Preuves par discours III - Fragment n° 9 / 10 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 46 p. 228 à 229 / C2 : p. 439 v° à 441 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. II - Marques de la véritable Religion : 1669 et janvier 1670 p. 27-29 / 1678 n° 14 p. 25-28

Une phrase a été ajoutée dans l’édition de 1678 : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1678 n° 27 p. 241

Éditions savantes : Faugère II, 355, XV et XVI / Havet XI.10 bis et 10 / Michaut 919 / Brunschvicg 556 / Le Guern 419 / Lafuma 449 (série V) / Sellier 690

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Bibliographie

 

 

CHRISTODOULOU Kyriaki, “Le stoïcisme dans la dialectique apologétique des Pensées”, Méthodes chez Pascal, Paris, P. U. F., 1979, p. 419-425.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, Paris, Vrin, 2e éd., 1971.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

GOUNELLE André, L’entretien de Pascal avec M. de Sacy, Paris, P. U. F., 1966.

MAGNARD Pierre, Pascal ou l'art de la digression, p. 54.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

PASCAL Blaise, Entretien avec M. de Sacy, Original inédit présenté par Pascale Mengotti et Jean Mesnard, Les Carnets, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010.

SERRES Michel, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, Paris, P. U. F., 1968.

 

 

Éclaircissements

 

Philippe Sellier, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 72 sq., réunit en un ensemble, dont ce texte est le centre, qu’il propose d’intituler Préface de la seconde partie, les fragments de Preuves par discours III, 1 à 10.

 

Ils blasphèment ce qu’ils ignorent.

 

Cet incipit semble être inspiré par une source du Nouveau Testament. Voir l’Épître catholique de l’apôtre saint Jude, v. 10. Pascal a peut-être repris et traduit en français le texte de la Vulgate : « Hi autem quaecumque quidem ignorant, blasphemant ».

On retrouve un texte proche dans la Seconde épître de saint Pierre, II, 12, qui donne dans la Vulgate : « Hi vero velut irrationabilia pecora, naturaliter in captionem, et in perniciem in his quae ignorant blasphemantes in corruptione sua peribunt. [...] ».

La Bible de Jérusalem leur fait aujourd’hui écho : « Mais eux sont comme des animaux sans raison, voués par nature à être pris et détruits ; blasphémant ce qu’ils ignorent, de la même destruction ils seront détruits eux aussi [...] ».

On trouve ailleurs des textes approchants.

La Bible de Port-Royal, p. 1597, donne : « Au lieu que ceux-ci condamnent avec exécration tout ce qu’ils ignorent [...] ».

La Bible de Louvain : « Mais iceulx certes blâment toutes choses qu’ils ne savent ».

Vatable : « At isti quae non noverunt, ea blasphemiis afficiunt ».

Les notes de la Bible de Port-Royal donnent des indications sur les personnes contre lesquelles écrit saint Jude : comme saint Pierre dans sa seconde Épître, il parle « contre les disciples de Simon et des Nicolaïtes, qui introduisent dans l’Église le libertinage », répandent « en secret de pernicieuses hérésies », et se croient détenteurs de connaissances supérieures, sans être conduits par l’Esprit de Dieu. « Le principal dessein de l’Apôtre dans cette Épître, c’est de garantir ceux à qui il écrit des erreurs qui commençaient à se répandre dans l’Église par les disciples de Simon et les Nicolaïtes, qui ajoutaient la corruption du cœur et des mœurs à celle de l’esprit et de la doctrine ». Ces ennemis sont de tous les temps, des prophètes de Baal aux Simoniens, Ébionites, Cérinthiens, mais ceux qui sont visés ici sont surtout les Nicolaïtes, les disciples de Simon, et « les Gnostiques qui leur ont succédé dans leurs erreurs et dans leurs pratiques abominables ». Ils leur reprochent un libertinage de mœurs, mais aussi d’idées : « les premiers hérétiques avaient inventé sur la nature de Dieu beaucoup d’imaginations ridicules ; et en la place de Dieu seul, ils en faisaient plusieurs qui gouvernaient le monde. Pour ce qui est de Jésus-Christ, ils niaient qu’il fût Dieu, qu’il fût véritablement né, qu’il eût souffert, et qu’il fût ressuscité ; ainsi ils le renonçaient en toutes manières par leur doctrine, et par leurs actions infâmes : c’étaient les faux prophètes que saint Jean appelle antéchrists, qui niaient qu’il fût Fils de Dieu, et qu’on reconnaissait à cette marque ». Un des effets funestes de leurs impuretés était de « donner occasion aux infidèles de décrier la religion chrétienne, et de fermer la porte à ceux qui auraient voulu y entrer ».

