus-Christ ne parlait ni contre Dieu, ni contre Moïse.

L’Antéchrist et les faux prophètes prédits par l’un et l’autre Testament parleront ouvertement contre Dieu et contre Jésus-Christ.

Qui n’est point contre, qui serait ennemi couvert, Dieu ne permettrait pas qu’il fît des miracles ouvertement.

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Jamais en une dispute publique où les deux partis se disent à Dieu, à Jésus-Christ, à l’Église, les miracles ne sont du côté des faux chrétiens, et l’autre côté sans miracle.

Miracles II (Laf. 851, Sel. 432). L’Antéchrist. In signis mendacibus, dit saint Paul. 2 Thess. 2.

Miracles II (Laf. 854, Sel. 434). Si vous ne croyez en moi croyez au moins aux miracles. Il les renvoie comme au plus fort.

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Il avait été dit aux Juifs aussi bien qu’aux chrétiens qu’ils ne crussent pas toujours les prophètes ; mais néanmoins les pharisiens et les scribes font grand état de ses miracles, et essayent de montrer qu’ils sont faux ou faits par le diable, étant nécessités d’être convaincus s’ils reconnaissent qu’ils sont de Dieu.

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Nous ne sommes point aujourd’hui dans la peine de faire ce discernement ; il est pourtant bien facile à faire. Ceux qui ne nient ni Dieu, ni Jésus-Christ ne font point de miracles qui ne soient sûrs.

Nemo facit virtutem in nomine meo et cito possit de me male loqui.

Mais nous n’avons point à faire ce discernement. Voici une relique sacrée, voici une épine de la couronne du sauveur du monde en qui le prince de ce monde n’a point puissance, qui fait des miracles par la propre puissance de ce sang répandu pour nous. Voici que Dieu choisit lui-même cette maison pour y faire éclater sa puissance.

Ce ne sont point des hommes qui font ces miracles par une vertu inconnue, et douteuse qui nous oblige à un difficile discernement. C’est Dieu même, c’est l’instrument de la passion de son fils unique, qui, étant en plusieurs lieux, choisit celui-ci et fait venir de tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagements miraculeux dans leurs langueurs.

Miracles II (Laf. 856, Sel. 436). Contestation.

Abel, Caïn. / Moïse, magiciens. / Élie, faux prophètes. / Jérémie, Ananias. / Michée, faux prophètes. / Jésus-Christ, pharisiens. / Saint Paul, Barjésu. / Apôtres, exorcistes. / Les chrétiens et les infidèles. / Les catholiques, les hérétiques. / Élie, Énoch, Antéchrist.

Toujours le vrai prévaut en miracles. Les deux croix.

Miracles III (Laf. 859, Sel. 438). Les miracles sont plus importants que vous ne pensez. Ils ont servi à la fondation et serviront à la continuation de l’Église jusqu’à l’Antéchrist, jusqu’à la fin. Les deux témoins.

Miracles III (Laf. 878, Sel. 442). Première objection. Ange du ciel.

Il ne faut pas juger de la vérité par les miracles mais du miracle par la vérité.

Donc les miracles sont inutiles.

Or ils servent, et il ne faut point être contre la vérité.

Donc ce qu’a dit le P. Lingendes, que Dieu ne permettra point qu’un miracle puisse induire à erreur...

Lorsqu’il y aura contestation dans la même Église le miracle décide.

Deuxième objection.

Mais l’Antéchrist fera des signes.

Les magiciens de Pharaon n’induisaient point à erreur.

Ainsi on ne pourra point dire à Jésus-Christ sur l’Antéchrist : Vous m’avez induit à erreur, car l’Antéchrist les fera contre Jésus-Christ et ainsi ils ne peuvent induire à erreur.

Ou Dieu ne permettra point de faux miracles, ou il en procurera de plus grands.

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Si dans la même Église il arrivait des miracles du côté des errants, on serait induit à erreur.

Miracles III (Laf. 881, Sel. 443). Les cinq propositions condamnées, point de miracle. Car la vérité n’était point attaquée, mais la Sorbonne, mais la bulle.

Il est impossible que ceux qui aiment Dieu de tout leur cœur méconnaissent l’Église tant elle est évidente.

Il est impossible que ceux qui n’aiment pas Dieu soient convaincus de l’Église.

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Les miracles ont une telle force qu’il a fallu que Dieu ait averti qu’on n’y pense point contre lui, tout clair qu’il soit qu’il y a un Dieu.

Sans quoi ils eussent été capables de troubler.

Et ainsi tant s’en faut que ces passages, Deut.13, fassent contre l’autorité des miracles, que rien n’en marque davantage la force.

Et de même pour l’Antéchrist jusqu’à séduire les élus s’il était possible.

Miracles III (Laf. 894, Sel. 448)Les trois marques de la religion : la perpétuité, la bonne vie, les miracles.

Ils détruisent la perpétuité par la probabilité, la bonne vie par leur morale, les miracles en détruisant ou leur vérité, ou leur conséquence.

Si on les croit l’Église n’aura que faire de perpétuité, sainteté, ni miracles.

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Les hérétiques les nient, ou en nient la conséquence, eux de même, mais il faudrait n’avoir point de sincérité pour les nier, ou encore perdre le sens pour nier la conséquence.

 

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