Fragment Soumission et usage de la raison n° 3 / 23  – Papier original : RO 270-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Soumission n° 227 p. 81 / C2 : p. 107

Éditions savantes : Faugère II, 214, IV / Havet XXV.94 / Brunschvicg 812 / Tourneur p. 228-6 / Le Guern 158 / Lafuma 169 / Sellier 200

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Bibliographie

 

ADAM Michel, “La signification du miracle dans la pensée de Pascal”, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 4, octobre-décembre 1981, Paris, Presses Universitaires de France, p. 401-423.

ARNAULD Antoine et NICOLE Pierre, La Logique ou l’art de penser, IV, XIII (éd. de 1664 ; XIV dans l’édition de 1683), Application de la règle précédente à la créance des miracles.

Saint AUGUSTIN, De utilitate credendi, XVI, 34, Bibliothèque augustinienne, t. 8, Paris, Desclée de Brouwer, 1951.

Saint AUGUSTIN, La Cité de Dieu, XXI, 5, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, t. 23, Desclée de Brouwer, Paris, 1960, p. 389 et p. 795-801.

DE VOOGHT Dom P., “La notion philosophique du miracle chez saint Augustin”, Recherches de théologie médiévale, 1938, p. 318-343.

DE VOOGHT Dom P., “La théologie du miracle selon saint Augustin”, Recherches de théologie ancienne et médiévale, Louvain, 1939, p. 197-222.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Nizet, Paris, 1977.

ORCIBAL Jean, “La signification du miracle et sa place dans l’ecclésiologie pascalienne”, Chroniques de Port-Royal,

n° 20-21, 1972, p. 66-82.

 

Éclaircissements

 

Je ne serais pas chrétien sans les miracles, dit saint Augustin.

 

Parmi les définitions du miracle que donnent le De utilitate credendi, XVI, 34, et La cité de Dieu, XXI, 5, la première n’insiste que sur l’aspect extraordinaire du fait, et la seconde sur son sens : par le miracle, Dieu montre sa présence.

Saint Augustin, De utilitate credendi, XVI, 34, Bibliothèque augustinienne, t. 8, Paris, Desclée de Brouwer, 1951, p. 293. Augustin appelle miracle tout événement insolite qui manifestement dépasse l’attente ou les capacités de celui qu’il étonne. Il en distingue deux catégories : ceux qui provoquent l’étonnement et ceux qui inspirent, en plus, reconnaissance et sympathie : « Miraculum voco, quidquid arduum aut insolitum supra spem vel facultatem mirantis apparet. In quo genere nihil est populis aptius et omnino stultis hominibus, quam id quod sensibus admovetur. Sed rursus haec in duo dividuntur : quaedam enim sunt quae solam faciunt admirationem ; quaedam vero magnam etiam gratiam benevolentiamque conciliant ». Voir sur ce sujet la note de la p. 492.

Saint Augustin, La Cité de Dieu, XXI, 5, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, t. 23, Desclée de Brouwer, Paris, 1960, p. 389 et p. 795-801, note sur Le miracle dans la théologie augustinienne. Au début de sa carrière, saint Augustin pense que les miracles ont été utiles, voire nécessaires aux premiers temps de l’Église, parce qu’il fallait des faits pour accréditer la prédication chrétienne. Mais c’est par la suite, vers 410 ou 415 seulement, que le miracle vient s’insérer brutalement dans sa vie. Augustin est confronté au problème des miracles contemporains, dont il fait usage dans son apologétique : p. 825. Défiant d’abord à l’égard des miracles contemporains, à cause de sa culture philosophique, mais surtout en raison des guérisons merveilleuses que les païens pouvaient faire valoir, il a changé d’avis sous l’influence d’Évode : p. 828. La découverte des reliques de saint Etienne modifie ses dispositions : p. 830. Pour comprendre et interpréter les miracles, Augustin développe alors sa doctrine des raisons séminales, selon laquelle la création contient dès l’origine des germes des miracles. Voir La Cité de Dieu, XXI, éd. cit., p. 797 sq., avec la bibliographie de la p. 798, et le De utilitate credendi, Œuvres, t. 8, p. 493.

Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La Logique ou l’art de penser, IV, XIII (éd. de 1664 ; XIV dans l’édition de 1683), Application de la règle précédente à la créance des miracles, reprennent et défendent les récits qu’Augustin fait de plusieurs miracles dont il a été le témoin. Ils montrent que les règles de la logique ne s’opposent pas à la croyance éclairée des miracles, et que la connaissance des circonstances qui les ont entourées permet de discerner ceux qui sont véritables.

La déclaration de saint Augustin prend ici son relief par opposition à ceux qui, comme Érasme, pensent que le religion chrétienne ne dépend pas des miracles, Non pendet religio christianorum a miraculis. Cette idée conduit d'abord à dire que l'essentiel de la révélation est dans l'Écriture. Voir là-dessus Gusdorf Georges, La révolution galiléenne, I, p. 201.

En revanche, la nécessité spirituelle des miracles est perçue par de nombreux catholiques. Saint-Cyran estimait que les chrétiens de son siècle avaient besoin d'être réveillés par des miracles. Pascal, à l’époque des Provinciales, disait qu’il s’attendait à ce qu’un miracle se produise. Il n’a pas détruit les papiers relatifs aux miracles, sans doute parce qu’il ne considérait pas que les miracles soient dépourvus de signification spirituelle. Si à ses yeux les miracles ne servent pas à convertir les incroyants, le présent fragment témoigne qu’il leur attache une grande importance comme signes qui, dans les situations difficiles ou ambiguës, permettent de discerner la vérité. Dans le conflit qui opposait Port-Royal aux jésuites, par exemple, le miracle de la Sainte Épine servait, selon Pascal, à discerner lequel des deux partis défendait la vérité. En effet, les miracles sont les signes par excellence qui traduisent l'insertion de Dieu dans l'histoire contemporaine et font comprendre quelle est sa volonté.

Il en résulte que les miracles ne sont efficaces que pour ceux qui, déjà engagés dans la recherche de la vérité, éprouvent le besoin de cette preuve. En d’autres termes, comme l’écrit Pascal, citant un recueil d’aphorismes augustiniens dû à Prosper d’Aquitaine, « ceux-là véritablement les miracles auxquels les miracles profitent, car on ne les voit pas si on n’en profite pas » (première lettre de Pascal à Melle de Roannez, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1030 ; Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 378 et 616-617). Voir sur ce point Mesnard Jean, “Au cœur de l'apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, p. 416 sq. Pour voir le miracle, il faut que le cœur soit déjà purifié ; et a contrario, ne pas voir les miracles est une marque que le cœur est mauvais. C’est pourquoi, dans le fragment Conclusion 3 (Laf. 379, Sel. 411), Pascal écrit que les miracles ne servent pas à convertir mais à condamner.

Il est toutefois un cas de miracle qui, selon Pascal, peut avoir une force persuasive qui peut toucher même les incrédules, et les disposer à devenir chrétiens, c’est la prophétie messianique et sa réalisation en Jésus-Christ, car il s’agit, non pas d’un miracle ponctuel et daté, mais d’un « miracle subsistant » qui s’étend à toute l’histoire, et dont par conséquent tous les hommes qui l’envisagent sérieusement peuvent aujourd’hui encore se convaincre. Mais ce cas n’est pas essentiellement différent du précédent : car l’incrédule qui recherche les miracles et tente d’en découvrir la signification n’a peut-être pas encore trouvé Dieu, mais il est déjà en train de le chercher.

Sur ces prophéties, clé de l’histoire des hommes qui révèle le dessein de Dieu sur le destin du monde, voir les liasses consacrées aux Prophéties, dans les papiers classés et dans les dossiers de travail.