Cependant, le rapprochement de l’incipit de Pascal avec ces textes scripturaires n’implique pas qu’il assimile les esprits forts de son temps avec ces hérétiques anciens.

GEF XIV, p. 1, propose en note deux autres réutilisations de ces passages du Nouveau Testament. Fléchier renvoie au « langage de l’Apôtre », sur « ces hommes qui [...] blasphèment tout ce qu’ils ignorent ».

Massillon, dans son sermon pour le jeudi après les Cendres sur la vérité de la religion, Œuvres choisies, 1, éd. Godefroy, Paris, Garnier, 1868, p. 235, dit que Dieu a livré des « enfants d’incrédulité [...] qui blasphèment ce qu’ils ignorent » à la vanité de leurs pensées.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 127 sq. Problème : qui le pronom ils désigne-t-il ?

Ce début fait écho à celui du fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Qu’ils apprennent au moins quelle est la religion qu’ils combattent avant que de la combattre. Contrairement aux apologistes polémistes qui, comme le P. François Garasse, s’en prennent de front à l’impiété des incrédules, Pascal leur reproche surtout leur ignorance de la religion qu’ils refusent et l’indifférence où ils sont de s’en informer.

Du point de vue rhétorique, Pascal adresse aux incrédules un reproche d’ignoratio elenchi, que la Logique de Port-Royal, III, XIX, § 1, éd. Descotes, Paris, Champion, 436 sq., définit comme le défaut qui consiste à « prouver autre chose que ce qui est en question », c’est-à-dire à se tromper sur ce qui est à prouver. Voir sur ce genre de sophisme Aristote, Réfutations sophistiques, V, 167 a, éd. Tricot, p. 17 sq. ; Pierre d’Espagne, Summulae, Tr. VI, De fallacia ignorantiae elenchi et ejus modis, éd. 1572, p. 197 sq., et Guillaume d’Ockham, Somme de logique, Quatrième partie, ch. 14, III, 2e volume, éd. J. Biard, p. 288 sq. Le paralogisme d’ignoratio elenchi apparaît lorsqu’on n’a pas correctement défini ce qui est à prouver ou à réfuter, de sorte que la réponse tombe à côté de la question. Aristote réduit tous les paralogismes à l’ignoratio elenchi dans le même livre, VI, p. 23 sq. ; Pierre d’Espagne note aussi : « Ignorantia elenchi est unius defectus generalis ad quem reducuntur omnes aliae fallaciae » ; voir éd. 1572, p. 205, Quomodo omnes fallaciae ad ignorantiae elenchi reducuntur. L’ignoratio elenchi entraîne une translatio disputationis souvent sophistique : voir Aristote, Organon, V, Topiques, éd. Tricot, p. 69 sq. Arnauld explique comment éviter ce défaut dans les Règles du bon sens, Œuvres, t. XL, p. 153 sq., et Textes philosophiques, éd. D. Moreau, p. 100, Article II, Seconde règle, Considérer avec soin si on a bien posé l’état de la question, et prendre garde si on ne le change point dans la suite, en passant insensiblement du point dont il s’agit à un autre point dont il ne s’agit pas. Les auteurs de la Logique condamnent sévèrement ce défaut, qui n’est pas seulement de logique, mais qui provient souvent de la mauvaise foi et de la passion : « C’est un vice très ordinaire dans les contestations des hommes. On dispute avec chaleur, et souvent on ne s’entend pas l’un l’autre. La passion ou la mauvaise foi fait qu’on attribue à son adversaire ce qui est éloigné de son sentiment pour le combattre avec plus d’avantage, ou qu’on lui impute les conséquences qu’on s’imagine pouvoir tirer de sa doctrine, quoiqu’il les désavoue et qu’il les nie. Tout cela se peut rapporter à cette première espèce de sophisme, qu’un homme de bien et sincère doit éviter sur toutes choses. » Port-Royal a souvent dû faire face à ce type de sophisme dans les polémiques sur la grâce et la signature du Formulaire.

Blasphème : crime énorme qui se commet contre la divinité par des paroles ou des sentiments qui choquent sa majesté ou les mystères de la vraie religion (Furetière).

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Cerf, 1993, art. Blasphème, p. 174. Toute atteinte portée à la majesté de Dieu ou à la sainteté de son nom ; le troisième commandement (Exode, XX, 7) interdit de prononcer en vain le nom de Dieu.

Pontas, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 251-252. Tout blasphème commis avec délibération est péché mortel, et la loi de Moïse le punissait de mort.

