Fragment Vanité n° 31 / 38 – Papiers originaux : RO 361-361 v° et 369-369 v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 51 à 65 p. 82 à 13  / C2 : p. 24 à 30

Éditions de Port-Royal : Chap. XXV - Faiblesse de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 190 à 198 /

1678 n° 4, 7, 8, 11, 13, 14 et 16 p. 186 à 194

Éditions savantes : Faugère II, 47 à 53, I-I à V / Havet III.3 et III.19 / Michaut 601 / Brunschvicg 82 et 83 / Tourneur p. 173-6 / Le Guern 41 / Maeda II p. 13 / Lafuma 44 et 45 / Sellier 78

_________________________________________________________________________________________

 

 

Éclaircissements

 

  

Bibliographie

Définitions de l’imagination

L’ordre dans “Imagination”

Analyse du texte de RO 361 : C’est cette partie dominante dans l’homme...

Analyse du texte de RO 362 (361 v°) : Ne diriez-vous pas que ce magistrat dont la vieillesse vénérable impose le respect...

Analyse du texte de RO 369 : Nos magistrats ont bien connu ce mystère...

Analyse du texte de RO 370 (369 v°) : Parce, dit-on, que vous avez cru dès l’enfance...

 

 

RO Page 369

 

Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire. Et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde, qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés. La majesté de ces sciences serait assez vénérable d’elle-même. Mais n’ayant que des sciences imaginaires il faut qu’ils prennent ces vains instruments, qui frappent l’imagination, à laquelle ils ont affaire. Et par là en effet ils s’attirent le respect.

 

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 143 sq. Tradition sur l’imagination et la médecine. Nécessité de la manipulation dans la politique : p. 149 sq. Les médecins et l’usage de l’imagination : p. 150. Comment l’exercice du pouvoir requiert la manipulation : les magistrats s’ingénient à impressionner l’imagination des juridiciés.

Voir dans Havet, édition des Pensées, I, 1866, p. 46. Port-Royal aurait supprimé tout ce passage, pour ne blesser ni les magistrats, ni les médecins, ni les rois.

Sur ce passage, voir Croquette Bernard, Pascal et Montaigne, p. 9 sq. Renvois à Essais, III, 2 ; III, 8, éd. Garnier II, p. 366 ; III, 8.

S’ils avaient la véritable justice, et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés. Le bonnet carré est porté par les gens d’Église, de justice et les professeurs ; par les docteurs en général. Le bonnet carré vient peut-être de Montaigne, Essais, I, XXIII.

De quatre parties : des 4/5, selon Sellier-Ferreyrolles.

Pascal écrit Chaffourés ; certains éditeurs écrivent chats-fourrés, chats fourrés, etc. l’expression courante est chats fourrés.

Raisons des effets 6 (Laf. 87, Sel. 121). Le chancelier est grave et revêtu d’ornements. Car son poste est faux et non le roi. Il a la force, il n’a que faire de l’imagination. Les juges, médecins, etc., n’ont que l’imagination.

 

Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu’en effet leur part est plus essentielle. Ils s’établissent par la force, les autres par grimace.

 

Vanité 13 (Laf. 25, Sel. 59). La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ses accompagnements imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leurs personnes d’avec leurs suites qu’on y voit d’ordinaire jointes. Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu’il vient d’une force naturelle. Et de là viennent ces mots : le caractère de la divinité est empreint sur son visage,etc.

 

C’est ainsi que nos rois n’ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas masqués d’habits extraordinaires pour paraître tels, mais ils se sont accompagnés de gardes, de hallebardes.

Le développement sur les soldats et les rois a disparu de l’édition de Port-Royal. Voir ce qu’en dit Havet, éd. des Pensées, Delagrave, 1866, t. 1, p. 46.

Hallebardes : lecture de Sellier, Tourneur, depuis Condorcet. Lafuma lit d’abord balestrier, puis balafrés, mais avec un point d’interrogation. Le Guern et Kaplan lisent balourds. Balourd n’a pas de sens dans ce contexte : le Dictionnaire de l’Académie définit balourd comme personne grossière et stupide, ce qui n’a pas grand sens dans ce contexte. Comme dans le cas de troupes, on doit se rallier à une lecture insatisfaisante, mais qui évite le non-sens.

masqués d’habits : Pascal avait d’abord écrit couverts d’habits.

