Fragment Vanité n° 31 / 38 – Papiers originaux : RO 361-361 v° et 369-369 v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 51 à 65 p. 82 à 13  / C2 : p. 24 à 30

Éditions de Port-Royal : Chap. XXV - Faiblesse de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 190 à 198 /

1678 n° 4, 7, 8, 11, 13, 14 et 16 p. 186 à 194

Éditions savantes : Faugère II, 47 à 53, I-I à V / Havet III.3 et III.19 / Michaut 601 / Brunschvicg 82 et 83 / Tourneur p. 173-6 / Le Guern 41 / Maeda II p. 13 / Lafuma 44 et 45 / Sellier 78

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Éclaircissements

 

 

Bibliographie

Définitions de l’imagination

L’ordre dans “Imagination”

Analyse du texte de RO 361 : C’est cette partie dominante dans l’homme...

Analyse du texte de RO 362 (361 v°) : Ne diriez-vous pas que ce magistrat dont la vieillesse vénérable impose le respect...

Analyse du texte de RO 369 : Nos magistrats ont bien connu ce mystère...

Analyse du texte de RO 370 (369 v°) : Parce, dit-on, que vous avez cru dès l’enfance...

 

 

 

Ne diriez-vous pas que ce magistrat dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple se gouverne par une raison pure et sublime et qu’il juge des choses

 

RO Page 362

 

par leur nature sans s’arrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l’imagination des faibles ? Voyez-le entrer dans un sermon où il apporte un zèle tout dévot, renforçant la solidité de sa raison par l’ardeur de sa charité. Le voilà prêt à l’ouïr avec un respect exemplaire. Que le prédicateur vienne à paraître, si la nature lui a donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l’ait mal rasé, si le hasard l’a encore barbouillé de surcroît, quelques grandes vérités qu’il annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur.

 

Barbouiller : s’embarrasser dans son discours, perdre le fil de son discours ; c’est une question d’élocution.

Je parie : sanctionne une prévision, comme en physique, mais dans le style du monde, et en prenant le lecteur à témoin.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, Sedes, 1993, p. 84. Le passage sur le magistrat qui perd son sérieux au sermon considéré comme expérience et comme preuve.

Construction de l’expérience : d’un côté, toutes les plus importantes raisons en faveur du succès du sermon (vieillesse vénérable du sénateur, raison et sérieux, préparation à la dévotion, ardeur de la charité, etc.) ; de l’autre côté, trois causes insignifiantes : une voix enrouée (ouïe) ; un visage bizarre, une barbe mal rasée et un aspect barbouillé. Paradoxe qui en résulte : disproportion en ce que plusieurs grandes raisons additionnées n’arrivent pas à contrepeser quelques causes insignifiantes. Noter les aspects de mise en scène. On observe le sénateur, et le sénateur observe le prédicateur : c’est la réaction du sénateur qui est significative. Mais c’est le prédicateur qui a un visage de farce.

Paradoxe : on a dans ce cas un usage raisonné de l’imagination, dans un texte qui en dénonce l’usage trompeur.

Dans une église a été remplacé par dans un sermon. Ce changement a été effectué après le premier jet. Il vise sans doute à placer la scénette dans un décor qui n’est pas sacré : les sermons ne se prononcent pas toujours dans des églises. La nature du sermon doit être bien comprise : il ne s’agit pas du sermon que l’on entend au cours de la messe telle qu’elle est actuellement célébrée.

 

Voir le dossier thématique sur le sermon...

 

Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large qu’il ne faut, s’il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n’en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer.

 

Montaigne, Essais, II, 12, Pléiade, p. 578. « Qu’on loge un philosophe dans une cage de menus filets de fer clairsemés, qui soit suspendue au haut des tours Notre-Dame de Paris ; il verra par raison évidente qu’il est impossible qu’il en tombe ; et si ne se saurait garder (s’il n’a accoutumé le métier des couvreurs) que la vue de cette hauteur extrême, ne l’épouvante et ne le transisse. Car nous avons assez affaire de nous assurer aux galeries, qui sont en nos clochers, si elles sont façonnées à jour, encore qu’elles soient de pierre. Il y en a qui n’en peuvent pas seulement porter la pensée. Qu’on jette une poutre entre ces deux tours d’une grosseur telle qu’il nous la faut à nous promener dessus, il n’y a sagesse philosophique de si grande fermeté qui puisse nous donner courage d’y marcher, comme nous ferions si elle était à terre. J’ai souvent essayé cela, en nos montagnes de deçà, et si suis de ceux qui ne s’effrayent que médiocrement de telles choses, que je ne pouvais souffrir la vue de cette profondeur infinie sans horreur et tremblement de jarrets et de cuisses, encore qu’il s’en fallut bien ma longueur, que je ne fusse du tout au bord, et n’eusse su choir, si je ne me fusse porté à escient au danger. J’y remarquai aussi, quelque hauteur qu’il y eût, pourvu qu’en cette pente il s’y présentât un arbre, ou bosse de rocher, pour soutenir un peu la vue, et la diviser, que cela nous allège et donne assurance ; comme si c’était chose de quoi à la chute nous pussions recevoir secours : mais que les précipices coupés et unis, nous ne les pouvons pas seulement regarder sans tournoiement de teste : ut despici sine vertigine simul oculorum animique non possit : qui est une évidente imposture de la vue. » Le caractère d’expérience concrète a dû retenir l’attention de Pascal. L’éd. Ferreyrolles ne reproduit pas la remarque que Pascal reprend presque textuellement : « Il y en a qui n’en peuvent pas seulement porter la pensée ». Voir sur ce passage Croquette Bernard, Pascal et Montaigne, p. 137.

Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, III, 103, éd. V. Aubin, Garnier-Flammarion, 1999, p. 363 : « Ce fut une thèse d’Avicenne, que la matière, dans la production d’un effet, obéit bien davantage aux substances séparées qu’aux choses agissant en sens contraire sur la matière. Aussi soutient-il qu’un acte d’appréhension de ces substances est parfois suivi d’un effet dans les réalités inférieures, par exemple de pluies, ou de la guérison d’un malade, sans passer par l’intermédiaire d’un agent corporel. De cela il trouve un indice dans notre âme, dont l’imagination peut être tellement forte qu’un seul acte d’appréhension suffit à modifier le corps : par exemple lorsque quelqu’un marche sur une poutre placée en hauteur, il tombe facilement car cela peut lui fait imaginer la chute ; il ne tomberait pas si cette poutre était placée par terre, car il ne pourrait craindre de tomber. »

Outre les références à Thomas d’Aquin et Avicenne dans l’éd. Ferreyrolles, on peut renvoyer à Sénèque, De ira, II, 2.

Mesnard Jean, La culture au XVIIe siècle, p. 90. Rapport entre le texte de Montaigne et celui de Pascal. Comment Pascal schématise l’évocation et en exclut tout pittoresque pour la rendre plus frappante et plus probante.

Le Guern Michel, L’image dans l’œuvre de Pascal, p. 89-91. Dans la présentation de l’expérience, les données y sont poussées à la limite ; on n’y trouve pas de description psychologique. Seule est soulignée l’opposition entre imagination et raison. A la fin les effets sont pris, non sur l’expérience réelle, mais sur l’expérience imaginée, ce qui renforce la conclusion.

Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 272 sq., sur la description des expériences, et p. 276 sur ce passage.

Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, p. 69-70.

 

L’expression Je mets en fait que a été barrée par Pascal. Elle se trouve dans Laf. 792, Sel. 646. Je mets en fait que si tous les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres il n’y aurait pas quatre amis dans le monde. Intérêt de la suppression d’une formule à la première personne. Le Guern insiste sur l’anacoluthe son imagination, sans préciser qu’elle résulte de la suppression de je mets en fait que

 

Je ne veux pas rapporter tous ses effets. Qui ne sait que la vue des chats, des rats, l’écrasement d’un charbon, etc. emportent la raison hors des gonds.

 

Chez Havet, ses effets signifie les effets de la raison.

Il y a peut-être une note personnelle dans l’évocation du charbon. Gilberte rappelle que son frère usait d’un charbon pour dessiner des figures sur des carreaux.

En quel sens faut-il prendre le mot charbon ? Il peut désigner un bois à demi brûlé, conformément au sens le plus courant. Furetière mentionne aussi « une espèce de terre minérale, fossile et fort noire », que l’on trouve dans des mines. Le charbon de saule sert à dessiner. Mais il existe un autre sens. Charbon désigne « une tumeur ou pustule pestilentielle qui vient d’ordinaire aux aisnes et aux aisselles », ce que nous appellerions un abcès. « Il est fait d’un sang gros, noir et corrompu, qui a une qualité maligne, fervente et furieuse […]. Il enferme une petite vessie, que si on l’ouvre, on y trouve dessous une chair brûlée, comme si on y avait mis du charbon […]. »

Écrasement est indéchiffrable sur le manuscrit. Il n’a dû être déchiffré qu’à l’aide de la Copie. L’écrasement est-il une sensation visuelle ou auditive ?

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 142. Voir p. 156-157, pour la référence à Montaigne, mais aussi aux Propos d’Epictète, II, 22 : « bien souvent vos pensées vous mettent hors des gonds ». L’influence des stoïciens se fait sentir même dans les passages qui reprennent Montaigne.

Pavlovits Tamás, Le rationalisme de Pascal, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 48 sq. Comment l’imagination gêne le fonctionnement de la raison.