Y a-t-il dans la formule de Pascal une condamnation brutale de la conduite des incrédules ? Un casuiste pourrait soutenir que l’ignorance de l’incrédule à l’égard de la gravité de sa faute peut l’alléger et de mortelle la rendre vénielle. Cependant l’ignorance des impies dont il est question ici porte plutôt sur la substance de la doctrine catholique que sur la gravité du blasphème. Pascal pense sans doute à ces « grands mots à la religion » que l’on profère dans la conversation, dont fait état le fragment Laf. 658, Sel. 542 : Je la nie.

 

La religion chrétienne consiste en deux points, il importe également aux hommes de les connaître et il est également dangereux de les ignorer.

Et il est également de la miséricorde de Dieu d’avoir donné des marques des deux.

 

Miséricorde : voir plus bas.

Quels sont les deux points auxquels pense ici Pascal ?

GEF XIV, p. 2, n. 1. Interprète cette formule comme suit : « les hommes ne peuvent apercevoir la misère sans nier la grandeur, ou la grandeur sans nier la misère. Pour eux, un aspect de la nature humaine est exclusif de l’aspect contraire ; le chrétien seul aperçoit le double caractère de l’homme ».

Il s’agit pourtant certainement d’un contresens.

1. Pascal ne parle pas ici des données de l’anthropologie que sont la grandeur et la misère, mais des données de la Révélation.

2. Il n’est question nulle part dans tout le texte de la connaissance de la grandeur et la misère de l’homme, qui relève de l’anthropologie.

Il faut se rapporter au fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) : Qu’ils apprennent au moins quelle est la religion qu’ils combattent avant que de la combattre. Si cette religion se vantait d’avoir une vue claire de Dieu, et de la posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu’on ne voit rien dans le monde qui la montre avec cette évidence. Mais puisqu’elle dit au contraire, que les hommes sont dans les ténèbres et dans l’éloignement de Dieu, qu’il s’est caché à leur connaissance, que c’est même le nom qu’il se donne dans les Écritures, Deus absconditus ; et, enfin, si elle travaille également à établir ces deux choses : que Dieu a établi des marques sensibles dans l’Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement ; et qu’il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu’il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque dans la négligence où ils font profession d’être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre, puisque cette obscurité où ils sont, et qu’ils objectent à l’Église, ne fait qu’établir une des choses qu’elle soutient, sans toucher à l’autre, et établit sa doctrine, bien loin de la ruiner ?

Les deux points en question sont donc que Dieu a établi des marques sensibles dans l’Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement ; et qu’il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu’il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, autrement dit que Dieu se cache aux hommes dont le cœur est mauvais, mais que la rédemption apportée par le Christ permet aux hommes d’être capables de Dieu malgré la corruption de la nature.

Cette interprétation est confirmée par la suite du présent fragment : la religion chrétienne enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités, et qu’il y a un Dieu dont les hommes sont capables, et qu’il y a une corruption dans la nature qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l’un et l’autre de ces points, et il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui l’en peut guérir. Une seule de ces connaissances fait, ou la superbe des philosophes qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées qui connaissent leur misère sans Rédempteur.

Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Cette religion qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie on serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé et cellelà a subsisté pour laquelle sont toutes choses.

Dieu a donné des marques de ces deux points :

Preuves par discours III (Laf. 446, Sel. 690). S’il n’y avait point d’obscurité, l’homme ne sentirait pas sa corruption ; s’il n’y avait point de lumière, l’homme n’espérerait point de remède. Ainsi il est non seulement juste, mais utile pour nous que Dieu soit caché en partie, et découvert en partie, puisqu’il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître Dieu.

Les deux points en question sont pour ainsi dire plus profonds que la grandeur et la misère, puisque la chute est la cause tout à la fois de la misère de l’homme et du sentiment qui lui reste de sa grandeur perdue. Mais surtout la corruption et la rédemption ne sont pas contraires l’un de l’autre, comme le sont la grandeur et la misère, ce qui exclut l’interprétation proposée par GEF XIV.

 

Et cependant ils prennent sujet de conclure qu’un de ces points n’est pas de ce qui leur devrait faire conclure l’autre.

 

Pascal entame ici la critique du raisonnement des incrédules. Il reproche aux incrédules non pas d’être incapables d’affirmer en même temps deux idées contraires, mais de commettre le paralogisme qui consiste à tirer d’une affirmation non la conséquence qu’elle comporte, mais la négation d’une autre. Il présente leur raisonnement comme un exemple de la manière dont peut raisonner un esprit faux, semblable à celui que mentionne le fragment Géométrie-Finesse II (Laf. 512, Sel. 670).