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 142, n. 9, renvoie à Lucrèce, De natura rerum, II, v. 323-330. « Quand des légions nombreuses emplissent de leur course l’emplacement du Champ de Mars, et nous donnent une image de la guerre, là l’éclat des armes s’élève jusqu’au ciel, toute la terre à l’entour s’illumine de leurs reflets, le pas robuste des hommes fait résonner le sol, et l’écho des monts émus par leurs clameurs rejette leurs voix jusqu’aux astres du ciel ; les cavaliers voltigent autour des armées, et soudain traversent la plaine qui tremble sous leur charge victorieuse ». Le roi peut se dispenser d’un habit de fonction. Alors que les autres n’ont que l’imagination, il a la force et l’imagination à la fois : p. 150. Dans le cas des magistrats, l’imagination est frappée par de vaines circonstances ; dans le cas du roi, elle est frappée par des circonstances effectives : p. 151. Le vrai roi est celui qui a la force, mais ne gouverne pas par la force : il domine par la concupiscence et par l’imagination.

 

Ces troupes en armes qui n’ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au-devant et ces légions qui les environnent font trembler les plus fermes. Ils n’ont pas l’habit seulement, ils ont la force.

 

Ils renvoie à troupes, à trompettes, tambours et légions, et non à les plus fermes.

troupes en armes : On peut aussi lire troignes (ou trognes) ou troupes armées. (voir le papier original et sa transcription diplomatique). Sellier donne troupes armées. L’édition Havet, suivie par celle de Le Guern, Pensées, I, p. 257, donne trognes armées. Le Guern note que le manuscrit porte troignes, et que, si l’on donne troupes, le mot armées devient inutile. Ce n’est pas évident : une troupe n’est pas nécessairement une troupe militaire ; et même une troupe militaire peut fort bien ne pas se trouver sous les armes. Havet explique la leçon trognes comme suit, éd. 1866, p. 46 : « dans cette trivialité de génie, on sent à plein le mépris qu’inspire la force brutale à une intelligence supérieure enfermée dans un corps frêle ? Ces satellites ne sont pas des hommes, ce sont des trognes qui ont des mains. Ce mot exprime une grosse face rébarbative ». L’approbation que Havet donne à la lecture trogne est purement fantasmatique : le mépris qu’il attribue à Pascal pour les soldats est une imagination pure.

La difficulté avec la lecture trognes armées, c’est que trogne n’a pas de sens dans ce contexte, et que l’expression trogne armée n’en a pas non plus. Trogne, selon Furetière, est un terme burlesque qui se dit d’un visage gros et laid, ou qui est rouge ou boutonné, comme celui d’un ivrogne. Le mot ne semble pas avoir selon Furetière de sens particulièrement militaire. Selon le Dictionnaire de l’Académie, ce terme se dit par plaisanterie, d’un visage plein, qui a quelque chose de facétieux, et qui marque le goinfre. Il se dit aussi d’un visage rebutant. D’autre part, la trogne n’est pas armée. Le mot pris pour désigner l’homme et son équipage suppose une métonymie difficilement recevable.

           

Force et imagination

 

L’imagination prend le relais de la force quand celle-ci veut éviter d’exercer longtemps une pression effective. Pascal décrit ce processus dans plusieurs fragments.

Laf. 554, Sel. 463. La force est la reine du monde, et non pas l’opinion. Mais l’opinion est celle qui use de la force. C’est la force qui fait l’opinion [...].

Laf. 828, Sel. 668. Les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres en général sont cordes de nécessité ; car il faut qu’il y ait différents degrés, tous les hommes voulant dominer et tous ne le pouvant pas, mais quelques-uns le pouvant.

Figurons-nous donc que nous les voyons commencer à se former. Il est sans doute qu’ils se battront jusqu’à ce que la plus forte partie opprime la plus faible, et qu’enfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois déterminé alors les maîtres qui ne veulent pas que la guerre continue ordonnent que la force qui est entre leurs mains succédera comme il leur plaît : les uns le remettent à l’élection des peuples, les autres à la succession de naissance, etc.