Jungo Dom Michel, Le vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une apologie. Contribution à l’étude de la langue de Pascal, Paris, D’Artrey, sd, p. 52-53, sur écrasement ; et p. 125, sur hors des gonds.

 

Le ton de voix impose aux plus sages et change un discours et un poème de force.

Montaigne, Essais, II, 12, voir Croquette Bernard, Pascal et Montaigne, p. 8, qui renvoie à ce passage, cité dans Pensées, éd. Lafuma, Notes, p. 12. Sur le pouvoir de transformation d’un poème par la prononciation.

Change un discours et un poème de force : une lecture romantique ou une coquille donne, dans l’édition Guersant, n° 98, change un discours en un poème de force.

 

L’affection ou la haine changent la justice de face. Et combien un avocat bien payé par avance trouve-t-il plus juste la cause qu’il plaide ! Combien son geste hardi la fait-il paraître meilleure aux juges dupés par cette apparence !

 

Ce développement, pour la partie touchant l’avocat, n’est pas du premier jet ; on le trouve dans la marge du premier jet, à droite. L’addition s’achève à « à tout sens », et la suite reprend dans le corps de la première rédaction, au milieu de la feuille. La partie barrée provient du premier jet.

Montaigne, Essais, II, 12. « Vous récitez simplement une cause à l’avocat, il vous y répond chancelant et douteux ; vous sentez qu’il lui est indifférent à soutenir l’un ou l’autre parti. L’avez-vous bien payé pour y mordre et pour s’en formaliser, commence-t-il d’en être intéressé, y a-t-il échauffé sa volonté ? sa raison et sa science s’y échauffant quant et quant ; voilà une apparente et indubitable vérité qui se présente à son entendement ; il y découvre une toute nouvelle lumière, et le croit à bon escient et se le persuade ainsi. » Voir Croquette Bernard, Pascal et Montaigne, p. 8-9, qui relève ce passage.

Arnauld Antoine, Dissertation selon la méthode des géomètres pour la justification de ceux qui emploient en écrivant dans certaines rencontres des termes que le monde estime durs, voir Œuvres XX sq., p. 55-56. Un avocat qui parle avec confiance se fait écouter et croire, au moins tant qu’il parle.

Voltaire, Lettres philosophiques, Dernières remarques, XXXV, éd. Naves, p. 285. « Je compterais plus sur le zèle d’un homme espérant une grande récompense que sur celui d’un homme l’ayant reçue ».

 

Plaisante raison qu’un vent manie et à tout sens ! Je rapporterais presque toutes les actions des hommes qui ne branlent presque que par ses secousses.

 

Chez Pascal, il est question des secousses de la raison.

Marin Louis, "Usage pragmatique et valeur théorique du terme « presque » dans le discours pascalien sur les sciences de l’homme", in Pascal et Port-Royal, p. 144 sq.

 

Car la raison a été obligée de céder, et la plus sage prend pour ses principes ceux que l’imagination des hommes a témérairement introduits en chaque lieu.

 

Voir Laf. 530, Sel. 455. Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. Mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment ; de sorte qu’on ne peut distinguer entre ces contraires. L’un dit que mon sentiment est fantaisie, l’autre que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir une règle. La raison s’offre mais elle est ployable à tous sens. Et ainsi il n’y en a point.

 

Qui voudrait ne suivre que la raison serait fou prouvé.

Il faut, puisqu’il y a plu, travailler tout le jour pour des biens reconnus pour imaginaires. Et quand le sommeil nous a délassés des fatigues de notre raison, il faut incontinent se lever en sursaut pour aller courir après les fumées et essuyer les impressions de cette maîtresse du monde. (Texte barré)

 

Passage assez obscur.

Pascal a d’abord écrit : Qui voudrait ne suivre que la raison serait fou prouvé, puisqu’au jugement de la plus grande partie des hommes… Ce début de phrase et toutes les corrections qu’il comporte est rayé. Pascal hésite en fait entre deux démonstrations incompatibles (ce qui explique peut-être la suppression globale du passage) :

1) La vie de l’homme, scandée par l’alternance des jours et des nuits, est un passage permanent entre la fausse raison (“la raison imaginaire”) et un délassement nocturne par le recours délibéré à l’imagination. Il s’agirait donc d’une sorte d’éloge du sommeil, qui met “dans un calme admirable”.

2) La confusion du rêve et de la veille : l’imagination, à travers les rêves, empêche le délassement.

Que sont exactement les fumées, pour courir après lesquelles on se « lève en sursaut » ? Les occupations diurnes, qui ne sont que convoitise de biens imaginaires, ou les illusions des rêves ? Autrement dit, ce lever en sursaut est-il un lever réel, hors de son lit, ou un lever imaginaire, au sein même du rêve ?

Essuyer les impressions : la lecture est presque incontestable, mais on voir mal ce que cela veut dire.La première rédaction était « suivre les impressions » - formule dont le sens est plus actif.