 

Les sages qui ont dit qu’il n’y a qu’un Dieu ont été persécutés, les Juifs haïs, les chrétiens encore plus.

 

Les sages qui ont dit qu’il n’y avait qu’un Dieu : GEF XIV, p. 1, n. 1, renvoie à des passages de Fléchier et de Massillon qui reprennent les mêmes termes, mais qui ne peuvent être considérés comme des sources de Pascal.

Pascal pense sans doute à Socrate. On a aussi attribué à Xénophane de Colophon une doctrine monothéiste, mais il ne paraît pas avoir subi de persécution. D’autre part, l’Entretien avec M. de Sacy montre que Pascal considère le stoïcien Épictète comme monothéiste ; voir sur ce point Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, Paris, Vrin, 2e éd., 1971, p. 91 sq. : Pascal commence par louer Épictète comme les humanistes chrétiens qui ont reconnu dans le stoïcisme un pressentiment de la religion chrétienne, notamment Du Vair et Juste Lipse. Mais Épictète ne paraît pas non plus avoir été persécuté, sauf du fait qu’en 93, l’empereur Domitien chassa les philosophes de Rome.

Les Juifs haïs : voir le dossier thématique sur le peuple juif.

Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, § XXIX, éd. Naves, Garnier, p. 162 sq., éd. Ferret et McKenna, p. 179-180. « Ils ont été quelquefois persécutés, de même que le serait aujourd'hui un homme qui viendrait enseigner l'adoration d'un Dieu, indépendante du culte reçu. Socrate n'a pas été condamné pour avoir dit : Il n'y a qu'un Dieu, mais pour s'être élevé contre le culte extérieur du pays, et pour s'être fait des ennemis puissants fort mal à propos. À l'égard des juifs, ils étaient haïs, non parce qu'ils ne croyaient qu'un Dieu, mais parce qu'ils haïssaient ridiculement les autres nations, parce que c'étaient des barbares qui massacraient sans pitié leurs ennemis vaincus, parce que ce vil peuple, superstitieux, ignorant, privé des arts, privé du commerce, méprisait les peuples les plus policés. Quant aux chrétiens, ils étaient haïs des païens parce qu'ils tendaient à abattre la religion et l'empire, dont ils vinrent enfin à bout, comme les protestants se sont rendus les maîtres dans les mêmes pays, où ils furent longtemps haïs, et massacrés. »

Boullier David Renaud, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § XXIX, p. 86 sq.

 

Ils ont vu par lumière naturelle que s’il y a une véritable religion sur la terre, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son centre.

Toute la conduite des choses doit avoir pour objet l’établissement et la grandeur de la religion. Les hommes doivent avoir en eux‑mêmes des sentiments conformes à ce qu’elle nous enseigne. Et enfin elle doit être tellement l’objet et le centre où toutes choses tendent,

 

Le raisonnement s’appuie pour commencer sur un principe juste. C’est dans les conclusions qui vont être tirées que va se glisser l’erreur : la vraie religion doit être le centre auquel tout tend et le principe d’intelligibilité de la condition humaine et de la conduite du monde.

Ils ont vu par lumière naturelle que s'il y a une véritable religion sur la terre… : Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680) semble pourtant indiquer que la lumière naturelle ne permet ni d’affirmer, ni de nier l’existence de Dieu. Mais il n’y a pas de contradiction, du fait que ce que les sages en question sont censés avoir compris à l’aide de leur raison, c’est que dans l’hypothèse où une religion serait vraie, il faudrait qu’elle soit le centre de toutes choses. Cette hypothèse n’est pas équivalente à l’affirmation positive de l’existence de Dieu.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 454-455. Que veut dire Pascal lorsqu’il écrit que les principes de la religion chrétienne expliquent non seulement l’énigme humaine, mais « toute la conduite du monde » ? « D’abord que Dieu a fait en sorte que la religion fût toujours sur la terre, ensuite qu’il a dirigé toute la conduite d’Israël de façon à faire des Juifs un vivant témoignage, tant par les traces de transcendance qui se manifestent chez eux que par l’établissement d’un miracle subsistant, les prophéties réalisées ; qu’il a veillé à l’accomplissement des moindres prophéties ou figures ; qu’il a toujours, quand il l’a fallu, fait éclater la vérité par des miracles ; qu’il a toujours empêché et empêchera toujours la ruine de son Église ».