Et c’est là où l’imagination commence à jouer son rôle. Jusque-là la pure force l’a fait. Ici c’est la force qui se tient par l’imagination en un certain parti, en France des gentilhommes, en Suisse des roturiers, etc.

Or ces cordes qui attachent donc le respect à tel et à tel en particulier sont des cordes d’imagination.

Mais l’imagination n’a qu’une apparence de puissance, et il arrive que la force se retourne contre les autorités imaginaires, qui sont incapables de leur résister. Pascal envisage aussi le cas où la force véritable remet à leur vraie place les symboles du pouvoir qui sont de nature purement imaginaire : voir Laf. 797, Sel. 650 : Quand la force attaque la grimace, quand un simple soldat prend le bonnet carré d’un premier président, et le fait voler par la fenêtre.

 

Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environné, dans son superbe Sérail, de quarante mille janissaires.

 

Voir la reconstitution de Y. Maeda : Pascal aurait d’abord écrit « Il faudrait avoir une imagination bien épurée... », le mot imagination se trouvant en début de ligne ; puis il aurait barré imagination et écrit raison à l’extrémité droite de la ligne précédente. La 1ère rédaction : « il faudrait avoir une imagination bien épurée » est ainsi devenue « il faudrait avoir une raison bien épurée ». On constate, à travers cette correction, une certaine équivalence paradoxale, dans tout le développement, entre « raison » et « imagination ».

Le Grand Seigneur remplace le Grand Turc. C’est le terme officiel. Voir Bluche François (dir.), Dictionnaire du grand siècle, Paris, Fayard, 1990, article Grand Turc, p. 678. On désigne par les mots de Grand Turc, depuis le XVe siècle, le souverain de l’empire ottoman.

Jungo Dom Michel, Le vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une apologie. Contribution à l’étude de la langue de Pascal, Paris, D’Artrey, sd, p. 54. Le mot sérail.

 

Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête sans une opinion avantageuse de sa suffisance.

 

Suffisance : voir Croquette, Pascal et Montaigne, p. 9, et Le Guern Michel, L’image dans l’œuvre de Pascal, p. 91. Comparaison avec Montaigne, Essais, III, 8, Pléiade, p. 909 et 913. Habileté. Le passage de science à suffisance. Ce genre de contexte autorise le passage au sens moderne de suffisance.

 

L’imagination dispose de tout. Elle fait la beauté, la justice et le bonheur qui est le tout du monde.

Je voudrais de bon cœur voir le livre italien dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres, Dell’ opinione regina del mondo. J’y souscris sans le connaître, sauf le mal, s’il y en a.

 

Tout le texte d’“Imagination” est résumé en quatre mots dans ce titre. Voir la fin de la Lettre à Carcavi et de la Provinciale XVI : c’est le cas extrême, où le titre suffit à résumer le livre.

Voisine Jacques, “Un mystérieux titre italien cité par Pascal”, XVIIe siècle, 74, 1967, p. 65, pense que le titre de Pascal est peut-être un souvenir de Sbarra Francesco, La forza dell’opinione, 1658.

Le Guern et Lafuma signalent, d’après Dedieu, Pensées, 1937, que l’Éloge de la folie d’Érasme porte ces mots en épigraphe. Ce serait à vérifier, mais il n’y aurait pas de raison de citer Érasme en italien.

On mentionne parfois le livre de C. Flossi, L’opinione tiranna moralmente considerata negli affari del mondo, mais il semble postérieur à la mort de Pascal (1690).

Pic de La Mirandole Jean-François, De l’imagination (De imaginatione), éd. C. Bouriau, Chambéry, Éditions Comp’Act, 2005, ne comprend pas de titre de chapitre qui corresponde au titre cité par Pascal.

J’y souscris : allusion au problème de la signature, notamment pour le Formulaire. Souscrire, c’est reprendre à son compte ce qui est affirmé dans le texte auquel on souscrit. Arnauld a expliqué le sens de la signature dans son opuscule De la signature.