Cependant, dans ce passage, l’idée que s'il y a une véritable religion sur la terre, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son centre est susceptible d’une signification d’esprit déiste, accessible par « lumière naturelle ». Elle peut être attribuée à un philosophe comme Épictète, dont Pascal décrit la pensée dans les termes suivants dans L’entretien avec M. de Sacy, éd. P. Mengotti et J. Mesnard, p. 93 : Épictète « est un des philosophes du monde qui ait mieux connu les devoirs de l’homme. Il veut, avant toutes choses, qu’il regarde Dieu comme son principal objet ; qu’il soit persuadé qu’il gouverne tout avec justice ; qu’il se soumette à lui de bon cœur, et qu’il le suive volontairement en tout, comme ne faisant rien qu’avec une très grande sagesse : qu’ainsi cette disposition arrêtera toutes les plaintes et tous les murmures, et préparera son esprit à souffrir paisiblement les événements les plus fâcheux ». Pascal sait que les stoïciens sont déistes.

Conduite : action de celui qui conduit. Ce mot a toutes les significations de son verbe : on dit la conduite d’un État, d’une famille, d’un vaisseau, d’une entreprise, d’un dessein. La providence de Dieu a le soin, la conduite du monde (Furetière).

Établissement : action par laquelle on fonde, on établit ; le mot signifie aussi institution : l’établissement des religions, des sacrements (Furetière).

Les hommes doivent avoir en eux-mêmes des sentiments conformes à ce qu'elle nous enseigne : voir ci-dessus la manière dont Pascal présente les sentiments d’Épictète, conformes au déisme.

GEF XIV, p. 2, n. 2, interprète le verbe enseigner au sens de décrire (ou expliquer), et non de prescrire. « Il s’agit de sentiments conformes non aux préceptes moraux de la religion, mais à la vérité de l’état psychologique qu’elle nous révèle par la double doctrine de la rédemption et de la corruption ». Pascal ne veut pas dire que la religion doit dicter des sentiments au sens actuel du terme, mais que l’on observe en l’homme des manières de penser et des opinions (sens classique du mot sentiment) qui sont ceux que la religion chrétienne déduit de ses principes : par exemple, l’amour de soi, la concupiscence sous ses trois formes, etc.

L'objet et le centre où toutes choses tendent : objet se prend dans son sens originel, de ce que l’on regarde, ou à quoi on attache son attention. Objet signifie aussi la fin, ce que vise l’intention : cet homme n’a d’autre objet dans ses actions que la gloire de Dieu, ce magistrat n’a d’autre objet que de rendre justice ; c’est l’objet ou le but où tendent tous les désirs (Furetière).

Centre : les définitions que donne Furetière de ce mot sont suggestives, mais ne suffisent pas à expliquer la signification de centre sous la plume de Pascal. Centre a un sens géométrique : Voir la définition de Jacques Ozanam, Dictionnaire, p. 113. « Le cercle est une figure plane terminée par une seule ligne courbe qu’on nomme circonférence, au dedans de laquelle il y a un point appelé centre du cercle, duquel toutes les lignes tirées à la circonférence sont égales entre elles. » On appelle aussi centre dans les autres figures curvilignes les points où se ramassent les rayons réfléchis. Le centre de la parabole est le point où se réfléchissent les rayons. On l’appelle autrement le foyer. De cette définition se tire l’idée que le centre est le point à partir duquel tous les autres éléments de la figure se définissent. Mais le mot centre a aussi un sens statique lorsque l’on parle du centre de gravité : c’est le lieu autour duquel les diverses parties d’un corps s’équilibrent. Dans la Statique de son Dictionnaire, Ozanam tente de donner un sens au centre de grandeur : « Le centre de gravité, ou le centre de pesanteur d’un corps pesant est un point autour duquel ses parties sont tellement disposées que s’il est soutenu par ce point, et mis en telle situation qu’on voudra, les parties qui sont d’une part, non ni plus, ni moins de force pour descendre que celles qui sont de l’autre part, et qu’elles s’empêchent réciproquement de descendre », autrement dit que le corps demeure en repos.

P. Duhem a très bien expliqué dans son livre Les origines de la statique, comment, dans la physique des anciens, puis au Moyen Âge, l’idée du centre du monde, c’est-à-dire de la Terre, a été conçue comme le lieu auquel tendent tous les graves comme étant leur lieu naturel, celui où ils ne sont plus soumis à des mouvements violents. Voir particulièrement le t. 2, p. 6 sq., La notion de centre de gravité dans l’antiquité, et La tendance du centre de gravité vers le centre de l’univers, Albert de Saxe (XIVe siècle), p. 9 sq. Dans le langage naturel, le centre est ainsi conçu à la fois comme centre de référence de ce qui l’entoure, et comme lieu auquel toutes choses tendent parce qu’elles sont supposées s’y trouver en un état d’équilibre et d’harmonie. Figurément, le mot se dit du lieu où l’on a ses plaisirs (Furetière).

Serres Michel, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, p. 648 sq., montre brillamment l’importance que l’idée et le mot de centre ont dans l’œuvre de Pascal.

Voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 242 sq., sur la manière dont la révélation de la religion chrétienne apporte à l’homme la stabilité intérieure qui lui manque lorsque, laissé à lui-même, il est ballotté entre les extrêmes et rejeté d’un contraire à l’autre.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Jésus-Christ est l’objet de tout, et le centre où tout tend. Qui le connaît connaît la raison de toutes choses. Ceux qui s’égarent ne s’égarent que manque de voir une de ces deux choses. On peut donc bien connaître Dieu sans sa misère, et sa misère sans Dieu ; mais on ne peut connaître Jésus-Christ sans connaître tout ensemble et Dieu et sa misère.

 

que qui en saura les principes puisse rendre raison et de toute la nature de l’homme en particulier, et de toute la conduite du monde en général.

 

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Jésus-Christ est l’objet de tout, et le centre où tout tend. Qui le connaît connaît la raison de toutes choses. Ceux qui s’égarent ne s’égarent que manque de voir une de ces deux choses. On peut donc bien connaître Dieu sans sa misère, et sa misère sans Dieu ; mais on ne peut connaître Jésus-Christ sans connaître tout ensemble et Dieu et sa misère.

Il ne faut pas entendre que la religion chrétienne apporte la raison des effets du monde physique, qui est l’objet de la science, mais que la doctrine de la corruption et de la rédemption explique la nature et les contradictions de l’homme, et que le dessein salvifique de Dieu rend compte de la manière dont il conduit l’Histoire universelle, notamment par le grand mouvement prophétique.

 

Et sur ce fondement ils prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne parce qu’ils la connaissent mal. Ils s’imaginent qu’elle consiste simplement en l’adoration d’un Dieu considéré comme grand et puissant et éternel, ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l’athéisme, qui y est tout à fait contraire. Et de là ils concluent que cette religion n’est pas véritable, parce qu’ils ne voient pas que toutes choses concourent à l’établissement de ce point que Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l’évidence qu’il pourrait faire.

 

Voir les dossiers thématiques sur le Déisme et l’Athéisme.

Pascal décompose l’ignoratio elenchi pour remettre en place les termes du problème.

Pour comprendre le texte, il faut savoir lequel des deux points les incrédules admettent. Ils admettent que la véritable religion étant le centre de tout, il faut que la religion chrétienne affirme l’existence d’un Dieu puissant et éternel.

Mais ces incrédules qui ont compris que la vraie religion doit être le centre de tout, pensent que le christianisme ne tient pas ce qu’ils croient être ses promesses : comme ils le confondent avec le déisme, ils pensent que la religion chrétienne doit donner une vue pleine de Dieu, en d’autres termes que l’esprit de l’homme doit pouvoir avoir naturellement une connaissance entière de son existence et de sa nature. Ils pensent donc que la capacité actuelle de l’homme va jusqu’à connaître Dieu comme Adam l’avait connu avant de commettre le péché originel (en d’autres termes, ils ont une idée moliniste de la religion chrétienne). Mais ils constatent aussi que ce n’est pas le cas, puisque si l’on s’en tient aux connaissances naturelles, nous ne pouvons connaître ni l’existence ni la nature de Dieu (voir Preuves par discours I - Laf. 418, Sel. 680).

S’il existe une véritable religion, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son centre.

Donc toute la conduite des choses doit avoir pour objet l’établissement et la grandeur de la religion

1. de la part des hommes : ils doivent lui être conformes,

2. de la part de la religion :

a. elle doit le centre auquel tout tend,

b. ses principes doivent rendre raison

a. de la nature de l’homme,

b. de la conduite du monde.

L’erreur des incrédules consiste à penser que la religion chrétienne ne répond pas à ces conditions :

1. ils en ont une idée fausse, qui est en fait celle du déisme : que la religion consiste en la croyance en un Dieu puissant et éternel.

2. ils ne connaissent pas la doctrine du Dieu qui se cache à l’homme corrompu par le péché.

L’édition de 1670 développe clairement l’argument par l’absurde que tiennent les incrédules : « Et de là ils concluent que cette Religion n’est pas véritable ; parce que si elle l’était il faudrait que Dieu se manifestât aux hommes par des preuves si sensibles qu’il fût impossible que personne le méconnût. »

Pascal répond que l’objection, pertinente contre le déisme, ne l’est pas contre la religion chrétienne, qui, posant comme principe la corruption résultant du péché originel, en conclut que Dieu se cache au cœur mauvais de l’homme (voir le dossier thématique sur le Dieu caché). La formule initiale du raisonnement de Pascal est donc exacte : les incrédules qui concluent que la religion chrétienne est fausse du fait que Dieu ne paraît pas, devraient au contraire en conclure que la nature est corrompue par le péché.

 

Mais qu’ils en concluent ce qu’ils voudront contre le déisme, ils n’en concluront rien contre la religion chrétienne qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui unissant en lui les deux natures, humaine et divine, a retiré les hommes de la corruption et du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 242 sq. En quoi consiste essentiellement la religion chrétienne. Voir aussi p. 358, sur le caractère total de la vérité que fait connaître la foi chrétienne.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 127 sq.

Le mystère du Rédempteur : voir le dossier thématique sur Jésus-Christ. Voir saint Paul, Lettre aux Éphésiens, I, 4-10 : « Ainsi qu’il nous a élus en lui avant la création du monde par l’amour qu’il nous a porté, afin que nous fussions saints et irrépréhensibles devant ses yeux ; 5. Nous ayant prédestinés par un pur effet de sa bonne volonté, pour nous rendre ses enfants adoptifs par Jésus-Christ, 6. Afin que la louange et la gloire en soit donnée à sa grâce, par laquelle il nous a rendus agréables àses yeux en son Fils bien-aimé, 7. Dans lequel nous trouvons la rédemption par son sang, et la rémission des péchés selon les richesses de sa grâce, 8. Qu’il a répandu sur nous avec abondance, en nous remplissant d’intelligence et de sagesse ; 9. Pour nous faire connaître ainsi le mystère de sa volonté fondé sur sa bienveillance, par laquelle il avait résolu en soi-même, 10. Que les temps ordonnés par lui étant accomplis, il réunirait tout en Jésus-Christ comme dans le chef, tant ce qui est dans le ciel que ce qui est dans la terre. » Voir aussi Éphésiens, III, 5. La Lettre aux Colossiens, I, 26, parle de la Rédemption comme d’un « mystère qui a été caché dans tous les siècles et tous les âges, et qui maintenant a été découvert à ses saints ».

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 340 sq. : la Rédemption réelle par le Christ est un mystère que la raison naturelle ne peut percer, parce qu’il plonge dans plusieurs mystères : mystère de la Trinité, mystère de l’Incarnation (voir saint Augustin, Enchiridion, X, 35), mystère du péché et mystère de l’amour divin rédempteur.

 

Elle enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités, et qu’il y a un Dieu dont les hommes sont capables, et qu’il y a une corruption dans la nature qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l’un et l’autre de ces points, et il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui l’en peut guérir.

 

Voir plus haut, sur les deux points en question.

Elle enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités et qu'il y a un Dieu dont les hommes sont capables : c’est ce qui a été démontré dans le fragment précédent.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 147. Chaque fois que Pascal définit son christianisme, il le fait dans les mêmes termes, par la corruption de la nature humaine et la rédemption de Jésus-Christ. La Chute et la Rédemption sont deux dogmes fondamentaux, qui donnent au christianisme de Pascal la couleur particulière de l’augustinisme. Voir p. 148 sq., l’étude de la signification de ces deux affirmations, appuyée notamment sur les Écrits sur la grâce (Traité de la prédestination).

Dossier de travail (Laf. 417, Sel. 36). Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus-Christ ; nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus-Christ. Hors de Jésus-Christ  nous ne savons ce que c’est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes. Ainsi sans l’Écriture qui n’a que Jésus-Christ  pour objet nous ne connaissons rien et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature.

 

Une seule de ces connaissances fait, ou la superbe des philosophes qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées qui connaissent leur misère sans Rédempteur.

 

Voir les dossiers thématiques sur le Déisme, le Désespoir et l’Athéisme.

Mesnard Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, p. 31 sq. Conception pascalienne de l’athéisme et du déisme. Ils présentent ce trait commun de n’envisager Dieu que sous le rapport de la raison et de ne le chercher que dans la nature, et non par le Christ. Mais la raison les conduit à des conclusions opposées : l’athéisme nie Dieu faute de « lumière » qui le découvre, alors que le déisme affirme que la raison naturelle permet de connaître l’existence de Dieu. Le premier est pyrrhonien, le second est dogmatique. L’athée est caractérisé par le désespoir, qui vient de la conscience d’une impuissance irrémédiable et la négation du salut : il n’est pas inquiet ni tourmenté ; c’est un épicurien qui se laisse aller à la concupiscence. Le déiste au contraire est caractérisé par sa « superbe », comme on le voit dans le cas des stoïciens. Chez l’athée, la négation de Dieu s’accompagne de la négation de l’homme, qu’il tend (comme les épicuriens, tels qu’on les concevait au XVIIe siècle) à égaler aux bêtes.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Tous ceux qui cherchent Dieu hors de Jésus-Christ, et qui s’arrêtent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou ils arrivent à se former un moyen de connaître Dieu et de le servir sans médiateur, et par là ils tombent ou dans l’athéisme ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également.

Excellence 5 (Laf. 192, Sel. 225). La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de Jésus-Christ fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu et notre misère.

Laf. 733, Sel. 614. L’Église a toujours été combattue par des erreurs contraires. Mais peut-être jamais en même temps comme à présent, et si elle en souffre plus à cause de la multiplicité d’erreurs, elle en reçoit cet avantage qu’ils se détruisent.

[...] La foi embrasse plusieurs vérités qui semblent se contredire, temps de rire de pleurer, etc. responde ne respondeas, etc.

La source en est l’union des deux natures en Jésus-Christ.

[...] Toutes choses doublées et les mêmes noms demeurant.

[...] Il y a donc un grand nombre de vérités, et de foi et de morale qui semblent répugnantes et qui subsistent toutes dans un ordre admirable.

[...] La source de toutes les hérésies, est l’exclusion de quelques-unes de ces vérités.

[...] Et la source de toutes les objections que nous font les hérétiques est l’ignorance de quelques-unes de nos vérités.

Et d’ordinaire il arrive que ne pouvant concevoir le rapport de deux vérités opposées et croyant que l’aveu de l’une enferme l’exclusion de l’autre, ils s’attachent à l’une, ils excluent l’autre et pensent que nous, au contraire. Or l’exclusion est la cause de leur hérésie ; et l’ignorance que nous tenons l’autre, cause leurs objections.

Le désespoir des athées tient au fait qu’ils nient toute possibilité de salut.

Le déisme est par exemple celui des stoïciens, comme Pascal l’indique dans l’Entretien avec M. De Sacy.

 

Et ainsi comme il est également de la nécessité de l’homme de connaître ces deux points, il est aussi également de la miséricorde de Dieu de nous les avoir fait connaître. La religion chrétienne le fait, c’est en cela qu’elle consiste.

 

Miséricorde : voir Preuves par discours III (Laf. 438, Sel. 690).

Genèse, tr. Sacy, I, Explication du chapitre III, p. 197. « La bonté de Dieua paru jusques dans son comble, et presque jusques dans un excès incompréhensible à l’esprit humain, lorsque le Verbe de Dieu, sans craindre de faire injure à sa propre grandeur, a rabaissé sa divinité jusqu’à se faire homme, et jusqu’à mourir d’une mort cruelle et honteuse pour sauver les hommes. Et cette bonté de Jésus-Christ a paru d’autant plus grande, qu’elle s’est trouvée jointe à un souverain pouvoir, puisqu’étant Dieu comme il était, il n’a souffert que lorsqu’il lui a plu, et en la manière qu’il lui a plu : avec des circonstances qui ont fait voir clairement, comme il a été dit ailleurs, qu’il est mort par la même puissance par laquelle il s’est ressuscité après sa mort. Ainsi quoiqu’il soit vrai que Dieu étant l’Être souverain, ne peut rien ajouter à sa grandeur qui est infinie, on peut dire néanmoins que lorsqu’il s’est abaissé si profondément pour sauver les hommes, il s’est relevé en quelque sorte au-dessus de lui-même, parce que sa puissance étant demeurée la même, sa bonté a paru ensuite sans comparaison plus grande. »

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 268 sq. La miséricorde de Dieu et le discernement. Dieu discerne dans la masse ceux qu'il veut sauver : p. 269.

 

Qu’on examine l’ordre du monde sur cela, et qu’on voie si toutes choses ne tendent pas à l’établissement des deux chefs de cette religion.

 

Ces lignes tracent un programme de travail que Pascal n’a pas pu mener à bien. Il l’a entamé avec la lecture du Pugio fidei de R. Martin et du De veritate religionis christianae de Hugo Grotius, mais il n’a laissé que quelques fragments sur l’islam et sur la Chine.